Dans le documentaire « Coded Bias » (Netflix, 2020), le téléspectateur découvre comment les algorithmes de reconnaissance faciale discriminent les individus en fonction de leur sexe et de la couleur de leur peau. Une chercheuse au MIT[1], Joy Buolamwini, a constaté que ces algorithmes reconnaissent avec beaucoup plus de précision les hommes blancs que les femmes noires. Ces biais, présents dans des systèmes supposés neutres, soulignent à quel point il est important de collecter des données variées et représentatives de toutes les diversités. Ce fait montre pourquoi l’Afrique doit développer des systèmes d’Intelligence Artificielle (IA) fondés sur des données locales afin de créer des solutions qui répondent véritablement à ses besoins spécifiques.
Pourquoi les données africaines sont nécessaires pour l’IA ?
Les données textuelles, audios, visuelles, géospatiales, etc… alimentent l’IA, tout comme le carburant fait avancer une voiture. Les algorithmes d’IA utilisent les données pour apprendre et s’améliorer. En l’absence de données produites en Afrique, les systèmes d’IA ne peuvent pas répondre de manière pertinente aux problématiques spécifiques du continent.
À titre d’exemple, un système d’IA dédié à l’agriculture pourrait fournir des recommandations non pertinentes pour les cultures s’il n’a pas été formé aux conditions locales des sols et aux données climatiques spécifiques au continent africain. Pour améliorer la productivité agricole ou fournir des services de santé appropriés, il est donc nécessaire de disposer de données issues de l’écosystème des administrations, centres de recherches , universités, communautés villageoises, mairies, etc..
Les défis de la collecte de données en Afrique
En Afrique, la collecte et l’analyse des données sont principalement freinées par le manque d’infrastructures informatiques capables de stocker et de gérer de grandes quantités d’informations. Concernant les connexions internet, bien qu’elles soient en constante amélioration, elles restent encore assez lentes et souvent instables, ce qui ralentit le transfert et le traitement des données.
D’autre part, l’absence de normes communes entre les pays africains complique l’agrégation des informations car, à titre d’exemple, l’absence de standards pour les recensements et les statistiques démographiques, entrave la mise en place de politiques sociales et de santés publiques efficaces. De même, les différences dans la collecte des données énergétiques limitent le développement d’outils d’optimisation pour la production et la distribution d’électricité. Pour surmonter ces défis, il est urgent de mettre en place des standards communs et de renforcer les capacités des pays africains en matière de collecte, de stockage et d’analyse de données.
IA sur mesure où quand les données locales font la différence
Des expériences riches d’enseignements commencent à émerger en Afrique, notamment dans l’agriculture. Par exemple, la startup kenyane FarmWorks forme les agriculteurs sur les bonnes pratiques agricoles grâce à ses fermes expérimentales et utilise l’IA pour améliorer la production et optimiser les décisions de semis et de prêts financiers.
Dans un autre domaine, celui de la santé publique, des chercheurs analysent les données de téléphonie mobile pour suivre les mouvements de population, anticiper la propagation des épidémies et adapter les réponses locales. De même, l’utilisation des précieuses données issues du mobile money permet à certaines entreprises d’offrir un accès au crédit à des personnes non bancarisées, facilitant ainsi le financement de microprojets.
Dans le secteur de l’énergie, des entreprises telles que Husk Power Systems, basées au Nigeria et en Tanzanie, utilisent un système d’IA s’appuyant sur des données locales pour automatiser leurs opérations et prévoir la demande énergétique, améliorant ainsi l’efficacité de leurs microgrids solaires hybrides.
Faciliter la collecte de données avec des solutions pratiques
Pour encourager la collecte de données locales en Afrique, les gouvernements, en collaboration avec les institutions panafricaines telles que l’UA, la CEDEAO, la SADEC…, doivent faciliter l’accès aux données publiques (santé, éducation, agriculture, etc…) en créant des cadres réglementaires favorables à leur collecte et à leur utilisation. Par ailleurs, la construction de datacenters, infrastructures stratégiques, peut réduire le temps de traitement des données, améliorer les performances des modèles d’IA et renforcer la souveraineté numérique du continent.
Il est également important de souligner que la forte pénétration des smartphones en Afrique a généré une masse considérable de données provenant directement des abonnés, offrant une vision détaillée des réalités de la vie des populations. Ainsi, les données fournies par près d’un milliard de cartes SIM en service constituent une véritable mine d’or pour comprendre les besoins et les problématiques des habitants jeunes ou vieux de chaque région du continent.
Vers une IA africaine au service du développement
Grâce aux opérateurs de télécoms, l’Afrique dispose de données, mais elle reste confrontée à des défis de taille pour les collecter et les traiter. En investissant massivement dans des datacenters et en développant des solutions adaptées à ses contextes spécifiques, le continent peut transformer ces données en un moteur de développement. Avec une IA conçue pour comprendre les réalités africaines, l’Afrique peut trouver des solutions innovantes à ses défis les plus pressants, de la santé à l’agriculture en passant par l’éducation, et devenir un acteur clé de l’innovation mondiale.
Tribune de Dr BOYARM Aristide Aly, Consultant en Stratégie IT et fondateur de DEVCHAMPION
[1] MIT – Massachusetts Institute of Technology