Si, jusqu’à maintenant, l’avenir des start-up à la pointe des technologies se jouait entre le CES de Vegas et le World Mobile Congress de Barcelone ou encore le Cebit de Hanovre, il faudra désormais faire avec Viva Technology de Paris qui vient de fermer ses portes. Et pour cause : tout en mettant en lumière les grands leaders mondiaux du secteur, VivaTech a réussi le pari de valoriser les talents venus d’Afrique. Maurice Lévy, président du conseil de surveillance de Publicis, troisième groupe mondial de la publicité et organisateur du salon, nous dévoile – dans cet entretien exclusif accordé à CIO Mag – l’ambition qu’il nourrit pour cette nouvelle grand-messe des technologies.
Propos recueillis par Mohamadou Diallo.
Cio Mag : Quel est le positionnement de VivaTech vis-à-vis des autres grands rendez-vous du numérique ?
Maurice Lévy : L’objectif n’est pas de concurrencer qui que ce soit. L’objectif principal que nous nous sommes fixés lorsque Publicis et le groupe Les Echos ont créé cet événement a été de se dire : il faut qu’il y ait un événement de dimension mondiale qui se passe à Paris et qui permet de servir à la fois comme une espèce de phare et comme catalyseur de toutes les énergies. Il faut que le monde entier se rende compte que la France est un pays qui est favorable à l’innovation, où il y a des talents, où il y a de l’énergie, où il y a des gens qui ont envie de réussir et qu’il faut aussi accueillir tous les pays. Au départ, le pari était fou. Mais le succès de la première édition nous a donné raison. Il s’ensuivit une seconde édition qui a été encore plus formidable. Et aujourd’hui, je crois qu’on atteint, je ne vais pas dire des sommets parce que je crois que l’on va les dépasser. Avec cette troisième édition, nous avons vécu des moments fabuleux, avec la présence de l’Afrique qui était mon objectif personnel. Et puis, il y a le fait que le plus grand nombre de la « tech » mondiale soit venue. Donc, je crois que nous avons atteint le niveau de crédibilité qui nous permet d’envisager le rôle de la France et la place de la France sur la planète numérique comme étant essentiels.
Cio Mag : et ce n’était pas le cas auparavant ?
M. L. : Auparavant, il faut voir qu’il y a beaucoup de gens qui doutaient. En 2011, nous avions organisé EG8, un événement qui avait reçu le soutien de Nicolas Sarkozy. Ce fut exceptionnel à tout point de vue. Mais là, nous avons changé de dimension et Emmanuel Macron était à l’époque ministre de l’Economie quand je lui ai proposé de soutenir cette initiative. Et j’ai l’impression qu’effectivement – pour revenir à votre question initiale – même si l’objectif initial n’était pas de concurrencer le CES, j’ai l’impression que nous sommes devenus un grand concurrent capable de challenger le World Mobile Congress de Barcelone. Nous sommes très heureux de la place que la France occupe maintenant sur la planète Internet.
Cio Mag : Pensez-vous que positionner la France sur la mappemonde du numérique à travers VivaTech contribue à maintenir les talents et les start-up français sur l’Hexagone ?
M. L. : Quand on l’a envisagé, on avait pensé à autre chose. Les startups françaises avaient besoin de deux choses. De financement : nous avions donc invité les grands financiers du monde entier et on s’est retrouvé l’année dernière avec 1.600 investisseurs. C’est quand même énorme. Et on s’est dit que les start-up vont « pitcher » et vont les intéresser. Ce fut formidable et les investisseurs étaient très contents parce qu’ils ont rencontré des start-up et ont décidé de les soutenir. Deuxième chose dont les startups ont besoin : des relations avec des grands groupes, lesquels peuvent eux-mêmes être aidés à se réinventer et à bénéficier de tout ce qu’apportent les start-up. Aussi, nous avons conçu le Lab avec des challenges, des défis où les start-up sont appelées à entrer en compétition. Par exemple, LVMH a « challengé » cette année plus de 800 start-up dont 30 ont été sélectionnées. Et vous avez la même chose avec BNP Paribas, Orange, Engies, Vinci ou encore avec toutes de grandes institutions comme l’Oréal ou Sanofi. Cette collaboration leur permet de donner un petit coup de main aux start-up en les mettant en relation avec leurs propres affaires et aussi leur trouver du financement et les aider. Donc, au total, c’est une très belle aventure pour les start-up et pour les grandes entreprises.
Cio Mag : Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans l’édition VivaTech 2018 ?
