Les spécialistes et les professionnels de la Télévision numérique terrestre (TNT) sont unanimes : des décodeurs TV abordables sont la clé d’une adoption rapide de cette technologie. Pourtant, l’approvisionnement s’avère tout aussi difficile que le financement du processus.
Par Anselme Akéko
Sur le continent, les exigences d’un profil de décodeur commun sont définies par zone économique sous-régionale. Toutefois, les coûts liés à ces boîtiers de différentes tailles et de différentes formes varient d’un pays à l’autre, au sein d’une même région. Dans l’espace UEMOA-CEDEAO, l’adaptateur TNT à la norme DVB-T2 / MPEG4 est vendu 10 000 FCFA maximum en Côte d’Ivoire et 15 000 FCFA au Sénégal. Au Burkina Faso, où le gouvernement a fixé le prix à 10 000 FCFA, le décodeur MPEG4 est disponible à des prix de détail compris entre 17 500 FCFA et 20 000 FCFA, selon une enquête de L’Economiste du Faso.
Les faits montrent par ailleurs qu’en matière de fourniture de récepteurs, à travers le continent, les expériences sont diverses. D’après un rapport de Balancing Act 2018, intitulé “Migration de l’analogique au numérique en Afrique : mise en œuvre, défis et progrès”, le Swaziland a eu des problèmes pour se procurer suffisamment de boîtiers. Au Nigeria, où des millions d’adaptateurs vont être nécessaires, c’est la politique de financement qui pose problème. En Égypte, 70,2 millions de dollars ont été provisionnés pour subventionner ces équipements. Ce ne sont là que quelques-uns des exemples. On pourrait citer le Ghana, où une investigation de la National communications authority (NCA) a permis de découvrir qu’en plus des décodeurs homologués, certains concessionnaires vendaient des récepteurs non certifiés.
Pourquoi tant de divergences entre les pays dans la chaîne d’approvisionnement en décodeurs TNT ? Comment la distribution est-elle organisée ? Ces équipements sont-ils produits selon les normes ? Faut-il les acheter à l’étranger ou les assembler sur place ? A qui profite ce marché ?
La Chine, principal pourvoyeur en décodeurs
Il semble probable que la majorité des décodeurs disponibles sur les marchés africains soient fabriqués en Asie, principalement en Chine, même si certains pays africains ont pris des mesures pour s’assurer que les appareils sont fabriqués (ou peuvent être assemblés) localement. « Le souhait des fabricants est de pouvoir couvrir autant de pays que possible avec leurs produits. Il est donc utile que plusieurs pays d’une même région aient des exigences communes », révèle, à Cio Mag, Emily Dubs, Directrice de la Technologie au Bureau de projet Digital video broadcasting (DVB). Basé à Genève, en Suisse, le consortium européen DVB définit l’ensemble des normes de télévision numérique utilisées dans un grand nombre de pays.
Si DVB ne s’attache pas à la taille des fournisseurs de décodeurs TV, ni à la valeur financière de ce marché, le Bureau admet toutefois qu’un « profilage régional ou sous-régional » est utile. Il garantit l’accès des populations à des décodeurs homologués. Un tel profilage, rassure Emily Dubs, « offre une certitude à toutes les parties de la chaîne de valeur et contribue à soutenir, avec succès, le déploiement des services TNT ».
Réseaux DVB, ISDB-T et DTMB
A ce jour, trois services de décodeurs sont diffusés en Afrique : le réseau européen DVB, le système japonais ISDB et le service chinois DTMB. Selon notre spécialiste, la technologie DVB-T2 de deuxième génération est diffusée dans trente-sept pays, tandis que la technologie DVB-T de première génération est utilisée dans neuf pays. « Une petite poignée de pays a à la fois des réseaux DVB-T et T2. Et, dans quelques pays, il n’y a pas de service TNT officiel, mais uniquement la télévision payante sur TNT proposée par des opérateurs privés », explique la Directrice de la Technologie chez DVB. Elle ajoute : « Le Botswana a lancé les services ISDB-T. L’Angola a également adopté le système, un service pilote, lancé en 2018, restant opérationnel aujourd’hui.
Selon Emily Dubs, tous les autres pays d’Afrique, qui n’ont pas encore lancé de services TNT, ont indiqué qu’ils utiliseraient le DVB-T2, à l’exception des Comores, où le système DTMB chinois est utilisé depuis 2016. « Historiquement, les récepteurs ISDB-T étaient généralement plus chers que les récepteurs DVB-T / T2. Pour une part en raison d’une technologie plus complexe, pour l’autre à cause du déploiement beaucoup plus large de la DVB, ce qui se traduisait par de fortes économies d’échelle ».
Afin d’apporter plus d’éclairage sur les différences technologiques entre les standards ISDB-T et DVB-T2, une étude comparative a été menée, en 2015, par des universitaires sud-africains. Oswald Jumira et Jaco du Toit, sous la conduite de Dr R Wolhuter, ont étudié l’architecture, les paramètres et les coûts liés aux décodeurs. Cette enquête révèle que le système DVB-T2 de deuxième génération est bien supérieur à ISDB-T et DVB-T. Il nécessite pratiquement la même puissance d’émetteur que DVB-T (ou ISDB-T) pour fournir un débit de données net de 50 % supérieur à ce qui peut être fourni via DVB-T et ISDB-T, dans la même bande passante de canal de 8 MHz (1,7 dB supérieur C / N requis pour fournir 59 % de débit de données net en plus). Le DVB-T2 peut être déployé dans des SFN beaucoup plus grands, offrant une efficacité spectrale encore plus importante.
« Les récepteurs doivent être abordables, sinon la transition numérique échouera »
Dans cette enquête, on apprend également que le prix et les coûts liés aux décodeurs sont d’un grand intérêt lorsque l’on considère la norme TNT à adopter dans un pays donné. Enfin, l’étude défend la thèse selon laquelle le coût du récepteur est le critère le plus important, en particulier pour les pays en développement. « Les récepteurs doivent être abordables, sinon la transition numérique échouera (…) Même si tous les nouveaux téléviseurs ont un décodeur numérique terrestre intégré, le cycle de remplacement des téléviseurs est généralement de dix ans ou plus. Les décodeurs offrent un moyen crucial de lancer la transition vers la télévision numérique et les consommateurs aiment les décodeurs à bas prix, car ils évitent d’avoir à remplacer les téléviseurs », concluent les universitaires sud-africains.
Article paru dans Cio Mag N°68, Janvier – Février – Mars 2021