Au Bénin, le lancement de la Télévision numérique terrestre (TNT) est très imminent. Les infrastructures terrestres pour le passage de l’analogie au numérique couvrent déjà 95% de la population. C’est donc pour décortiquer le niveau d’opérationnalisation de la TNT au Bénin que la Ministre du numérique et de la digitalisation, Aurelie Adam Soulé Zoumarou, a reçu CIO Mag pour un entretien exclusif ce 11 février.
Propos recueillis par Michaël Tchokpodo, Bénin
CIO Mag : Le Conseil des ministres a adopté en sa séance du mercredi 10 février, le décret portant nomination des membres représentant l’Etat au sein du Conseil d’administration de la Société Bénin Diffusion (SBD). Quelle est la portée d’une telle décision pour le passage à la TNT au Bénin ?
Aurelie Adam Soulé Zoumarou : La décision de nommer les membres représentant l’Etat au sein du Conseil d’administration de la société Bénin Diffusion entre dans le cadre de l’opérationnalisation de cette structure qui sera chargée de diffuser les programmes de la Télévision numérique terrestre auprès des foyers béninois. Avec la TNT, la chaîne de valeur change. Il n’y a plus une concentration des fonctions de multiplexage, de production, d’édition et de diffusion, au sein des mêmes structures.
La chaîne de valeur est plus distribuée avec d’une part les éditeurs et les distributeurs ; et d’autre part, le diffuseur Bénin Diffusion. La loi sur la radiodiffusion numérique en République du Bénin a prévu que ce diffuseur soit une société d’économie mixte dans laquelle l’Etat est présent aux côtés des partenaires privés désireux d’y prendre part. L’Etat devait désigner ses représentants pour siéger au sein du Conseil d’administration de cette société d’économie mixte, au même titre que les éditeurs désigneront aussi leurs représentants. C’est donc dans ce cadre que le Conseil des ministres, réuni en sa session du 10 février 2021, a adopté le décret portant nomination des membres représentant l’Etat au sein du Conseil d’administration de la Société Bénin Diffusion.
Dans le cadre de la mise en place du réseau de diffusion TNT, quel est le niveau de réalisation des infrastructures dédiées ?
Sans infrastructures, les foyers ne peuvent pas recevoir la TNT. Compte tenu des bénéfices qu’apporte la TNT, il est important que les équipements soient de qualité et dans une configuration qui permette au maximum de la population de recevoir le signal.
“A ce jour, le gouvernement a mis en place 29 sites de diffusion terrestre de la télévision numérique, qui couvrent environ 95% de la population.”
Je parle de la couverture de la population et non de la couverture spatiale. Lorsque les chaînes tv concoctent leurs programmes, elles doivent pouvoir les acheminer en direction du diffuseur afin que ce dernier les diffuse convenablement. Cette infrastructure de collecte et d’acheminement des programmes des éditeurs tv est aussi en place. Nous avons également une infrastructure satellitaire qui permet de prendre en compte la partie de la population que les infrastructures terrestres n’arrivent pas à couvrir totalement, afin d’aboutir très vite à un taux de couverture de 100%.
En octobre dernier, le Bénin a décidé des modalités de mise sur le marché des décodeurs numériques et accessoires de réception de la TNT. Quelles sont les prochaines étapes de mise en œuvre de la TNT ?
Nous avons les infrastructures, le réseau de diffusion, le circuit d’acheminement des programmes et le cadre règlementaire. Le président de la République tient à ce que la transition vers la télévision numérique terrestre se fasse dans le bon ordre. Donc, depuis juillet 2018, divers décrets ont été pris pour fixer notamment les normes et spécifications techniques relatives à la TNT et le régime d’agrément ou d’homologation des équipements ou installations d’accès aux services de communication audiovisuelle.
Aujourd’hui, nous adressons la question des décodeurs. En effet, la décision d’octobre dont vous parlez concernait aussi bien les normes techniques des décodeurs que la stratégie du gouvernement pour la diffusion de la TNT. Sur le second volet, il fallait décider si nous allions vers un mode crypté « free to view » ou un mode plus ouvert « free to air » pour le bouquet de base. Le gouvernement a voulu jouer sa partition pour une grande adoption de la TNT en décidant du choix du free to air, et est allé encore plus loin en décidant d’exonérer de droits de douane et de certaines taxes, les décodeurs qui serviront à la réception du bouquet de base.
En matière de TNT, certaines normes dites régionales sont actuellement répandues mais déjà sujettes à une évolution. En effet, les deux normes DVB-T2 et MPEG4 AVC qui avaient été retenues au niveau de la CEDEAO sont évolutives. Au regard de l’évolution du MPEG4 AVC vers le HEVC, le Bénin a fait le choix du HEVC et est l’un des seuls pays de la sous-région à avoir choisi cette norme de mise en œuvre de la TNT mais qui ne contredit pas le choix régional. En effet, en 2010, au cours des discussions autour des choix de normes TNT pour l’Afrique, nous avions décidé d’aller vers la norme la plus évolutive du moment à cette époque, c’est-à-dire le DVB-T2/MPEG4 AVC, bien qu’à cette époque, le DVB-T était plus répandu que le DVB-T2.
“C’est dans cette démarche d’évolutivité que le Bénin a choisi la norme plus récente MPEG4 HEVC qui présente des avantages technique, économique et un meilleur choix social pour le bénéfice de nos populations.”
Quel est l’avantage de l’option « free to air » ?