M. L. : La liste est tellement longue… Mais, bien sûr, sur le plan des « speakers », l’incroyable liste des grands de la « tech » : Ginni Rometty, la patronne d’IBM, Satya Nadella, le patron de Microsoft, Dara Khosrowshahi, le patron de Uber, … Vous aviez aussi la grande star mondiale, Mark Zuckerberg, mais aussi Éric Schmidt, PDG de Google. C’est extraordinaire. Il y a eu énormément d’opérations autour des discussions, que ce soit au cours du CMO Forum (pour les Chief Marketing Officer), qui est une nouveauté cette année, ou le CEO Forum. Il y avait du monde et des discussions très riches autour de l’innovation. Nous avons assisté à la présentation de très belles innovations présentées par Airbus, Valéo, et tout ce que font d’autres entreprises. J’ai tellement vu de choses que je ne sais pas où m’arrêter. Mais il y a quelque chose qui me tenait et me tient énormément à cœur, et je suis ravi qu’on ait pu le faire, c’est l’invitation de l’Afrique. C’est quelque chose que je voulais faire. Je pensais qu’il fallait donner un autre visage à l’Afrique.
Cio Mag : Mais pourquoi l’Afrique ?
M. L. : Jusqu’à présent on voit le Continent au travers des yeux des anciens colonialistes, ou des yeux des gens qui sont en train de tirer des avantages de l’Afrique, des corrupteurs, d’un certain nombre de choses qui ne sont pas très reluisants pour elle. A toute cette catégorie de personnes, je tenais à montrer un autre visage de l’Afrique. Il se passe des choses en Afrique et il faut absolument le montrer au reste du monde. Il fallait montrer que l’Afrique est un continent vibrant, un continent où il y a des innovateurs, où il y a des gens qui créent des choses. Le continent africain est très en avance sur bien des sujets avec des innovations qui continueront d’inspirer le reste du monde. Il y a tellement de choses qui prouvent que l’Afrique sur bien de domaines fait des avancées. Je me suis dit, il faut que l’Afrique soit notre invité d’honneur. Alors je suis très content et un peu déçu ! Je suis très content parce que voir le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Rwanda, le Nigéria, la Tunisie, l’Algérie … Tous ces pays où il y a beaucoup de start-up investissent et poussent. On aurait pu avoir 500 ou 1.000 start-up africaines. Il faut que, l’année prochaine, il y ait un mouvement massif de l’Afrique pour montrer que l’Afrique est là, qu’elle se bat, qu’elle a de l’énergie. Il y a des entrepreneurs, des innovateurs, des inventeurs, des gens qui ont des idées. De tout cela, je veux le montrer. Et j’espère que l’an prochain, ce sera deux fois, trois fois plus grand. Et, au lieu d’avoir une centaine de start-up (ce qui n’est déjà pas mal), d’avoir beaucoup, beaucoup plus !
Cio Mag : Aujourd’hui quelle est l’image que vous avez du numérique en Afrique, au-delà de la vitalité de ses start-up ?
M. L. : Pendant des années, j’étais retissant à investir en Afrique. J’étais retissant pour plusieurs raisons. La première et la plus importante des raisons, c’est que je ne voulais pas être « embarqué » dans des histoires de corruption. Parce que pour gagner des budgets, il fallait donner des enveloppes ; il fallait faire des choses que je n’aime pas faire, que je ne veux pas faire. Donc, pendant des années, je me suis refusé à le faire. La deuxième raison pour laquelle je ne voulais pas le faire, c’est que je ne voulais pas projeter des images de sociétés de consommation à une population qui est en besoin d’éléments vitaux : je me suis donc dis que ce n’est pas convenable, et qu’il fallait attendre. Je suis très heureux d’avoir attendu, parce qu’aujourd’hui, nous – Publicis – avons beaucoup investi en Afrique avec des présences en Afrique du Sud, au Rwanda, au Ghana, au Nigeria et dans plusieurs autres pays d’Afrique francophone. L’on constate des choses très positives. D’abord de l’optimisme : c’est quand même quelque chose de formidable ; l’Afrique est extrêmement optimiste. On voit aussi une Afrique volontaire, courageuse, qui a envie d’entreprendre. On voit une Afrique jeune ; il faut donner à cette jeunesse sa chance et sa chance passe par le numérique. Je pense que la possibilité de faire ce que les Anglais appellent « a leap frog », ou un saut de grenouille leur permettant de sauter de génération numérique, devrait leur permettre justement de se développer plus vite. J’en suis personnellement à la fois très heureux et j’en attends beaucoup. Je suis un grand ami, un amoureux de l’Afrique (il est né à Oujda au Maroc – NDLR) et je voudrais la voir encore plus dynamique et encore plus présente dans le monde occidental. Mon rêve, c’est qu’il y ait des start-up africaines qui deviennent des licornes, qu’il y ait des start-up africaines qui deviennent indispensables à des entreprises européennes, occidentales, américaines, chinoises …