Dans l’écosystème des technologies numériques en Afrique, les technologies éducatives (EdTech) sont encore à la traîne car sous-investies, avec très peu de startups et sans grande influence dans un secteur pourtant prioritaire.
Les Objectifs de développement durable (ODD), à l’horizon 2030, recommandent en leur point 4 : « une éducation de qualité » pour tous. En Afrique, l’accès à l’éducation de qualité reste un défi majeur, en raison de la pauvreté, du manque d’infrastructures éducatives, du personnel qualifié et d’un ratio écoles-populations inéquitable. Comme une bouée de sauvetage, le numérique devrait apporter au secteur éducatif, un meilleur accès au matériel pédagogique en ligne, et une communication apprenants-enseignants plus efficace.
D’après Internet Society, le taux de pénétration à internet en Afrique est évalué à 13% depuis 2021. Un taux encore minime et qui n’est pas de nature à favoriser l’adoption massive des technologies numériques, en l’occurrence des EdTech. Selon le rapport mondial de suivi sur l’éducation en 2023, au cours des 20 dernières années, les apprenants, les éducateurs et les institutions ont largement adopté les outils technologiques numériques.
Le nombre d’étudiants inscrits à des cours en ligne ouverts à tous est passé de 0 en 2012 à au moins 220 millions en 2021. L’application d’apprentissage linguistique Duolingo comptait 20 millions d’utilisateurs journaliers actifs en 2023, et Wikipédia a enregistré 244 millions de consultations par jour en 2021. Au niveau mondial, le pourcentage d’utilisateurs d’Internet est passé de 16 % en 2005 à 66 % en 2022. Environ 50 % des établissements du premier cycle du secondaire dans le monde étaient connectés à Internet à des fins pédagogiques en 2022.
Cependant, nuance ledit rapport, le fait de consacrer des ressources à la technologie plutôt qu’aux salles de classe, aux enseignants et aux manuels pour tous les enfants dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure qui manquent d’accès à ces ressources est susceptible d’éloigner le monde de l’atteinte de l’objectif mondial relatif à l’éducation, l’ODD 4. Certains des pays les plus riches du monde ont assuré l’enseignement secondaire universel et les compétences minimales d’apprentissage avant l’avènement des technologies numériques. Les enfants n’ont pas besoin d’elles pour apprendre.
2% de l’investissement en Afrique
« Éducation & Jobs, attirent moins de 2% de l’investissement total sur le continent, notamment en l’absence de mega deal comme celui d’Andela en 2019 et 2021. Nous pensons que ce dernier secteur, si nous le considérons dans son ensemble avec des entreprises allant de la petite éducation jusqu’à la formation professionnelle et la recherche d’emploi, reste relativement sous-investi », affirment Maxime Bayen et Max Cuvellier Giacomelli, cofondateurs d’Africa The Big Deal, dans une analyse pour Cio Mag sur les défis et les progrès du continent en matière d’investissement des startups.
Un rapport sur l’évaluation du paysage de l’écosystème EdTech dans les six pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) a été présenté en décembre 2023 en Côte d’Ivoire. En marge de ces travaux, Albert Nsengiyumva, secrétaire exécutif de l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA) décryptait les principales conclusions de ce rapport.
Pour lui, « au sein du paysage EdTech dans l’Uemoa, il y a un nombre important de startups en matière de technologies numériques dans l’éducation, à peu près une soixantaine. Il faut reconnaître qu’au-delà des startups, il y a des sociétés de télécommunications qui offrent l’accès à l’infrastructure mais aussi l’application, lesquelles peuvent être utilisées pour répondre à certains besoins en matière d’intégration du numérique dans l’éducation. » A noter que l’Uemoa compte six pays pour plus de 120 millions d’habitants.
« Les possibilités de création des écosystèmes EdTech dans les pays de l’UEMOA sont plus favorables aujourd’hui. Il y a 20 ans, la discussion était autre », fait-il remarquer. A juste titre. Car, « Il y a 15 ou 20 ans, quand vous dites que vous faites des études en ligne, cela n’avait pas de valeur. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle (IA) a complètement bouleversé l’éducation. L’IA ne va pas remplacer les enseignants mais c’est une autre forme d’apprentissage beaucoup plus efficace. Elle va fermer les fossés numériques en Afrique. Plus on avance dans l’écosystème de la transformation numérique, plus on crée beaucoup d’illettrés. Mais plus on adopte l’IA, cela permettra aux illettrés d’utiliser les outils de transformation numérique », réagit le directeur général de Smart Africa, Lacina Koné, dans une récente interview.
