La Fédération marocaine des technologies de l’information, des télécommunications et de l’offshoring (APEBI), a organisé, jeudi 11 juin, son premier web-dialogue sur le thème : “Rôle de l’Écosystème digital dans la relance industrielle du Maroc post–Covid”. L’occasion pour des personnalités d’échanger autour de la place du digital dans l’économie post-crise. Le point avec CIO Mag.
Camille DUBRUELH / Soulyeman TOBIAS
“L’ensemble de l’économie mondiale s’est arrêté et reprend doucement. Nous sommes tous invités à nous réinventer”. C’est le message qu’a diffusé Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Economie Verte et Numérique, en ouverture de ce premier webinaire organisé par l’APEBI. Cette rencontre a rassemblé plusieurs personnalités pour évoquer l’importance du secteur numérique dans la relance économique, et notamment industrielle, du Royaume.
Car, si le pays a su démontrer sa capacité de gestion de la crise sanitaire, n’enregistrant que 210 morts et moins de 1000 personnes infectées, l’économie marocaine est gravement impactée par la crise, à l’instar du reste du monde.
“La machine économique s’est presque arrêtée, en particulier les secteurs de l’agroalimentaire, de l’automobile ou de l’aéronautique”, a détaillé le ministre. Dans cette crise, un domaine a su montrer son pouvoir et son efficacité, celui du digital. “Nous avions pris du retard dans le développement du numérique au Maroc. Nous avons ramé pour imposer le digital dans le pays et cela n’a pas été simple. Nous ne lui avons pas donné la place qu’il mérite. Mais dans ce contexte de crise, le digital a su se faire une place de lui-même”.
Le ministre s’est notamment réjoui des “avancées invraisemblables”, avec des projets implantés en des temps records. Le Maroc a su démontrer qu’il était capable de saisir l’opportunité permise par la crise du Covid–19. “Nous sommes capables d’apprivoiser le digital avec des résultats remarquables. Il faut maintenant capitaliser sur ces activités”.
Coconstruire la feuille de route digitale pour le Maroc
Pour ce faire, Moulay Hafid Elalamy a fait une promesse devant les internautes présents à ce webinaire. “J’ai la ferme attention d’être davantage à vos côtés et de travailler pour que les freins à l’expansion du numérique puissent disparaître à jamais. Nous avons une fenêtre de tir limitée aux quelques mois qui viennent. Ainsi, je demande à l’APEBI de nous présenter dans les prochains jours un document de cinq pages avec des recommandations clés. Je m’engage à ce que cette note soit étudiée pour constituer notre feuille de route”, a-t-il déclaré. “L’APEBI doit être une véritable force de proposition, elle doit être plus engagée et sortir de cette crise avec un dynamisme renforcé. Nous devons saisir les opportunités pour l’ensemble des Marocains. Nous allons être côte à côte pour un digital plus efficient”, a conclu le ministre.
Amine ZAROUK, président de l’APEBI, a promis en retour que la fédération saura jouer son rôle, pleinement. “Nous devons discuter sur la manière dont nous pouvons co–construire la feuille de route. Nous allons, en tant que représentants du secteur du digital, aider le secteur industriel à être plus performant”, a-t-il encore assuré. Dans les faits, cela a déjà commencé par la création d’un cluster de l’industrie 4.0 au sein de l’APEBI.
Préférence nationale et souveraineté industrielle
Mohamed Bachiri, vice-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a ensuite pris la parole pour donner des pistes sur la relance industrielle. Selon lui, cette crise a permis au Maroc de gagner en crédibilité sur le plan international. “L’Europe s’est rendue compte de son manque de souveraineté industrielle et de sa dépendance aux pays asiatiques. Le Maroc a un rôle important à jouer et peut prendre cette place. Il a tous les avantages requis : position géographique, infrastructures et expérience dans l’accélération industrielle”.
Concrètement, comment booster l’industrie au Maroc ? Plusieurs idées ont été listées par Mohamed Bachiri : développer le Made in Morocco, créer un marché marocain, opter pour la préférence nationale dans les marchés publics... Autre piste à suivre : des subventions étatiques aux entreprises, mais liées à un niveau d’intégration local, c’est–à–dire allouer des fonds à ceux qui produisent intégralement au Maroc et génèrent ainsi de l’emploi.
