Jules Njiogang : “L’Afrique, qui a vu naître le Mobile banking en reste le fer de lance”

  • 12 février 2017
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Jules Njiogang est très connu dans le monde de la finance au Cameroun. Il est ingénieur des systèmes d’informations avec pour spécialité Banque digitale et totalise plus de 15 ans d’expérience dans les domaines spécifiques comme E-banking, Agence Banking et mobile banking. Il a travaillé dans le cadre de la mise en place de ces services dans plusieurs institutions financières dans la sous région CEMAC et la grande Afrique Centrale et de l’Est. Il a bien voulu se prêter aux questions de CIO Mag qui est allé le rencontrer en plein séminaire à Yaoundé.

Qu’est-ce qui explique aujourd’hui que les opérateurs de téléphonie mobile MTN, Orange et Nexttel entrent de plain pied dans le monde de Ebanking et Mbanking?

Je voudrais tout d’abord éclairer les lecteurs sur le fait qu’il existe une différence entre la banque mobile (Mbanking), l’electronique Banking (Ebanking) et la monnaie mobile (mobile money). Le premier terme fait référence aux services bancaires accessibles numériquement à distance via téléphone. Il est une solution adaptée au métier de la Banque. A ce titre, il est avant tout destiné à une clientèle bancaire ; le second fait référence aux services bancaires liés à la carte et à l’internet (Carte visa, Master, etc.) et le troisième fait référence au porte-monnaie électronique (stocké sur téléphone). Il peut être considéré par certains auteurs comme du mobile banking au sens large. Pour revenir à votre question, partant du fait que la bancarisation de la population est une étape préalable au développement économique d’un pays et que l’accès aux services bancaires permet de faciliter les flux financiers et de stimuler l’économie locale, les operateurs de téléphonie mobile ont très vite compris que le contexte du mobile banking (Mobile money) est une opportunité pour la réduction de l’exclusion financière et surtout pour les oubliés du système Bancaire classique. D’où leur entrée de plein pied dans ce monde. La chose la plus intéressante est que les Camerounais ont déjà adopté ce concept car ceci vient réduire la circulation de la liquidité (cash).

Quelle est la politique que recherchent ces opérateurs?

La politique que recherchent les opérateurs est de promouvoir les moyens de paiement en :
– Renforçant le taux de bancarisation et en facilitant ainsi l’accès aux services financiers de base à une tranche importante de la population
– Diversifier les outils financiers adaptés aux populations sous bancarisées.

“Le Mobile Banking (Mobile money) soulève de nombreuses questions qui ne sont encore que partiellement traitées, comme la lutte anti-blanchiment”

Le blanchiment d’argent est d’actualité. Ces opérateurs ne sont-ils pas inquiets par cet acte criminel?

Bien sûr qu’ils sont inquiets car le Mobile Banking « mobile money » soulève de nombreuses questions qui ne sont encore que partiellement traitées, comme la lutte anti-blanchiment, donc les facteurs de risques sont énormes, notamment :
Facteurs liés au client
– L’enregistrement massif crée un risque d’enregistrement frauduleux. Ce risque est plus sérieux dans les pays où il n’y a pas de régime d’identification.
Facteurs liés aux autres acteurs
– Manque de diligence raisonnable lors de la sélection des agents qui font pourtant d’énormes transactions en valeurs et volumes ;
– Enregistrement des clients dans les rues, d’où le risque d’enregistrements frauduleux.
– Faible sensibilisation des agents sur l’importance du blanchiment d’argent en raison du manque de formation continue, et de la rotation élevée de leurs employés ;
Facteurs liés au produit
– Possibilités d’effectuer de multiples transactions entre différentes personnes dans un bref délais.

Les banques classiques ont un système pour lutter contre le blanchiment d’argent. De quels outils disposent les opérateurs de téléphonie mobile pour contrecarrer ce phénomène ?

Dans la nouvelle réglementation en vigueur, les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme via les nouveaux moyens de paiement sont encadrés par quelques unes des mesures prescrites plus particulièrement aux opérateurs de téléphonie :
– la connaissance du client (« KYC », know your customer) ainsi que de ses relations d’affaires (KYB) et l’actualisation des données les concernant
– le contrôle des transactions ;
– la déclaration des opérations suspectes;
– la surveillance des opérations atypiques ;
– la formation et la sensibilisation du personnel ;
– le contrôle interne.

Face à la recrudescence des actes de cybercriminalité, l’opération de Ebanking qui se fait au Cameroun est-elle une opération fiable ?

La cybercriminalité est un fléau mondial et la banque est universelle. Ceci étant, les opérations de Ebanking étant une solution adaptée au métier de la Banque se fait de la même façon au Cameroun comme en Occident, alors sont exposé aux mêmes risques surtout que la majorité des banques hébergent ces services en Occident.

