Diplômé de l’INPHB de Yamoussoukro et de HEC Paris, Issa Sidibé a travaillé en France puis au Luxembourg dans l’environnement bancaire, notamment dans le Conseil et l’Audit interne. Revenu en Côte d’Ivoire dans le fonds Cauris Management, il a cofondé en 2014 la startup Taxi Jet. Depuis 2016, il est repassé côté investisseur et accompagne les PME et startups à travers Comoé Capital, dont il est cofondateur.
Par Anselme AKEKO
Présentez-nous Comoé Capital ?
Comoé capital est un fonds d’investissement dédié aux PME et startups en Côte d’Ivoire. Nos tickets partent de 20 millions à 300 millions de francs CFA. Ils couvrent tous les secteurs d’activité et toutes les maturités, ce qui veut dire qu’on peut aussi accompagner des entreprises qui n’ont pas un historique de fonctionnement. Nous avons comme actionnaire Investisseurs & Partenaires (I&P), un fonds d’investissement panafricain qui a des tickets compris entre 300 millions et 2 milliards francs CFA environ.
Ce fonds s’est rendu compte qu’il y avait des besoins pour des montants inférieurs à 300 millions mais qui sont difficilement gérables depuis leurs locaux basés à Paris. Il a donc décidé de créer des fonds dans dix pays d’Afrique dont la vocation sera d’accompagner les PME et startups. Ainsi a été créé Comoé Capital (l’équivalent de Teranga Capital au Sénégal), avec des actionnaires locaux. A savoir NSIA Assurances & Banque, Orange, Société générale, Eurofind participation, Hotter, la holding de financement appartenant à Yasser Ezzedine, un entrepreneur ivoirien chevronné, promoteur entre autres de CDCI, l’un des principaux distributeurs du pays.
Ces actionnaires apportent leurs connaissances sectorielles et leurs réseaux aux PME et startups que nous accompagnons, et on le sent déjà dans les premiers investissements. Parallèlement, Comoé Capital est gestionnaire d’un fond dédié à l’éducation, issu d’un partenariat entre la fondation Jacobs et I&P.
Quels sont ces investissements ?
Notre premier investissement a été réalisé dans une maison d’édition du nom de Vallesse. Dans un secteur dominé par les ouvrages scolaires et par NEI-CEDA, Vallesse a su montrer sa capacité à promouvoir de jeunes auteurs et en même temps d’attirer des auteurs de renom. A la suite de cet investissement, nous avons accompagné une start-up portée par un jeune promoteur. L’entreprise, qui se définit comme l’université des entreprises compte réduire le gap entre la formation théorique et les besoins des entreprises. Elle travaille avec des entreprises de premier plan pour la création de cours pratiques, adaptés aux besoins de ces entreprises.
Nous avons aussi eu l’approbation pour financer une phase pilote d’une start-up basée à Station F en France qui veut développer des projets innovants en Côte d’Ivoire. Nous disposons donc d’une palette d’instruments permettant de répondre aux besoins des entreprises innovantes, dans un environnement difficile.
Comment se présente le marché ivoirien des fonds d’investissements ?
Il doit avoir une bonne trentaine de fonds actifs en Côte d’Ivoire mais rares sont les fonds en Côte d’Ivoire qui investissent en dessous d’un milliard de francs CFA. Une startup qui cherche un financement de 300 millions en Côte d’Ivoire aura trois options : aller vers une banque, qui va lui demander des garanties qu’une startup ne pourra pas donner ; se tourner vers la microfinance, et là ce sera un financement de bons de commande sur le court terme et avec des taux d’intérêt élevés; ou venir à nous. En plus de l’accompagnement financier, nous travaillons surtout à accompagner les PME et start-up dans le cadre du renforcement de leurs capacités mais aussi dans la mobilisation des ressources, en faisant appel par exemple à des expertises externes financées par notre enveloppe d’assistance technique ou encore à travers notre réseau et celui de nos actionnaires.
Peut-on dire que les startups accèdent facilement aux financements ?
Dans mon ancienne vie, j’ai cofondé la startup Taxi Jet avec des amis ; nous avons eu beaucoup de mal à lever des fonds ici, on a pu le faire en Angleterre. C’est aussi pourquoi nous avons créé Comoé Capital. Avec un fort mandat d’accompagner des startups dans le numérique mais aussi des PME matures. Nous passons beaucoup de temps dans l’analyse du profil et du projet de l’entrepreneur, et on s’assure que le promoteur à une vision long-terme. L’adéquation entre le profil du promoteur et sa capacité à réaliser le projet est déterminant pour nous.
De plus, je pense qu’il y a un problème de maturité de notre écosystème au niveau des start-ups. Des structures se mettent en place pour les accompagner mais une chose est sûre, c’est qu’ils ont moins d’accès au financement que ce qu’on peut voir en Europe ou aux Etats-Unis. Dans la sous-région, je sais que le Ghana doit avoir plus de financement que nous. Des pays comme le Burkina ou le Mali ont moins d’options que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun.
Le cadre réglementaire n’est-il pas aussi un frein au développement des startups ?
Le cadre réglementaire doit être forcément revu. Le code d’investissement est mis en œuvre par le CEPICI (Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire, Ndlr), mais en même temps il y a des signaux contraires qui sont envoyés. Premier signal, la nouvelle annexe fiscale. L’impôt minimum forfaitaire pour toute entreprise, qu’elle ait fait du chiffre ou pas, est fixé à cinq millions de francs CFA. C’est un peu comme si on faisait une promotion de l’informel ! Aujourd’hui, c’est une petite partie de l’économie qui paie tout l’impôt. Du coup, la pression fiscale est importante depuis les grandes entreprises jusqu’aux startups.
Deuxième signal, l’environnement actuel qui ne permet pas aux entrepreneurs de prendre des risques. Tant qu’on ne crée pas un environnement pour dire : « Vas-y, tu peux prendre des risques », on assistera difficilement à l’éclosion de startups. Des pays comme la France ont mis en place l’assurance chômage pour les entrepreneurs, une sorte de filet de sécurité qui encourage l’entrepreneuriat. On n’a pas forcément les moyens de le faire ici mais il faut réfléchir à des dispositifs qui permettent aux entrepreneurs de prendre des risques. Enfin, il faut former l’entrepreneur mais aussi ses collaborateurs. En somme, il y a un problème de fiscalité, de risque et de ressources humaines.
Dans ce contexte, il ne faut pas espérer voir émerger une licorne ?
Ce n’est pas facile. Déjà, la licorne se crée parce qu’on a fait un modèle qui est scalable dans une économie dans laquelle on peut scaler. Avec une population de 22 millions d’habitants à moitié analphabète, un taux de pauvreté de 46%, c’est difficile de dire qu’on aura une licorne. Du coup, les entrepreneurs qui veulent créer des licornes doivent tout de suite penser Afrique.
Or avec les barrières entre pays, les coûts des billets d’avion, de logistique, les barrières culturelles et linguistiques, ce n’est pas impossible mais c’est difficile. Des pays tels que la France ont du mal à faire sortir des licornes comme aux Etats-Unis où il y a plus de 300 millions d’habitants. Essayons d’abord d’avoir des startups qui réussissent à se pérenniser sur trois à cinq ans.