D’après une étude de la FAO, les nouvelles technologies et Internet pourraient augmenter la productivité agricole de 70% d’ici 2050. Un potentiel énorme que les pays africains ont commencé à mesurer à sa juste valeur. La preuve, de plus en plus d’initiatives intéressantes voient le jour pour offrir aux pays africains une agriculture plus performante et soucieuse de son environnement.
Même un secteur aussi conservateur que l’agriculture n’échappe pas à la transformation numérique. Une mutation accélérée sans doute par les nombreux effets du changement climatique sur le secteur. A en croire des analyses d’impacts du changement climatique, rapportées par AfricaInteract, une augmentation de la température de 2% affecterait la production agricole à hauteur de 30%. Mais comment trouver des solutions adaptées aux problèmes africains ?
L’écosystème des entreprises innovantes planche sur le sujet, en proposant des réponses adaptées. Au Sénégal, la startup Tolbi (le champ en wolof, langue locale) a développé des solutions basées sur l’intelligence artificielle. Car pour Mouhamadou Lamine Kébé, son fondateur, si des solutions technologiques existent déjà, elles sont souvent chères, ou peu adaptées. Par exemple, dit-il, en milieu rural, la connectivité n’est pas optimale. Pour y remédier, l’expert a développé une technologie qui permet aux producteurs d’augmenter leurs revenus agricoles et leur production à travers des pratiques agricoles intelligentes. « Nous leur permettons d’avoir des informations en temps réel sur les bonnes pratiques agricoles du jour, grâce à des appels téléphoniques passés dans leur langue locale. On calcule par exemple les besoins en eau, avec des images satellitaires, mais aussi la quantité de fertilisants à mettre dans les sols. On les alerte en temps réel lorsqu’une partie de leur champ est attaquée par des ravageurs et on leur suggère des traitements à appliquer. On leur fournit des prévisions de rendements. On permet aussi aux conseillers agricoles de les accompagner en temps réel, à distance, via des images satellitaires ». Et les impacts sont réels, selon l’entreprise. Les dirigeants estiment entre 60 à 80 % d’économie en eau d’irrigation et 30% de rendement en plus, si les pratiques sont appliquées à l’échelle parcellaire d’un champ.
Révolutionner la chaîne de valeurs agricoles
Au Benin aussi, des initiatives commencent à germer. Parmi elles, Agrosfer. Une startup agritech qui utilise sa technologie et son réseau d’agents terrain pour structurer des filières d’approvisionnement durables et traçables. Selon Francis Dossou Sognon, son promoteur, le potentiel est énorme, mais très loin d’être utilisé. « L’introduction du digital dans l’agriculture africaine est à peine en train de trouver ses premières applications concrètes, après une petite dizaine d’années d’expérimentations diverses », a-t-il analysé. Pour y arriver, il estime nécessaire de travailler à la facilitation par les gouvernements (des cadres réglementaires et des PPP), et le financement. « La transformation digitale exige du temps et donc de l’argent. Le numérique, lorsqu’il est introduit à juste dose et avec pertinence, est un catalyseur de tout, car il facilite la circulation de l’information. C’est aussi valable pour le secteur agricole africain, dont plusieurs des maux sont en lien avec l’absence ou la faible circulation de l’information sur les bonnes pratiques agricoles, l’offre et la demande et la traçabilité des produits », a-t-il ajouté.
Au Bénin ou ailleurs, la digitalisation de la chaîne de valeurs promet de belles avancées. Selon le responsable de la plateforme, c’est l’un des meilleurs moyens d’attirer les jeunes dans le secteur agricole. L’entrepreneur est persuadé que l’agriculture pourrait être plus attractive. « Si on ajoute à l’irrigation automatique et aux tracteurs les applications digitales et une possibilité d’interaction plus grande à distance, on pourrait inciter beaucoup plus de jeunes à se tourner vers l’agriculture », assure-t-il. Cette approche est d’autant plus pertinente que Kébé estime qu’à la différence des pays développés, en Afrique, il y a beaucoup plus de problèmes à résoudre. « Ce sont des niches pour les startups », persiste-t-il.
