Au Togo, l’IA pour identifier les couches sociales les plus vulnérables

Le programme NOVISSI – Entraide –, déployé au Togo pendant la crise de la Covid-19, a été un cas d’école de l’utilisation de l’intelligence artificielle pour répondre à une urgence socio-économique en situation de crise sanitaire. Grâce à l’IA, les autorités togolaises ont pu cibler les bénéficiaires de ce programme d’aide aux couches vulnérables, éprouvées par les mesures de restriction prises à l’époque pour juguler l’expansion de la Covid-19 au Togo. Coup de projecteur sur un programme innovant, dopé à l’intelligence artificielle.

Grâce à des technologies avancées, des données géospatiales ont permis de déterminer les zones les plus pauvres où résidaient les plus vulnérables du Togo. Des chercheurs des universités de Californie à Berkeley et de Northwestern ont entraîné des algorithmes à utiliser les images satellitaires pour déterminer la localisation des plus démunis, à qui l’État togolais devait allouer des subventions financières. Ainsi, les algorithmes ont pu analyser « la qualité des toitures, la densité de la population et l’état des infrastructures routières », permettant de cartographier le pays en plusieurs couches de 2,4 km².

L’analyse des données a permis de catégoriser chaque km² et d’en déduire des informations pertinentes à partir du cadre de vie des populations. On parle d’environ 100 cantons identifiés comme les plus pauvres du pays. Le programme pouvait ainsi desservir « près de 600 000 travailleurs du secteur informel ayant perdu leurs revenus journaliers du fait des mesures pour endiguer la propagation de la Covid-19 », avait noté l’Agence française de développement (AFD), partenaire du programme.

La Banque mondiale, pour qui le programme NOVISSI est devenu une référence, a précisé dans une publication que « les algorithmes, entraînés avec des enregistrements d’appels téléphoniques détaillés, prédisent les habitudes de consommation de 5,7 millions d’habitants (70 % de la population). Entre novembre 2020 et mars 2021, 57 000 nouveaux bénéficiaires ont reçu en priorité des versements sociaux sans contact grâce à ces algorithmes prédictifs».

Convaincue de l’approche, la Banque mondiale a soutenu l’initiative en mobilisant des ressources de l’IDA – Association internationale de développement – « pour la recherche, le développement et les tests de faisabilité de méthodes d’apprentissage automatique conçues pour prioriser l’assistance destinée aux plus démunis au Togo ».

Meilleur ciblage par le mobile

En plus des données géospatiales, les modèles d’IA ont été entraînés avec des données des opérateurs de téléphonie mobile. Grâce à cet exercice, le programme a su identifier les habitudes de consommation des abonnés et en a dégagé ceux dont le revenu journalier est inférieur à 1,25 $. C’est l’un des critères d’éligibilité. Il a fallu aux chercheurs croiser leurs données avec les fréquences d’appels, la durée et la fréquence d’utilisation des services de mobile money par les cibles.

La démarche ne s’est pas arrêtée à une modélisation d’algorithmes. Sur le terrain, des données massives ont été collectées par des équipes qui ont touché environ 10 000 personnes dans les zones à faibles revenus. Ainsi, grâce à l’intelligence artificielle, une cartographie de la pauvreté a été réalisée, permettant d’orienter les actions sociales vers les cibles les plus indiquées.

L’utilisation de l’intelligence artificielle dans la mise en œuvre du programme NOVISSI a permis au Togo de réagir dans un bref délai face à l’urgence qu’était l’impact socio-économique de la crise de la Covid sur les ménages vulnérables. Elle a permis de gagner du temps, d’économiser des ressources par rapport à un recensement physique des bénéficiaires et de limiter à juste titre la propagation de la pandémie dans le pays. NOVISSI est ainsi entré dans les annales des projets innovants mettant les technologies au cœur des enjeux sociaux. Avec cette expérience, le pays dispose d’un modèle, considéré comme une référence au-delà de ses frontières, applicable à d’autres secteurs comme l’éducation, l’agriculture, la santé. La preuve que l’IA peut être mise au service de l’inclusion sociale de manière rapide, ciblée et équitable, dans le respect de la dignité humaine.

Selon la Banque mondiale, cette initiative « pourra, à terme, faire partie d’un système intégré d’information sociale afin de soutenir la priorisation, le déploiement et le suivi de différents dispositifs de protection sociale ». Au Togo, le gouvernement a mis en place une feuille de route 2020-2025 dont l’essentiel des actions devrait s’appuyer sur le numérique. L’intelligence artificielle trouve toute sa place dans la matérialisation des politiques sociales.

Souleyman Tobias

Journaliste multimédia. L’Opendata, la transformation digitale et la cybersécurité retiennent particulièrement mon attention. Je suis correspondant de Cio mag au Togo.

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