En parallèle de la démocratisation de la télévision numérique sur le continent, un phénomène vient récemment de bousculer les habitudes des téléspectateurs. Les plateformes de VOD envahissent le quotidien des Africains, avec, en prime, l’irruption de contenus de plus en plus adaptés aux réalités locales. Toutefois, dans un marché en cours de maturation, les freins à l’expansion des OTT persistent. Le point avec CIO Mag.
Camille Dubruelh
Netflix, Multichoice, Canal +, Prime Video… Au cours des prochaines années, la concurrence dans la VOD promet d’être rude sur le continent. Face à l’arrivée de la TNT et de la multiplication des chaînes locales, les plateformes ont bien compris que les consommateurs réclament un plus grand choix, une meilleure qualité et un contenu qui leur corresponde. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la récente étude de Digital TV Research, les revenus des films et des séries issus de télévision Over the Top (OTT) africains atteindront 1,725 milliard dollars d’ici à 2026, contre 392 millions dollars en 2020. La SVOD (vidéo à la demande par abonnement) est de loin le principal moteur de cette croissance.
Le cabinet prévoit déjà les parts de marché qui seront allouées aux différents concurrents. Si Netflix représentait 57% des abonnés SVOD de la région, à la fin de l’année 2020, sa part tombera à 44%, d’ici à 2026 (avec 6,26 millions d’abonnés contre 1,99 million en 2020). Disney, qui ne devrait pas démarrer dans la région avant 2022, pourrait, d’après les prévisions, réaliser une percée majeure avec 3,13 millions d’abonnés payants, d’ici à 2026.
Ambitions africaines de Netflix
Si le marché africain n’est à ce jour pas encore mature et les abonnés encore peu nombreux, le secteur devrait vraisemblablement être lucratif au cours des prochaines années. Pour ne pas rater le coche, les plateformes misent déjà sur une stratégie africaine. L’exemple de Netflix est, à ce titre, tout à fait parlant. Pour preuve, Strive Masiyiwa, un homme d’affaires zimbabwéen installé à Londres, a été nommé nouvel administrateur du géant américain. C’est la première fois qu’une personnalité africaine entre au conseil d’administration de la plateforme, laquelle compte aujourd’hui 190 millions d’abonnés. Netflix a par ailleurs annoncé avoir amorcé, le 20 octobre dernier, une série de partenariats avec les opérateurs télécoms du continent. L’objectif est de simplifier les paiements pour que les clients puissent visionner les films et les séries en ligne. L’abonnement Netflix pourra ainsi être ajouté à l’abonnement téléphonique des consommateurs. La multinationale étasunienne a perçu l’intérêt qu’il y avait à de s’adapter aux réalités africaines et notamment la façon de rester un acteur global en s’adaptant aux réalités locales.
Au-delà des aspects techniques et organisationnels, la plateforme, installée en Afrique depuis 2016, mise sur l’acquisition de contenus locaux. Et depuis cette année, elle s’est aussi lancée dans la création de contenus originaux, avec la diffusion des séries sud-africaines Queen Sono et Blood & Water. Mais, Netflix se heurte encore à plusieurs problématiques sur le continent, notamment la cherté et la lenteur de l’Internet haut débit. Pour y remédier, l’entreprise explore la possibilité de nouer des partenariats avec les opérateurs télécoms pour créer des forfaits Internet spécialement dédiés à l’utilisation de Netflix. Elle envisage également des téléchargements via le Wi-Fi pour une visualisation hors Internet.
Le géant du streaming, qui a bien compris la place de choix du téléphone sur le continent, lance en parallèle des offres dédiées au mobile. Elles sont plus faciles d’accès et moins onéreuses que les offres actuelles et coûtent entre 2,30 et 3,50 dollars, contre 9 à 16 dollars en moyenne pour les abonnements TV. L’opération, lancée en Afrique du Sud et en Egypte, doit s’étendre à tout le continent. A terme, les programmes de la plateforme inonderont plusieurs marchés porteurs, notamment le Nigeria, où la pénétration mobile est très forte et la culture cinématographique très présente. En France, la série Netflix “Lupin”, avec Omar Sy comme acteur principal, connaît d’ores et déjà un succès phénoménal. Cette collaboration avec l’acteur français, d’origine sénégalaise, pourrait sûrement inspirer le diffuseur américain lors de son prochain ancrage africain.