A cette nouvelle tendance, s’ajoute l’adoption progressive du mobile learning. Car, à en croire le rapport 2021 de la GSMA, la pénétration de la téléphonie mobile en Afrique pourrait atteindre 50%, soit plus de 600 millions de connexions, dont 65% via des smartphones d’ici à 2025.
« Accès au financement »
Selon un rapport publié le 6 septembre 2023 par le groupe de réflexion sur l’innovation dans le domaine de l’éducation Injini Think Tank, intitulé « African EdTech Insights Report », les start-ups africaines spécialisées dans l’éducation ont levé 140 millions de dollars seulement durant la période 2015-2022. Il précise aussi que le nombre des start-ups ayant réussi à mobiliser des financements est passé de 210 en 2020 à 419 en 2022. Les jeunes pousses qui ont réussi à séduire les investisseurs au cours de l’année écoulée se trouvent essentiellement parmi le big four, notamment au Nigeria (95), en Afrique du Sud (64), au Kenya (45), en Egypte (36) et au Ghana (22).
Au Bénin, BookConnect est l’une des rares startups EdTech assez constante dans son évolution depuis 2020. C’est la première librairie 100% digital au Bénin, ayant près de deux mille livres dans sa base de données. « Notre principal challenge, c’est l’accès au financement. Nous avons un produit qui répond à un problème. Nous avons des clients et nous sommes dans une perspective de croissance afin de pouvoir augmenter notre fonds de roulement, notre capacité et les membres de l’équipe, pouvoir nous étendre dans d’autres villes, la demande est quand même de plus en plus croissante, etc. », explique Augustino Agbemavo, manager général de BookConnect.
« Comment aider les startups EdTech à accéder aux marchés ? Sans cela, elles ne peuvent rien faire. En leur donnant des possibilités d’avoir accès aux marchés, cela leur permet d’innover davantage. S’il y a de la demande, cela leur permettra d’être créatifs. Il y a l’absence des politiques pour promouvoir ces startups qui ont un rôle important dans l’intégration des nouvelles technologies, pas seulement dans l’éducation mais également dans les autres domaines », constate Albert Nsengiyumva.
« L’autre challenge, poursuit Augustino Agbemavo, c’est le modèle économique. L’éducation étant un secteur un peu sensible. Créer une solution, répondre à un problème en mettant en place un modèle économique pour se faire de l’argent n’est parfois pas bien perçu. » Il en arrive à la conclusion que « l’éducation n’est peut-être pas un secteur privilégié comparé à la finance ou à la santé. Quand tu dis que tu es dans la EdTech, on te prend comme quelqu’un qui fait du social. Il y a un peu ces éléments qui font qu’il n’y a pas beaucoup de champions ou d’opportunités dans le domaine. Alors que derrière, il y a un marché, des besoins et de l’argent à se faire. »
Révolution digitale tardive
Le rapport mondial de suivi sur l’éducation de 2023 est revenu sur les risques d’utilisation de l’EdTech. Il rapporte que parmi les aspects négatifs et néfastes de l’utilisation des technologies numériques dans l’éducation et la société, on compte le risque de distraction et l’absence de contact humain. Les systèmes d’éducation doivent être mieux préparés en vue de dispenser un enseignement au sujet de et par les technologies numériques.
D’après le même rapport, l’EdTech est un outil qui doit servir l’intérêt supérieur de tous les apprenants, enseignants et administrateurs. Il faut partager plus largement des données impartiales montrant que la technologie est utilisée à certains endroits pour améliorer l’éducation, ainsi que de bons exemples d’une telle utilisation, afin que l’on puisse garantir des modalités d’utilisation optimales dans chaque contexte.
Par ailleurs, il évoque aussi le manque de données solides et impartiales sur l’impact des technologies éducatives, mais aussi les disparités que les technologies éducatives créent. « Dans le monde, indique-t-il, seuls 40 % des écoles primaires, 50 % des établissements du premier cycle du secondaire et 65 % des établissements du deuxième cycle du secondaire ont une connexion Internet et 85 % des pays disposent de lois ou de politiques visant à améliorer la connectivité des établissements scolaires ou des apprenants. » Au-delà de ces aspects, les plateformes éducatives s’exposent à des risques de vol de données personnelles et de cyberattaque.
Et si en Afrique, l’EdTech est encore à la traîne, c’est parce que « le secteur de l’éducation est l’un des derniers à connaître sa révolution digitale sur le continent », mentionne l’« African EdTech Insights Report».