Liberté de la presse et révolution dans les domaines des télécommunications

 

Abderrahmane MEBTOUL,  professeur es Universités
Abderrahmane MEBTOUL, professeur es Universités

 

« Les médias parlés / écrits concourent à asseoir la démocratie »

Le monde qui  est devenu une grande maison de verre, célèbre la liberté de la presse. C’est  un grand acquis contre les dictatures totalitaires dans la mesure où l’information n’est plus le quatrième pouvoir mais le pouvoir lui-même. A cette occasion, je tiens à m’associer à cette fête avec tous mes amis journalistes en leur souhaitant plein  succès dans leur mission difficile, en espérant une extension et garantie de la liberté de la presse en Algérie, un des fondements essentiels des libertés. Cette présente contribution, propose une réflexion générale relative à la société d’information face à la révolution numérique.

 

Les mutations que connaît l’économie mondiale ont leur équivalent dans le domaine de l’information et de la communication.

Elles ont une répercussion fondamentale sur la bonne gouvernance, sur l’urgence du renouveau du mode d’enseignement (c’est fini les cours dispensés par voie orale), sur la presse avec le développement de nouveaux médias utilisant Internet qui seront dominants à l’avenir et d’une manière générale un impact sur tous les mécanismes de gestion tant centrale que locale des institutions et des entreprises ( passage e l’organisation hiérarchique de type militaire à l’organisation en réseaux. En effet, on observe aujourd’hui une métamorphose complète du paysage médiatique mondial qui est due principalement à la combinaison dynamique de deux facteurs : l’essor exceptionnel du capitalisme financier et la ‘‘révolution numérique’’ qui a donné aux technologies de l’information et de la communication un essor non moins exceptionnel. L’intégration des télécommunications, de l’informatique et de l’audiovisuel a donné naissance à la Société de l’information qui fait l’objet d’une attention particulière de la part des États et des organisations internationales. Cet intérêt s’est trouvé accru depuis une décennie en raison des retombées socio-économiques et culturelles des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) : la ‘‘fracture numérique’’ transcende en effet les clivages géographiques et traverse de part en part toutes les sociétés humaines.

 

Quelles sont les retombées socio-économiques des NTIC ?

Les NTIC contribuent d’une manière de plus en plus tangible à la structuration du monde nouveau dont la mondialisation est en train d’accoucher. Les marchandises qu’elles transportent d’un bout à l’autre de la planète constituent une ressource illimitée : ce sont les connaissances ou les savoirs qui produisent une valeur ajoutée dont aucune entreprise économique ou de services ne peut se passer aujourd’hui. L’avènement d’Internet et le développement formidable qu’il connaît depuis quelques années ont pratiquement mis en demeure l’entreprise – de quelque importance qu’elle soit – de s’adapter et d’en faire l’usage le plus judicieux et le plus productif. La compétitivité l’obligeant à obtenir ou à donner l’information en temps réel, l’entreprise va en effet investir la Toile et recourir à l’électronique pour faire face à la concurrence et développer ses activités. Ainsi la voyons nous recourir de plus en plus au commerce électronique pour faire la promotion de ses produits, vendre, acheter, etc. Par ailleurs, les NTIC permettent de mettre en place depuis quelques années des modèles d’organisation du travail dont les principales caractéristiques sont la décentralisation et flexibilité. Le phénomène de délocalisation de l’emploi tient largement de la recherche des gains de productivité et des possibilités offertes par les NTIC aux entreprises, particulièrement à celles qui sont d’une grande envergure : télé-saisie, télétraitement et télémaintenance informatique sont maintenant une réalité de tous les jours. Un tel phénomène est même observable à l’intérieur des pays développés où le recours au télétravail semble susciter un phénomène de repeuplement de certains espaces ruraux.

 

Mais se pose la  question lancinante de la fracture numérique.

La ‘‘fracture numérique’’ est une expression d’origine américaine, apparue en juillet 1995 dans un rapport publié par le Ministère du Commerce américain. Il est fait état dans ce rapport de l’existence d’inégalités dans l’accès à Internet, inégalités entre les riches et les pauvres et entre les différentes ethnies qui composent la nation américaine. Ce rapport est actualisé en 1998 sous le titre ‘‘Digital Divide’’, ce qui a été traduit par ‘‘fracture numérique’’, ‘‘fracture digitale’’, ‘‘fossé numérique’’. Ce thème est repris à l’occasion de rencontres internationales, comme celle que le G8 a organisée à Okinawa en août 2000 et qu’il a consacrée aux inégalités d’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Au plan interne, des pays ont rapidement fait de cette question un sujet d’intérêt, voire de préoccupation, national. Internet aggrave, en effet, les inégalités existant au niveau mondial et au plan national : d’un côté, entre pays riches et pays pauvres et, de l’autre, à l’intérieur de ces mêmes pays, ceux du Nord voyant émerger des ‘‘sociétés numériques’’ et ‘‘à plusieurs vitesses’’. Ces deux types d’exclusion peuvent être repérés à partir d’une double analyse : celle de la répartition de la population internaute mondiale et celle des différents profils d’internautes qui existent à l’intérieur des sociétés étudiées. Identifiable donc à deux niveaux distincts, la fracture numérique requiert de la part des pays développés une prise en charge qui soit attentive à la réduction des disparités qui existent chez eux et une coopération internationale qui prenne en considération les besoins des pays du Sud supposant des conditions politiques, matérielles et financières nécessaires à la mise en œuvre d’une telle entreprise. Les données statistiques montrent on ne peut mieux une concentration de la population des internautes dans les pays développés, essentiellement les pays anglo-saxons, des disparités à l’intérieur du monde développé et un retard important des pays en développement, notamment ceux du continent africain subissant une exclusion presque totale de la Société de l’information. L’insertion dans la Société de l’information des pays sous développés est confrontée à des obstacles quasi insurmontables. L’absence d’infrastructures adéquates et conséquentes, des coûts élevés rendent presque utopique toute idée de voir les pays les plus pauvres et l’Afrique surtout, se mettre, dans un proche avenir, à l’heure de la Société de l’information. Pour ne prendre que le cas d’Internet, on peut identifier au moins trois obstacles au développement de son utilisation. Ainsi, le prix de l’accès à la Toile : ce prix a trois composantes : le matériel et le logiciel, les fournitures de l’accès et les taxes téléphoniques. Selon le document de base du NEPAD (composante NTIC), « une connexion coûte en moyenne en Afrique 20 pour cent du PIB par habitant par rapport à une moyenne mondiale de 9 pour cent et à 1 pour cent dans les pays à revenus élevés » Cela est lié notamment à la   pénurie d’infrastructures : ce problème est pris de plus en plus en charge par les pouvoirs publics dans les pays en développement en raison de l’incidence des NTIC sur le développement socio-économique. Ainsi, des mesures sont prises dans ce sens par certains pays, mesures qui consistent à laisser plus de liberté aux opérateurs historiques et à leur permettre de réinvestir leurs bénéfices; ouvrir au privé le capital des entreprises du secteur public; permettre à des opérateurs privés d’investir dans ce créneau. Comme se pose le problème  de la disponibilité des contenus : les contenus existant dans les langues en usage posent eux aussi un problème de disponibilité qu’il n’est pas facile de régler. L’environnement culturel particulièrement pauvre, la faiblesse des systèmes éducatifs et l’absence d’investissement dans la recherche aggravent davantage le problème.

