Alors que le Digital African Tour Burkina 2019 a ouvert le débat sur l’apport de l’open data dans l’amélioration de la gouvernance, Jaafar Dehbi, consultant IT6 en ingénierie et management des systèmes d’information revient sur le cas Burkina. Il décrypte pour Cio Mag, les préalables que le pays se doit de mettre en place pour la vulgarisation de l’open data. Pour lui, « il y a un ensemble de partie prenante qu’il faut activer ».
Cio Mag : En quoi l’ouverture des données, l’open data, permet-elle d’améliorer la gouvernance ?
La gouvernance fait référence à la création de la valeur ajoutée à travers toute la chaîne de valeur d’un pays, toutes les filières, de manière transversale à toute l’économie. Par rapport à cela, il y a des offres intéressantes qui vont suivre. Le tourisme, l’économie sociale et solidaire, la construction et la rentabilisation des infrastructures, la santé, l’organisation de l’éducation nationale, etc., peuvent bénéficier de l’open data. Bref, l’open data permet de définir des politiques de développement bien structurées. De la même manière qu’il permet la participation citoyenne, il garantit aussi la redevabilité nécessaire pour une gouvernance responsable.
Au Burkina, quel en serait l’enjeu par exemple ?
Dans une logique de gouvernance globale, il est intéressant pour le Burkina Faso d’aller ver l’Open data. Il y a déjà un premier exercice grandeur nature qui a été une réussite. Je veux parler de l’accompagnement des élections de 2015 par l’Open data. C’est un exercice à capitaliser dans l’ensemble de l’administration publique du Burkina, dans une logique de transparence.
A votre avis, le Burkina est-il prêt pour aller vers l’ouverture des données ?
Il y a au moins quatre défis à relever en termes de prérequis. Il y a la sécurisation des données, le coût de production de l’open data ; le troisième défi serait les compétences techniques, et le quatrième, la contribution des parties prenantes.
Concernant la sécurité, il y a un souci de normalisation. Il faudrait un format numérique d’open data spécifique au Burkina Faso. Avec des parties prenantes comme l’ANSSI – Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information-, la DGTIC – Direction général de la promotion des TIC-. Sur le plan technique lié à la sécurité, il n’y a pas, à mon avis de frein réel. Les architectures modernes techniques des systèmes d’information permettent toute sorte de confidence technique, même en prenant en compte les offres des acteurs de l’open source ou des acteurs spécifiques.
Toujours à propos du grand axe de la technique, encore une fois, nous estimons, de par notre expérience technique en ingénierie d’information ou en management des systèmes d’information, et pour avoir validé les formats spécifiques à l’open data, qu’il n’y a aucun frein quant à la réalisation de l’open data au Burkina. Il y a des API qui sont totalement ouverts pour une naturalisation et un rafraîchissement permanent des données. D’ailleurs, c’est ce qui a été mis en œuvre dans le cadre des élections de 2015 au Burkina Faso ; pour dire que tout ceci est totalement possible.
Concernant le coût de production, il y a un ensemble de partie prenante qu’il faut activer, notamment les acteurs de téléphonie qui ont un rôle à jouer et qui devraient trouver un intérêt à héberger des services d’open data, à produire de l’open data.
« Finalement, tout l’enjeu est dans l’incitation à la production de l’open data. »
L’Etat n’aurait-il pas lui aussi un rôle à jouer dans la promotion de la production des données ouvertes ?
L’Etat de son côté a un rôle à jouer en légiférant. Par ce fait, l’Etat devrait aider l’ensemble des entrepreneurs de l’écosystème digital à mieux produire de la donnée ; en proposant par exemple des incitations fiscales. L’Etat pourrait prévoir un cadre spécifique à toute la filière du digital à travers un assouplissement fiscal. Il y a plusieurs expériences à travers le monde, dans la logique de « Doing Busines ». Ce qui veut dire, en clair que la réduction d’impôt sur la filière digitale contribuerait dans un premier temps au développement de la filière, et permettrait ensuite d’améliorer la gouvernance de toute l’industrie du Burkina.
Finalement, tout l’enjeu est dans l’incitation à la production de l’open data. Le vrai défi est dans la constitution des amas de données qui sont dites d’open data mais qui peuvent par la suite nourrir le Big data et l’intelligence artificielle. C’est ce qu’on appellerait le « clound collecting » et moi je l’appelle le « cloud doing ». Il s’agit de faire en sorte que plus d’acteurs s’engagent dans la production de la donnée. Un exemple concret : celui de la ville de Ouagadougou où vivent environ deux millions d’habitants et où il y a environ un million de vélos moteurs. Imaginez le nombre de producteurs qui existerait si l’on pouvait développer un business model attractif à ce million de producteurs de données ! Tout le monde y serait gagnant. Et c’est là, le vrai défi.
De manière très concrète, pour produire de l’open data, il faut une logique intégrée qui repose sur des approches structurantes de type « top down » par le fait de l’action du gouvernement et par le fait du crowd doing, par les populations elles-mêmes.
Que fait IT6, le cabinet où vous êtes consultant en ingénierie des systèmes d’information dans ce secteur d’open data ?
Au Burkina, nous accompagnons justement le MDENP à la modernisation des systèmes d’information, en particulier la DGTIC. Nous applaudissons le Burkina pour la volonté de moderniser l’ensemble des systèmes d’information. C’est un important effort qui est fait, né de la volonté et de la prise de conscience que la mutualisation est toujours un important levier de développement de l’ensemble des systèmes de l’Etat. Nous travaillons aussi sur l’élaboration d’un cadre commun à l’organisation des systèmes d’information de l’Etat. Nous abordons ainsi tous les éléments, que ce soient les progiciels, les applications, les éléments d’infrastructures, la cybersécurité. Toute sortes d’axes et de problématiques liés à cela ; en partant de la réalité que cette volonté de mutualiser est noble et qu’il faut l’accompagner au bénéfice du citoyen burkinabè ou du producteur de la valeur ajoutée, l’Etat ou l’administration.
Propos recueillis par Souleyman Tobias, au Digital African Tour Burkina 2019