Dans sa publication « Le potentiel de la blockchain pour les finances publiques en Afrique », BearingPoint explore plusieurs cas d’usage de la blockchain au service des finances publiques. L’un d’entre eux est le potentiel de la blockchain dans la coopération au développement, cas étudié au fond par BearingPoint à travers de la solution TruBudget au Burkina Faso ou en Ethiopie.
Nombreuses sont les organisations qui découvrent les différents cas d’usages de la blockchain : la monnaie digitale, la chaîne d’approvisionnement, les diplômes, les vaccins, les processus sécurisés…
L’un des éléments clés qui motivent ces expérimentations avec la blockchain est sa capacité à créer une base de données décentralisée, transparente et compliquée à manipuler. L’impermutabilité des données peut créer un élément clé de confiance entre les différentes parties prenantes participant à la blockchain, car aucun d’entre elles à la seule main sur les données et un algorithme neutre est le seul médiateur.
La problématique
Dans les finances publiques en Afrique s’offre un autre cas d’usage potentiel de la blockchain : Le suivi des fonds reçus par les donateurs comme des bailleurs de fonds.
Il existe de fait un manque de confiance dans les rapports entre les bailleurs de fonds et pays partenaires. La crainte majeure des bailleurs de fonds est que leur financement soit détourné et ne soit pas utilisé aux fins convenues. Cela est notamment dû au manque de transparence et de communication entre les bailleurs et les acteurs gouvernementaux, empêchant une collaboration et une complémentarité pour des actions efficaces de développement.
D’autre part, la non-traçabilité des fonds injectés empêche une entrée plus importante d’aides financières internationales. De ce fait, l’autonomie du pays recevant l’aide au développement est limitée, car il arrive que le manque de transparence pousse les bailleurs de fonds à agir à la place de l’Etat, au lieu de collaborer avec lui. Autrement, les bailleurs instaurent des systèmes parallèles pour contrôler les flux des fonds. En effet, la plupart des fonds est versée par les bailleurs directement aux prestataires de services pour éviter le risque d’un transfert sur les comptes nationaux. De plus, les bailleurs exigent des procédures lourdes de contrôle sous forme de nombreux avis de non-objections, rapports financiers et audits.
La solution
Une plateforme partagée et basée sur la blockchain pour suivre les financements des bailleurs pourrait contribuer à résoudre ces défis – et c’est effectivement l’idée de derrière l’application TruBudget : Développée par la KfW (banque publique de développement allemande) depuis 2018, TruBudget a l’ambition d’apporter les qualités de la blockchain à la gestion financière des Etats. La blockchain est vue comme un moyen de partager de l’information entre acteurs de manière transparente, auditable par des tiers et en évitant le détournement dans les flux transactionnels. Ainsi les différentes étapes de décaissement, les avis de non-objection, ou des indicateurs d’avancement du projet peuvent être enregistrés sur la blockchain, accessibles à tout moment par tout acteur participant. En créant des relations de confiance, TruBudget permet aux bailleurs de canaliser leurs moyens directement par le budget national, sans risques majeures de malversation. Les avantages sont nombreux : omission des systèmes parallèles et coûteux, renforcement de l’autonomie des gouvernements, amélioration de la durabilité et de l’efficacité des fonds mis à disposition.
TruBudget a récemment été mise en place au Burkina Faso, en Ethiopie et en Géorgie par BearingPoint, en étroite collaboration avec les gouvernements respectifs. Créée en open source, c’est une plateforme blockchain privée dont l’accès est limité aux pays partenaires et aux bailleurs de fonds. Le processus du financement accordé par un bailleur de fond inclut plusieurs acteurs et plusieurs opérations dépendantes les unes par rapport aux autres. L’insertion de la blockchain peut fluidifier l’enchaînement des opérations pour plus d’efficience et de transparence. Elle peut aussi impliquer une simplification des processus et faciliter la production des bilans trimestriels ou annuels financiers et conjoncturels, qui se formeraient au fur et à mesure des actions menées sur la plateforme. La plateforme apparaît ici comme une vitrine des finances publiques pour les bailleurs de fonds et une garantie de transparence pour tous les acteurs du développement. De surcroît, la plateforme permet de détecter à l’avance tout défaut budgétaire.
La blockchain permet ainsi d’améliorer la gestion des financements accordés par des bailleurs de fonds et de tendre vers une amélioration de la gestion financière globale. A terme, les pays pourraient utiliser la blockchain pour tout autre financement afin de concrétiser leur engagement dans une politique de transparence financière ayant pour but d’attirer les capitaux étrangers. La blockchain peut potentiellement être utilisée dans tout processus opérationnel mêlant plusieurs acteurs et plusieurs tâches dont l’efficacité ne tient qu’à la confiance et à la transparence préalables.
Il convient cependant de préciser que la pertinence d’une telle plateforme dépend de la capacité des acteurs à changer leurs méthodes de travail, de se former à cette nouvelle technologie, de s’y adapter et surtout de bien vouloir l’accepter. En effet, il est explicitement clair que la mise en place d’une telle plateforme évince tout détournement de fonds du pays acceptant sa mise en place. Les pays pionniers cités plus haut sont exemplaires à cet égard et modèles à suivre pour les prochains.
En conclusion, la Blockchain peut apporter plus de transparence et de confiance entre gouvernements et bailleurs de fonds, permettant l’attraction de fonds plus importants pour l’Etat. Cela dit, le manque de recul, notamment en termes juridiques, techniques et de conduite de changement que nécessite une telle technologie pour être effective, souligne de nouveau qu’il faut au préalable une réelle volonté de la part du monde politique et des parties prenantes. Cette volonté n’est pas si évidente, car elle impose une totale transparence de ce qui était auparavant caché. Ici, l’enjeu est de convaincre les parties que l’on gagne à être transparents. Il en relève de la volonté des Etats souverains et d’une réelle volonté de changements structurels et publics. En effet, la blockchain ne saurait être la réponse aux problèmes de financements publics dans les pays africains, mais elle s’érige comme une clé de voûte au développement des finances publiques en Afrique, voire même comme un accélérateur de développement économique.
Jean-Michel Huet, associé Bearingpoint et Lennart Ploen, manager BearingPoint