 

Mais les  NTIC ont un impact sur la bonne gouvernance.

Toute relation ou activité humaine nécessitent des échanges d’information. Claude Levy-Strauss un des plus grands anthropologues définit d’ailleurs la société comme un ensemble d’individus et de groupes qui communiquent entre eux. Les groupes organisés- ceux qui poursuivent la réalisation de but définis- ne peuvent fonctionner efficacement que si les informations internes et externes circulent convenablement, notamment aux points de concentration des informations, là ou se prennent les décisions. Le fondement de la société, la constitution de la civilisation repose sur une bonne communication de tout pouvoir. Une communication qui vise à informer à faire connaître et à faire comprendre. Une communication qui vise à constituer d’une part une interrelation entre les différentes structures de l’Etat et d’autre part entre l’administration et les différentes couches de la société. Car une mauvaise communication des appareils d’Etat (ère de l’époque stalinienne dépassé alors que la population parabolé a un large éventail dorénavant d’information avec la parabole) ne peut que conduire au manque de crédibilité de la communication des pouvoirs public ce qui accentue la fracture politique/citoyens et donc le divorce État/citoyens. C’est que toute communication fiable doit prendre en considération les exigences créées par le développement de l’environnement médiatique mais aussi sociopolitique, culturel et économique tant interne que mondial. La concurrence médiatique avec tous ses caractéristiques : démultiplication des moyens de diffusion de l’information (presse, radio, télévision, internet, etc…), rapidité dans la diffusion et la circulation de l’information exige une veille permanente. Cette attention particulière des Médias sur l’action publique répond à un besoin de l’opinion dans une démocratie pluraliste, celui de pouvoir juger les Gouvernants parce que devant les choisir. Du point de vue de l’ONU, les bienfaits des NTIC, particulièrement pour les pays du Tiers monde, peuvent être considérables : gain de temps et d’argent, prévention de catastrophes humanitaires, extension de la bonne gouvernance, accroissement du pouvoir de mobilisation de la société civile. C’est ce qui ressort de cette déclaration faite par Koffi Annan, ex Secrétaire général des Nations Unies, lors de la 56e Assemblée générale : «L’énorme potentiel de ces technologies défie notre imagination. Mais dès aujourd’hui nous pouvons en mesurer l’immense utilité. Lorsque les entrepreneurs de régions rurales peuvent passer commande ou vérifier le cours de leurs produits par téléphone cellulaire, le gain de temps et d’argent peut être énorme. Lorsque les satellites nous renseignent sur l’imminence d’une tempête ou d’une inondation et que l’information circule rapidement grâce à un réseau de communication électronique, ce sont autant de catastrophes humanitaires qui peuvent être évitées. Lorsque les citoyens peuvent obtenir directement sur Internet des informations indépendantes concernant les politiques de leur gouvernement, la bonne gouvernance a d’autant plus de chances de prendre racine. Et lorsque des milliers d’entre eux peuvent communiquer en un rien de temps, par-delà les frontières, grâce au courrier électronique, le pouvoir de mobilisation de la société civile en faveur de la paix, de la justice et de la démocratie devient illimité.» Voilà donc pourquoi la compréhension des enjeux que représentent les NTIC et la maîtrise de leurs mécanismes et des instruments qu’ils utilisent restent essentielles. Elles permettraient de contribuer de manière décisive à réduire les disparités qui existent entre le Nord et le Sud et ouvrir à ce dernier des possibilités très grandes non seulement dans le domaine économique mais aussi en matière de modernisation des Etats qui le composent.

En résumé,  les médias parlés / écrits crédibles concourent modestement à asseoir la démocratie. Une presse (ou de intellectuels) aux ordres s’adonnant aux louanges en contrepartie de la distribution d’une rente, devenant non crédible, est contre productive pour le pouvoir lui-même. La devise ni dénigrement gratuit ni autosatisfaction, source de névrose collective.

Une contribution du Professeur Abderrahmane MEBTOUL (journée internationale de la presse)

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