Concurrence locale et internationale
De son côté, la plateforme chinoise StarTimes propose, sans trop communiquer, des services de TNT, de télévision par satellite, mais aussi de streaming, grâce à StarTimes ON. L’application vise à répondre aux différents types de consommation et aux évolutions du marché. “ Avec plus de 20 millions de téléchargements, l’application StarTimes ON est un succès. Elle propose plus de 150 chaînes en direct et 20 000 heures de programmes à la demande, avec du sport, des séries, des émissions de divertissement, des documentaires, des dessins animés et des programmes éducatifs. Et nous enrichissons chaque jour notre catalogue de programmes”, explique StarTimes à CIO Mag. France Media Monde admet réaliser d’importantes audiences – notamment avec France 24 – sur la plateforme chinoise et atteint désormais des régions africaines où elle n’espérait pas être diffusée.
Pour tirer leur épingle du jeu, face aux plateformes de VOD internationales et aux moyens colossaux qu’elles déploient, les concurrents locaux tentent de jouer leur partition avec leur connaissance du marché et leur prix concurrentiel. En Afrique du Sud, MultiChoice propose désormais une option « gratuite » sur son service de streaming. Les clients, soumis à la pub, n’ont plus à payer pour profiter du contenu. « Showmax Free » diffuse des séries, des films et du contenu sportif sans que le consommateur ait à souscrire à un abonnement. « Showmax Free vous donne la possibilité d’accéder gratuitement à une offre de divertissement exceptionnelle, sans engagement, avec une sélection de séries et de films locaux et internationaux soutenus par la publicité », vante la plateforme. Il est à noter que depuis l’arrivée de Netflix, en Afrique du Sud, le nombre d’abonnés à l’offre premium de MultiChoice n’a cessé de chuter…
Quant aux autres concurrents locaux aux plateformes de VOD, elles peinent à s’en sortir. Le principal problème est le manque de moyen financier. Les entreprises africaines, qui tentent de diversifier leurs catalogues, sont souvent dans l’incapacité de lutter quantitativement, voire qualitativement, contre ce que proposent les géants du secteur. Le naufrage d’Afrostream, le “Netflix africain”, mort fin 2017, faute d’avoir réussi une levée de fonds conséquente, en est l’illustration. De son côté, la Nigériane Iroko TV vient d’annoncer qu’elle allait réduire ses investissements africains pour se concentrer sur son développement à l’international. A la clé, ce sont quelque 150 emplois qui vont être supprimés sur le continent. « En dépit des efforts considérables consentis en Afrique, ces cinq dernières années, nos activités internationales représentent aujourd’hui 80% de nos revenus. Avec près de neuf ans d’activité avec Iroko TV, dont cinq exclusivement consacrés à l’Afrique, nous croyons toujours en l’Afrique, mais nous constatons qu’il est encore un peu trop tôt pour le streaming sur le continent », a déclaré le fondateur d’Iroko TV, à l’agence Ecofin.
Pour tenter de pallier la féroce concurrence internationale, certains gouvernements africains pensent de plus en plus à taxer les géants du web, dont Netflix. En plus de protéger les fournisseurs locaux de streaming et de VOD, cela pourrait permettre aux gouvernements de capter une partie des revenus de ce fructueux marché.
Concurrence à la TNT ?
L’autre question est de savoir si les plateformes de VOD pourront supplanter, à terme, la télévision “classique”, notamment la télévision payante. Selon Digital TV Research, Netflix atteindra 4 millions d’abonnés africains en 2023 et environ 41 millions d’abonnés à la télévision payante. La SVOD progresse vite, même si, pour le moment, la télévision reste largement majoritaire. Selon les prévisions de Digital TV Research, la télévision payante ne représentera, à l’horizon 2024, qu’un multiple de 4, en volume, par rapport à la SVOD. En 2016, le multiple était encore de 37. La télévision a donc encore de beaux jours devant elle, mais ceux-ci pourraient bien être comptés…