Pour mettre en place cette nouvelle génération de plan d’accélération industrielle, le pays doit impérativement travailler la productivité et la compétitivité des entreprises ainsi que le cadre légal. “Nous devons donner plus d’importance à la formation, en favorisant les partenariats entre les entreprises et les universités, en développant des clusters et en travaillant pour faire émerger des champions nationaux”, a assuré Mohamed Bachiri. Enfin, le royaume doit miser selon lui sur les produits décarbonés, c’est–à–dire les énergies propres.
“Au Maroc, il y a la compétence, la stabilité politique, la proximité avec l’Europe. Le pays est prêt pour être l’alternative à l’Asie en ce qui concerne la production industrielle”, a renchéri Fabrice Gomez, directeur général de l’entreprise ST Microelectronics.
Chakib Achour, Directeur marketing stratégique chez Huawei Maroc – Afrique du nord, a rappelé aux participants les exigences d’une industrie 4.0. “la réduction du temps de latence, la fiabilité, la qualité de service et une bande passante universellement disponibles garanties”, sont indispensables pour tendre vers une industrie 4.0. Pour lui, le Maroc doit adapter le concept d’industrie 4.0 à ses besoins “pour répondre au développement de l’industrie dans lequel le digital est très important”.
Créer un pont entre l’industrie et le digital
L’industrie marocaine est prête pour une alliance avec le digital. Toutefois, les internautes à ce webinaire ont constaté qu’“il n’y a pas assez de personnes pour faire le pont entre la technologie et les industries”. C’est d’ailleurs pour cela que Mohamed Bachiri a appelé à “nouer un partenariat fort pour travailler sur les sujets de compétitivité, de qualité, de renforcement de la base industrielle du Maroc et aussi sur le développement de l’exportation des produits marocains”.
Mouhsine Lakhdissi, professeur–spécialiste de la transformation digitale et membre de l’APEBI a appelé les acteurs du digital et ceux de l’industrie à se parler, car ils sont deux secteurs très importants pour le développement du pays, a-t-il soutenu. Sur ce point, l’ONUDI va être d’un appui important pour les deux écosystèmes. L’Organisation des nations-unies pour le développement industriel aide les Etats à mesurer le degré de communication entre leurs écosystèmes, a assuré Readmon Travares, représentant de l’ONUDI.
Au Maroc, ce déficit est justifié par le fait que les industriels sont sur des sujets concrets, pendant que très souvent, les acteurs du digital sont plus habitués aux secteurs des services. Le challenge, c’est donc de créer des solutions digitales qui peuvent fortement impacter le secteur industriel en termes de chiffre d’affaires par exemple. Bref, il urge de ‘‘définir une approche pour réduire le gap entre l’industrie marocaine et le secteur du digital’’, a recommandé pour sa part Omar Fergani, ex-directeur de l’industrie 4.0 chez Siemens.
Des ressources locales disponibles
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des compétences au Maroc pour construire ce pont. Le capital humain doit être au cœur de la transformation des industries, a fait observer Samira Ben Ali, Maintenance/Asset manager chez lanclines Stella (Belgique). L’unique femme industrielle de ce dialogue a aussi insisté sur le rôle des écosystèmes aux côtés des chefs d’entreprises. La formation des jeunes aux métiers du digital a été également une piste proposée par Samira Ben Ali pour la relance industrielle grâce au digital.
Benoît Grunemwald, expert en cybersécurité a profité de l’occasion pour attirer l’attention sur la nécessité de penser à la sécurité dans cette volonté de renforcer l’industrie 4.0 au Maroc. Pour lui, les dommages collatéraux liés à la numérisation des entreprises ne sont pas à négliger. La solution : penser à la formation, à la sensibilisation et à l’accompagnement des collaborateurs à tous les niveaux. Un point important pour mettre les entreprises à l’abri de nombreux maux comme l’espionnage, le sabotage, l’hameçonnage, etc. ‘’Il est important de mettre au cœur de sa stratégie d’industrie 4.0, la continuité des activités’’, a ajouté l’expert.
Pour le Maroc, il ne reste qu’à définir les use case. Le royaume chérifien semble être prêt pour la relance de son secteur industriel avec le digital comme catalyseur. L’Organisation des nations-unies pour le développement industriel (ONUDI) a apporté son soutien au royaume par la voie de son représentant Raymond Tavares à ce web–dialogue.
Vivement la fin de la crise sanitaire pour la mise en route des engagements issus de ce webinaire.