La Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) et l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ont récemment organisé, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), un webinaire sur les enjeux et défis juridiques de l’économie numérique en Afrique et dans la sphère francophone. Invités à cette e-conférence, le Bénin, le Togo, la Guinée, la Côte d’Ivoire et Madagascar, ont défendu la vision et les avancées du commerce électronique dans leurs pays respectifs.
(CIO Mag) – La Commission des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) décernait en septembre 2020 au Bénin, un satisfecit suite à l’évaluation de son état de préparation au commerce électronique. Un mois plus tard, le pays dévoilait sa plateforme nationale de paiement électronique, pour favoriser la généralisation des e-services. Un contexte bien assez particulier car, en 2018 déjà, un code du numérique de 647 articles fixait le cadre règlementaire au développement du numérique.
Il offre une nouvelle perspective législative aux aspects liés au e-commerce tels que les communications électroniques, les services de confiance à l’instar du certificat électronique, la protection des données à caractère personnel, etc. Les droits et devoirs du client et du marchand y sont mentionnés et une série de décrets confortent cette loi par rapport à l’évolution des pratiques.
« La posture du Bénin n’est pas de créer des marketplaces mais des conditions pour que le secteur privé lui-même décide de ce qu’il veut faire en termes du commerce électronique et d’échanges. Cela nous oblige à voir les défis des acteurs économiques et à les adresser de manière générale en ce qui concerne la maturité numérique », assure Serge Adjovi, alors Directeur général de l’Agence pour le développement du numérique (ADN).
Il participe au même panel portant sur : « la vente au défi du numérique : la réglementation du commerce et des transactions électroniques », que des experts de l’OHADA et d’autres pays africains. Pour lui, « l’option du Bénin est de mettre en place une plateforme nationale des paiements électroniques qui n’aura pas l’exclusivité des paiements électroniques mais qui permettra à la fois aux petites et aux grandes transactions d’être prises en compte. » Il se pose alors des défis relatifs à la sécurisation des paiements, l’accessibilité et la nécessité d’harmoniser la législation dans la sous-région, en Afrique et au niveau international en vue de protéger le commerçant béninois. Ce dernier étant appelé à faire des échanges avec ses concitoyens et le reste du monde.
Harmonisation du cadre juridique
En Afrique comme dans le reste du monde, la crise pandémique a accéléré la prise en compte de la transformation numérique par les gouvernements. Cependant, des disparités existent toujours. Selon les chiffres de l’Union internationale des télécommunications (UIT), on enregistre 82% de connectivité en Europe contre 28% en Afrique, pour une moyenne globale de 57%. En outre, une étude sur l’économie des plateformes publiée en 2019 par la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) révèle que 90% de la valorisation totale sur le plan économique des plateformes était aux mains des USA (63%) et de la Chine (27%), avec seulement 2,3% pour l’Afrique.
Cela n’empêche pas heureusement l’adoption de législations en matière de transactions électroniques sur le continent. 61% des pays l’ont fait. « Dès le début du 21ème siècle, la Commission Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté des textes communautaires pour faciliter les transactions électroniques et pour les protéger », informe Dr Raphael Koffi, Directeur de l’économie numérique et des Postes à la Commission de la CEDEAO. Il a cité en exemple l’acte additionnel sur les transactions électroniques, l’acte additionnel sur la protection des données à caractère personnel et la directive sur la lutte contre la cybercriminalité pour encadrer les risques encourus en cas de recours au e-commerce.
Mais la mise à jour, la mise en œuvre des cadres règlementaires et harmonisés, l’accès abordable aux infrastructures à large bande, la sécurisation des transactions électroniques y compris les moyens de paiement, restent des défis à relever. En Guinée, c’est le manque de volonté politique pour accompagner les e-commerçants, l’accès à la connexion internet, la bancarisation et la concurrence des réseaux sociaux qui sont des casse-têtes pour Thierno Mamoudou Sow, CEO Arabinènè Marketplace, seul site d’e-commerce du pays. Il est spécialisé dans la mise en relation entre les vendeurs et les acheteurs.
Depuis la création de son site le 7 juillet 2019, Thierno Mamoudou Sow fait feu de tout bois pour satisfaire sa clientèle. Mais 90% des paiements se font à la livraison. « Nous avons essayé d’intégrer tous les moyens de paiement disponibles au niveau local sur notre plateforme. Mais le mode le plus utilisé est le paiement à la livraison et le moins utilisé est le paiement par cartes. »
Inclusion financière des populations
En Côte d’Ivoire, au Togo et à Madagascar, l’accent est mis sur cadre règlementaire. « Le développement du e-commerce en Côte d’Ivoire a un intérêt pour l’inclusion financière des populations et des entreprises. Il leur permet d’accéder à moindre coût, à des produits et services financiers adaptés à leurs besoins : transactions, épargnes, crédits et assurance proposés par des prestataires responsables et fiables », précise Jules Mognin du Ministère de l’économie et des finances de Côte d’Ivoire. Toutefois, trois principaux textes dénotent des avancées juridiques du commerce électronique dans le pays : la loi relative au e-commerce, celle sur la protection des données à caractère personnel et la loi portant sur la lutte contre la cybersécurité.
Au Togo, la vision stratégique est de faire de l’Etat, un acteur pilote de la transformation digitale, en mettant en place les conditions pour digitaliser les grands principaux parcours utilisateurs. C’est à cela que répond la stratégie Togo 2020-2025 pour adresser l’une des questions phares qu’est le taux de connexion à internet évalué à 22% en 2019. Il y a aussi les défis juridiques, financiers et institutionnels tels que l’amélioration du cadre existant, la méconnaissance du cadre juridique existant, la signature et la ratification des accords multilatéraux.
Des challenges, Madagascar en a plusieurs. Déjà, c’est à partir de 2006 que le pays a commencé à travailler sur des projets de digitalisation au sein de l’administration, principalement la banque et les impôts. Alors que la loi sur la dématérialisation des procédures administratives n’a pas abouti, un comité de pilotage pour le développement du commerce électronique a été mis en place. Sa mission : travailler sur la mise en place du cadre juridique.
« Le socle juridique de base de l’e-commerce a été adopté et mis en place en 2014. Il s’agit de la loi sur la signature électronique, la loi sur les transactions électroniques, la loi sur la dématérialisation des procédures administratives, la loi sur la protection des données personnelles et la loi sur la cybercriminalité. En 2017, il y a eu une loi sur la monnaie électronique et les établissements de monnaie électronique », précise Lisiniaina Razafindrakoto, Directeur des réformes et du développement du secteur privé de Madagascar.
A l’instar de la plupart des pays africains, Madagascar a encore besoin de renforcer son cadre juridique, l’accès à internet, régler le problème d’électricité, la logistique et la livraison. Il en est de même pour le renforcement des moyens de paiement de monnaie électronique, les associations de protection des consommateurs et le développement des compétences dans l’économie numérique.
Michaël Tchokpdo