Dans ce numéro largement consacré à l’économie numérique algérienne, il devait être question, dans un premier temps, de comprendre s’il existait une véritable stratégie de conquête du marché africain par les entreprises algériennes. Au fil des interviews, nous avons pu constater, qu’au-delà des vœux pieux, l’Algérie, qui réfléchit à l’après pétrole et à la diversification de son économie – notamment avec le digital – n’avait, pour l’heure, pas forcément mis l’Afrique au rang des priorités. Et pourtant, juste après les indépendances, ce grand pays africain a été le premier du Maghreb à ouvrir ses portes aux étudiants subsahariens.
Pour preuve, plusieurs générations d’ingénieurs ont été formées en Algérie jusque dans les années 1990, avant la « décennie noire », qui a endeuillée le pays. Cette tragédie a fatalement impacté la coopération entre l’Algérie et ses voisins africains du Sud Sahara. Jusqu’à cette époque, la coopération avait pourtant porté sur le capital humain, un maillon essentiel qui a permis de renforcer les relations diplomatique, économique, culturelle, voire même cultuelle, avec certains pays d’Afrique de l’Ouest.
Au plan continental, les échanges interafricains ne sont déjà pas très significatifs. Ils n’excèdent pas 10% du total des échanges commerciaux du continent, alors que les échanges inter-européens atteignent plus de 80% et ceux entre pays asiatiques 60%. Si les échanges entre pays africains sont caractérisés par cette déficience chronique, l’Algérie ne déroge pas à cette règle. Elle est davantage tournée vers l’Europe et les autres continents que vers l’Afrique. D’après les statistiques, la valeur globale des exportations algériennes vers le continent africain, hors pays du Maghreb, dépasse à peine 50 millions de dollars. Et c’est en grande partie l’apanage de grands groupes dans les secteurs pétroliers, industriels et agroalimentaires. La part des services reste marginale. Pendant ce temps, les exportations du voisin marocain vers le reste de l’Afrique ont plus que triplé entre 2008 et 2016, passant de 333 millions à 1 milliard de dollars. En marquant un positionnement clair en direction de l’Afrique, le Maroc a confirmé que son destin économique était lié à celui du continent.
Co-construire un destin commun
Lorsque je reviens de nos Digital African Tour, mes amis algériens me posent souvent des questions sur les audiences, notamment sur la participation des entreprises étrangères lors de mes passages dans les différentes capitales africaines. Souvent, ils sont déçus que je ne cite pas les leurs parmi les entreprises représentées. Ils le sont autant de savoir que les rares algériens participant aux Rendez-vous des acteurs de la transformation digitale de l’Afrique représentent majoritairement des multinationales étrangères.
Fort de notre positionnement panafricain, nous souhaitons inciter l’écosystème digital algérien, qui s’illustre par son dynamisme, et réparer cette injustice en l’invitant à la co-construction d’un destin africain commun. Nos défis sont innombrables et semblables. Je suis d’avis que le digital pourrait aider l’Algérie à renforcer sa présence africaine, notamment via le rachat de licences dans la téléphonie mobile ou par des levées de fonds pour les start-up. L’objectif serait de soutenir la co-création d’applications utiles aux différents pays. L’Algérie est également bien positionnée pour réinvestir le champ de la formation. Sur ce point, il est attendu que la coopération avec le continent s’accentue et que les échanges pédagogiques lui permettent de reprendre progressivement sa place dans la formation des cadres et des ingénieurs. Pour ce faire, il est essentiel que l’Algérie multiplie les liens avec les pays africains voisins. Ainsi, elle confirmera que l’Afrique a beaucoup à apporter aux Africains.
Nous avons le plaisir de consacrer ce numéro à l’Algérie. Lors des enquêtes, nous avons rencontré des femmes et des hommes remarquables, ce qui en dit long sur les talents dont regorge ce pays. Ces professionnels aux parcours impressionnants ont accepté de partager, avec nous, leurs expériences.
C’est avec ces personnalités du numérique que nous vous proposons de faire le tour d’horizon d’un écosystème très dynamique, mais qui gagnerait à imprimer davantage son ancrage sur le continent africain, plutôt que d’être trop systématiquement tourné vers la Sillicon Valley ou vers d’autres places fortes du marché du digital mondial.
Edito de Mohamadou Diallo dans CIO Mag N°54, Septembre/Octobre 2018