“Les services financiers mobiles illustrent un nouveau volet de l’adoption des TIC dans les activités bancaires.”

Selon-vous, comment l’Afrique fera-t-elle face au Ebanking ou au Mbanking ? Cette opération de Ebanking est-elle une opération fiable qui ne va pas mourir à moyen terme ?

Je tiens à vous rappelez que le Mobile Banking (Mobile money) a été lancé pour la première fois en Afrique, plus précisément au Kénya en 2007 par l’opérateur Safaricom (filiale du groupe britannique de télécommunications Vodafone). Le mobile banking est aujourd’hui un franc succès, dont le modèle est désormais reproduit dans 85 pays à travers le monde. L’Afrique, qui a vu naître cette solution en reste cependant le fer de lance. La progression et le taux de couverture actuel de ces services d’argent mobile est la preuve d’une opération fiable qui ne va pas mourir à moyen terme.

L’opération de Ebanking et de Mbanking n’entre-t-elle pas dans une concurrence féroce avec les banques classiques ?

Je voudrais tout d’abord vous faire savoir que la bancarisation de la population est une étape préalable au développement économique d’un pays. L’accès aux services bancaires permet de faciliter les flux financiers, de stimuler l’économie locale. Le contexte du Mobile banking (Mobile money) est une opportunité pour la réduction de l’exclusion financière. Ceci etant, le Mobile banking ne doit pas être considéré comme un concurrent féroce pour les banques classiques etant donné que les services financiers mobiles illustrent un nouveau volet de l’adoption des TIC dans les activités bancaires. Ils représentent le nouveau produit de la banque à distance après le e-banking, alors ne saurait être considéré comme un concurrent féroce pour le secteur bancaire mais plutôt comme une opportunité pour étendre leurs services.

Le Ebanking ne peut être considéré comme une menace pour les banques classiques, car c’est après tout un service bancaire destiné aux clients de banque et accessible numériquement via DAB (Distributeur automatique de billets), Internet, etc.

La COBAC reconnait-elle ces opérateurs de téléphonie mobile comme banque classique ou alors comme affiliés à une banque classique pour leurs opérations?

Je vais d’abord vous donner le rôle de tous les acteurs de ce mode de paiement et à la fin je vous donnerai la place des operateurs de téléphonie par rapport à la COBAC. Le Mobile Banking (Mobile Money) est un outil important pour l’inclusion financière, donc l’un des rôles majeurs de la COBAC est de promouvoir ladite inclusion financière. Il permet d’insérer dans le circuit bancaire une tranche importante de la population qui est non bancarisée et qui détient pourtant un téléphone mobile. Les acteurs de ce mode de paiement sont les suivants :
– La banque qui est le dépositaire de tous les fonds virtuel circulant sur la plate-forme Mobile Money ;
– La société de téléphonie mobile qui développe le réseau Mobile Money, fournit les SIM pour les clients, et gère généralement la plate-forme Mobile money ;
– L’agent du Mobile money distributeur du service Mobile Money aux clients. Ce dernier obtient de l’argent virtuel par le dépôt d’un équivalent de trésorerie physique à la banque ;
– Le marchand qui reçoit les paiements des clients Mobile Money;
– Le client final qui crédite et débite son compte Mobile Money dans le réseau de distributeurs, et est en mesure d’effectuer des transactions Mobile Money.

Il en ressort clairement ici que les opérateurs de téléphonie mobile sont reconnus comme affiliés à une banque classique et non comme une banque classique.

Le code général des impôts taxe-t-il ce système bancaire ou accorde-t-il des commodités préférentielles dans les opérations de transferts et de retraits d’argent ?

Toutes les entreprises sont assujetties à l’impôt sur le revenu mais en ce qui concerne ce nouveau service bancaire (Mobile Money), je pense que les régulateurs devraient avoir une approche expérimentale, d’abord tester avant de réguler, plutôt que de réglementer les conditions de marché en amont.

La qualité du réseau ne perturberait-elle pas en même temps les services ?

Bien sûr que la qualité du réseau perturberait ces services car ils dépendent à 100% de ce dernier. Les opérateurs de téléphonie doivent déjà prendre des dispositions pour anticiper sur ces perturbations compte tenu du taux de croissance de ces services.

Quelles sont les innovations qu’apporte l’opération de Ebanking dans le développement de l’Afrique ?

L’une des innovations la plus importante qu’apporte l’opération du Ebanking dans le développement de l’Afrique est la promotion de l’inclusion financière qui est une étape préalable pour développement de l’Afrique.

Propos recueillis par
Jean-Claude NOUBISSIE, Cameroun

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