Le Maroc met les bouchées doubles
Problème d’eau, de main-d’œuvre…le Maroc n’échappe pas aux problèmes qui touchent le secteur agricole dans tous les pays africains. Pour y remédier, le royaume a lancé la stratégie « Génération Green ». L’objectif, à l’horizon 2030, est de connecter au moins 2 millions d’agriculteurs à des plateformes de services digitaux. Une stratégie dans laquelle les capteurs, les drones, les objets connectés et les applications mobiles joueront un rôle stratégique. Les investissements en Recherche et Développement visent à être multipliés par 1,5, voire par 2, pour une meilleure diffusion des innovations et concepts agrotechnologiques.
En attendant, des initiatives privées font leur chemin. Par exemple, avec la solution Sowit, les agriculteurs marocains disposent d’applications mobiles qui fournissent des données de précision aux agriculteurs sur l’irrigation, la fertilisation ou encore les rendements grâce à des capteurs, la télédétection et l’intelligence artificielle. C’est le cas aussi d’AgriEdge, une plateforme de services d’agriculture de précision et une marketplace digitale des produits agricoles ou encore d’Arwa Solutions, startup spécialisée dans le pilotage de l’irrigation via une application mobile et au moyen de capteurs connectés. Ces entreprises innovantes font aujourd’hui partie intégrante de l’écosystème agricole marocain.
Du public au privé
Au Rwanda, l’écosystème est dynamique et a compris les enjeux liés à la modernisation de l’agriculture, par le numérique. L’application Smart Potato Greenhouse Technology en est un exemple. Grâce à une solution qui utilise des capteurs pour déterminer la qualité et la température du sol et automatiser l’irrigation, la solution de Mme Uwamutarambirwa permet de détecter les niveaux de température et d’humidité des pommes de terre dans les serres du district de Musanze. Dans ce pays où 69 % des ménages sont actifs dans l’agriculture, l’application capture des données pertinentes et envoient des notifications et des alertes aux responsables des serres par l’intermédiaire d’une plateforme en nuage. L’application a aussi comme objectif d’améliorer les systèmes de sécurité, en utilisant des capteurs de son et de mouvement et des caméras numériques automatisées pour surveiller les tentatives de vol d’appareils dans une serre. « L’application a été aussi conçue pour aider les agriculteurs à lutter contre l’insécurité alimentaire et à favoriser la durabilité de l’agriculture, car l’irrigation automatique intelligente contribue à la résilience climatique », a ajouté l’entrepreneuse. Dans ce pays où le secteur agricole représente plus de 30 % du PIB, employant plus de 55 % de la population, les initiatives privées épousent bien celles publiques.
En effet, le gouvernement de Paul Kagamé a mis en place une stratégie qui fait la part belle à une meilleure intégration de l’intelligence artificielle, qui a joué un rôle essentiel dans la transformation agricole du Rwanda. Entre agriculture de précision, application de gestion des stocks, de conseils météorologiques, télédétection et technologie des drones entre autres, les solutions numériques devraient permettre de mieux relever les différents défis auxquels sont confrontés les agriculteurs. Dans la même dynamique, les agriculteurs sont formés à la collecte de données sur les cultures à l’aide d’un GPS et d’une application de collecte de données installée sur leur smartphone.
De façon générale, en Afrique, le financement des startups du secteur de l’agritech en Afrique demeure sous-représenté dans les levées de fonds, malgré des avancées notables. En 2023, les tours de table ont représenté seulement 6% du total des fonds levés, avec un ratio de 29 transactions pour un montant de 144 millions de dollars, comme indiqué dans le rapport « Africa Tech Venture Capital » du cabinet Partech Africa. Mais ce chiffre marque tout de même une augmentation de 67% par rapport à 2022, année lors de laquelle le financement dans ce secteur ne représentait que 1,8% de l’ensemble des levées de fonds. Plus qu’un effet de mode, le secteur de l’agritech s’impose durablement sur le continent africain, et attire de plus en plus de financement. Et ce, car il répond à un besoin réel et pérenne des agriculteurs et acteurs de la filière d’une part, et de l’ensemble des populations d’autre part.