Cette option permet aux foyers d’acquérir leurs décodeurs librement. Du moment que le décodeur (ou télévision intégrant un décodeur) est conforme aux normes choisies, ils recevront le bouquet de base à l’allumage de leurs récepteurs.
Est-ce que le téléspectateur est obligé d’acheter son décodeur dans le circuit de distribution du diffuseur ou dans un circuit de distribution libre ?
Le gouvernement a fait l’option de la liberté en ouvrant la commercialisation des décodeurs à toute entité qui respecte les lois de notre pays consistant à faire homologuer le décodeur auprès de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Tant que toutes les normes fixées sont respectées, au moins pour le bouquet de base, il faudrait permettre à la population de s’approvisionner là où elle en a le mieux l’opportunité.
Combien de chaînes sont actuellement disponibles sur la TNT ?
Nous sommes dans les premières phases de constitution du contenu du bouquet TNT. Nous avons un bouquet de base que tous les foyers recevront, hormis la souscription à des services de bouquet payant lorsqu’ils seront disponibles sur la TNT.
“Dans le bouquet de base actuel, nous avons les huit chaînes privées nationales, les trois chaînes de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (ORTB) et trois chaînes supplémentaires qui viennent agrémenter le bouquet.”
Quel est le modèle économique retenu pour l’accessibilité des foyers ?
Quand on parle de modèle économique, il ne faut pas seulement voir la rentabilité économique. Aujourd’hui, un béninois vivant à Kèrou [commune située à 624 km de Cotonou] par exemple ne peut recevoir que l’ORTB et quelques chaînes privées sur l’ensemble des chaines TV disponibles. Avec la TNT, cette cible aura aussi accès à toutes les chaînes disponibles dans le bouquet de base. Pour les populations qui sont hors des zones urbaines, le passage à la TNT a un fort impact. Un téléspectateur vivant dans ces zones blanches de la TV analogique et qui ne recevait pas toutes ces chaînes, est désormais pris en compte. Cela change le paradigme actuel par rapport à l’analogique.
L’impact n’est pas moindre pour les populations des zones urbaines, en termes de qualité de réception des programmes de la TNT. Les chaînes nationales seront reçues avec une qualité meilleure que celle sur les bouquets par satellite, et en plus, les téléspectateurs auront l’intégralité des chaînes nationales. La rentabilité peut être également perçue sur l’aspect relatif aux revenus publicitaires.
Pour faciliter l’accessibilité à la TNT, le gouvernement a décidé de renoncer aux droits de douane et aux taxes prélevées chez les distributeurs. Cette mesure permet de ne pas répercuter ces frais sur les coûts des décodeurs. Et pour s’en assurer, le gouvernement a décidé d’encadrer les prix de vente des décodeurs. Un arrêté interministériel a été pris pour fixer les prix de vente plafond des équipements (décodeurs et antennes) de base pour la réception de la TNT. Les décodeurs ont été fixés à un prix plafond de 10.000 FCfa [soit 15 euros] et l’antenne extérieure, lorsqu’elle est à gain faible coûte 6.000 FCfa maximum [9 euros] et 8.000 FCfa [12 euros] pour l’antenne à gain normal. Cela facilite à tous les béninois l’accès à ces équipements pour la réception de la TNT.
Quid des contenus ?
Lorsqu’on passe à la TNT, le téléspectateur est plus enclin à demander du contenu de qualité. Les éditeurs de télévision ont à cœur cette préoccupation. Nous avons eu plusieurs séances de concertation pour leur donner l’information sur ce que nous sommes en train de faire et les mécanismes prévus par le gouvernement. Ils nous ont dit qu’ils se préparaient à cette nouvelle révolution, de concert avec leur ministère de tutelle, à qui ils ont exprimé des besoins en termes de formation et d’accompagnement. Au niveau du secteur du numérique, nous avons un programme qui s’appesantit sur la production de contenus et nous ferons en sorte d’apporter notre contribution sur ce volet.
Quelles sont les mesures de sensibilisation de la population au passage à la TNT ?
Depuis quelques mois, nous avons déjà mis en œuvre la première mesure qui consistait à expliquer à la population ce qu’est la TNT et ses bénéfices. Le message n’est pas le même pour les habitants de Cotonou par exemple [Capitale économique du Bénin] et ceux de l’intérieur du pays. Par rapport à chacune de ces personnes, la TNT aura une valeur ajoutée différente. Nous avons expliqué aux populations que la TNT apportera des programmes TV de meilleure qualité, des images plus belles, du son plus performant, et l’accès à un bouquet plus important de chaînes. Et tout ceci, majoritairement grâce à une antenne en lieu et place d’une installation avec des paraboles.
“La seconde mesure se rapporte à l’accessibilité.”
C’est pour cela qu’en octobre 2020, le gouvernement a choisi le mode et les standards de diffusion qui présentent les meilleurs avantages, consenti des exonérations pour faciliter le coût d’accès des décodeurs et enfin, fixé les prix plafonds pour éviter aux populations de subir la spéculation de la part des commerçants. Le troisième niveau de sensibilisation va être opérationnalisé dans quelques semaines parce que nous tendons vers l’étape de lancement. Nous irons au plus près des populations pour leur faire vivre la TNT et leur permettre d’acquérir les décodeurs.
Cette étape de communication de proximité va commencer après le lancement. Avec la HAAC, nous avons finalisé l’arrêté sur les montants des frais et redevances pour les agréments des décodeurs. Toutes les pièces du puzzle sont donc désormais en place.