Elle fait partie des personnalités dont l’action impacte l’écosystème numérique africain. Elisabeth Moreno, Directrice générale de HP Afrique, était à la 8ème édition des Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA), organisées les 28 et 29 novembre, à la maison de la Radio à Paris. CIO MAG a recueilli son avis sur l’importance des technologies dans le développement de l’Afrique.
CIO MAG : Quel serait votre modèle de Smart City en Afrique ?
Elisabeth Moreno : Mon modèle de Smart City en Afrique, c’est un modèle de ville inclusive, où nous ne laissons pas les habitants du monde rural de côté, pour nous occuper prioritairement des urbains. C’est une ville connectée, qui permet de fluidifier la circulation, parce qu’il y a des centres urbains en Afrique où il faut être extrêmement patient. C’est un modèle de ville où les individus peuvent être connectés entre eux et où nous utilisons nos valeurs.
En Afrique, il y a beaucoup de solidarité. Il ne faut pas abandonner nos valeurs. Nous devons les conserver. Par exemple, nous occuper des personnes âgées qui vivent seules. Nous devons établir une connexion entre les individus via des outils.
Mon modèle, c’est évidemment une ville où le partage des richesses n’est pas un vœu pieux. Ce n’est donc pas une ville où 10% de la population détient tout, tandis que 10% ne possède rien.
Lors de votre intervention, vous invitiez les pays africains à réinvestir davantage dans l’Intelligence artificielle (IA). Est-ce une priorité ?
Nous avons besoin d’investir dans l’IA. D’abord, parce que cette industrie 4.0 est une opportunité extraordinaire pour le continent. Ensuite, parce que cette opportunité s’exploite. Les deux grands pays qui tirent aujourd’hui le meilleur parti de l’IA, ce sont les Etats-Unis avec les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et l’Asie avec les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). L’Europe a abandonné la bataille !
« Les investissements dans l’IA qui peuvent s’effectuer, ce sont d’abord des investissements humains. »
En Afrique, c’est là où nous en avons le plus besoin pour réduire la pauvreté, pour donner un meilleur élan et plus d’espoir à notre jeunesse. Mais jusqu’ici, nous n’avons pas fait grande chose. Bien sûr, il y a l’alliance Smart Africa et c’est déjà un très bon début. Il y a des actions qui sont menées et des pays qui commencent à lancer la machine. Mais cela demande du temps et de l’investissement. Aujourd’hui, il faut accélérer la cadence, si l’on veut être certain d’en tirer le meilleur parti.
Concrètement, comment l’investissement dans l’IA s’effectue-t-il ?
Les investissements dans l’IA qui peuvent s’effectuer, ce sont d’abord des investissements humains. Sur ce plan, nous devons avoir des ingénieurs sachant travailler sur ces outils. Et qui peuvent apporter leur expertise et leur compétence en connaissant les besoins de l’Afrique et en développant des outils adaptés. Pour l’heure, sur le continent africain, nous avons énormément de mal à collecter et à connecter les données. Et cela risque de nous échapper. Pourtant, ceux qui auront les plus grandes richesses demain, ce sont ceux qui possèdent la data. Mais il ne suffit pas de la posséder. Il faut savoir l’exploiter et savoir protéger les citoyens. Et ça, c’est encore une autre affaire. Pour arriver à cela, il faut des gens qui maitrisent le sujet.
Pourquoi l’Afrique doit investir dans l’IA ? Quels sont vos arguments ?
L’IA permet de créer des emplois. Toutes les nouvelles technologies disruptives comme la 3D, l’IA, la réalité virtuelle et augmentée, offrent des opportunités de création d’emploi. Par exemple, aujourd’hui, avec votre ordinateur et une bonne connexion internet, vous pouvez vendre votre beurre de karité dans le monde entier.
L’Afrique ne manque pas d’opportunités, elle manque de moyens. A charge pour nos gouvernants de s’associer avec les sociétés civiles, les entreprises privées, les organisations internationales et académiques. Et à nos chefs d’Etats d’avoir une vision claire d’intégration de l’IA dans notre stratégie globale pour le développement et la croissance économique du continent. Il n’y a aucune raison que nous n’y arrivions pas !
Certains pays s’y sont déjà engagés et nous voyons le résultat. Je suis très fière de ce que l’Île Maurice a réussi à faire. Je suis admirative de voir comment le Rwanda est sorti de cette situation terrible dans laquelle le pays se trouvait vingt ans plus tôt. Il a suffi d’une vision claire, de détermination, de sagesse et d’une envie de travailler pour le collectif.
Qu’est-ce que HP fait dans ce domaine en Afrique ?
J’ai la chance de travailler pour un groupe qui a compris que la globalisation est une bonne chose, mais qu’il est encore mieux de traiter localement les différents besoins. Nous sommes leader dans le domaine du Computing et du Printing en Afrique et avons choisi d’apporter la même qualité que celle distribuée dans le reste du monde. Nous travaillons avec du personnel implanté localement. Tous nos distributeurs et tous nos partenaires sont installés dans les 54 marchés que nous servons en Afrique. Cela nous permet de comprendre que les besoins du Nigéria ne sont pas les mêmes que ceux de l’Angola, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire ou de l’Afrique du Sud.
« Avoir peur de l’IA, c’est comme si vous me disiez que Ford avait peur de la vitesse. »
Finalement, une entreprise n’existe que parce qu’il y a des gens qui ont besoin d’un service ou d’un produit. En étant plus proche de nos clients et en voyant les difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain, nous apportons les meilleures solutions et cela nous permet de détenir le leadership sur le marché.
Doit-on avoir peur de l’IA ?
Avoir peur de l’IA, c’est comme si vous me disiez que Ford avait peur de la vitesse. Il ne faut pas avoir peur du progrès. Nous voyons ce que l’IA apporte de terrifiant, mais nous oublions que grâce à cela, aujourd’hui, nous pouvons solutionner énormément de problèmes sur notre planète. Et l’Afrique est le continent qui a encore le plus de problèmes. Passer à côté des opportunités qu’offre l’IA parce qu’on a peur, c’est comme si vous me disiez que vous restez enfermé chez vous parce que vous avez peur d’attraper le froid et la grippe. C’est insensé !
Il faut utiliser les progrès technologiques pour répondre aux problématiques d’éducation, de santé, de transport, de justice et de corruption, dont notre continent souffre. C’est ce qui désespère notre jeunesse. Elle n’a aucune visibilité sur ce que son avenir peut être. Pourtant, il n’y a de meilleur avenir pour les Africains que sur notre continent.
Quel message destinez-vous aux dirigeants et aux autorités ?
Mon message pour les gouvernants et les personnes qui liront cette interview, c’est de dire que nous avons la chance d’avoir la population active la plus importante du monde. Et que d’ici à 2050, nous aurons la plus grande population au monde. Cela peut être un extraordinaire atout, comme un terrible drame, si nous ne donnons pas de l’espoir à cette jeunesse. Il faut que nos gouvernants mettent en place une stratégie de développement qui s’appuiera sur les nouvelles technologies, pour permettre au continent d’avoir enfin ce qu’il mérite.
Article paru dans CIO Mag N°61 de Décembre 2019 – Janvier 2020