Pour une due diligence juridique digitalisée

Une Tribune de Mohamed Chorfi*, avocat d’affaire tunisien, spécialisé dans la due diligence, le M&A et le corporate

Selon Guy Gweth, président du CAVIE (Centre Africain de Veille et Intelligence Économique), 40% de l’information relative à la situation socio-économique du continent africain reste sujette à « une imprécision et une mauvaise interprétation ». Ce chiffre montre que la question de la transparence et de la confiance dans les données produites par les entreprises africaines est une préoccupation majeure des opérateurs économiques étrangers. La difficulté d’accès à une information financière, juridique et comptable fiable peut susciter une forme de défiance et freiner de potentiels partenaires ou investisseurs dans le développement de leur activité sur le continent. C’est tout le sens de la due diligence juridique.

Cette pratique, établie de manière quasi systématique dans les services juridiques des grandes entreprises internationales, est encore peu répandue en Afrique. Et pourtant son impact est décisif pour garantir la solvabilité des entreprises africaines et aura pour conséquence l’amélioration de la perception du climat des affaires sur tout le continent. Dans ce contexte, les professionnels du droit en Afrique peuvent et doivent d’ores déjà favoriser une approche innovante en la matière en intégrant des outils digitaux et numériques. L’idée est donc de simplifier l’usage de cette pratique et ainsi établir un écosystème performant pour l’ensemble des acteurs économiques étrangers et africains.

La due diligence juridique, pas de confiance sans contrôle

La due diligence juridique ou audit juridique, est l’ensemble des vérifications qu’un éventuel acquéreur ou investisseur va réaliser, avant toute transaction, afin de se faire une idée précise de la situation de l’entreprise. L’objectif est de garantir et de sécuriser les opérations avec les contractants. La due diligence est un gage de confiance, particulièrement dans le milieu des affaires. Dans des économies dominées par l’informel, il est bien souvent compliqué d’accéder à des informations crédibles. Ne dit-on pas à juste titre que la confiance n’exclut pas le contrôle ! Cet exercice n’est pas réellement normalisé en Afrique néanmoins de nombreux juristes et autres experts de l’information ont tenté de formaliser le cadre de cette pratique. Les juristes et avocats spécialisés ont un rôle primordial à jouer dans la promotion de la due diligence. En effet, la normalisation de l’audit juridique, dont ils sont les dépositaires, pourrait dynamiser davantage les IDE vers l’Afrique. L’enjeu est de créer un climat de confiance et de transparence en permettant à tout investisseur d’accéder aux données utiles, fiables et stratégiques sur les entreprises. Habituellement, les experts en due diligence ont recours aux datas room, considérées comme des espaces utilisés pour héberger des données, généralement de nature

sécurisée ou privilégiée. Progressivement des datas room virtuelles se sont développées grâce à des éditeurs de logiciels spécialisés. Cette innovation constitue une avancée majeure dans le processus de normalisation de la due diligence juridique. De par les compétences et le développement croissant des infrastructures numériques, l’Afrique présente de nombreux atouts pour favoriser l’émergence de ce savoir-faire au sein des entreprises et chez les avocats. Mettre sur pied une un écosystème structuré autour de la due diligence juridique digitale peut devenir ainsi un véritable levier de croissance pour le secteur privé africain.

Digitaliser pour généraliser la pratique

Normaliser la pratique de la due diligence juridique grâce au digital, c’est en somme le nouveau défi pour les directeurs juridiques et professionnels du droit africains. Appliqué à la due diligence juridique, le digital offre plusieurs avantages. Il facilite notamment la dématérialisation des documents dans les data room. Ces plateformes de données, qui donnent la possibilité aux utilisateurs de stocker et de partager des informations, permettent de rassembler les documents susceptibles d’impacter la finalisation des contrats. Ces référentiels d’information en ligne assurent l’authenticité, la confidentialité, la sécurité et la traçabilité dans le partage des données. L’intelligence artificielle permet également de structurer rapidement un volume croissant de données. L’automatisation de certaines tâches comme la revue des clauses de contrat est une activité qui commence à peine à voir le jour mais qui promet une véritable révolution dans la profession. Cette instauration de l’IA est un moyen pour les juristes de se délester de tâches répétitives à faible valeur ajoutée afin de se concentrer davantage sur le deal, la négociation et la valorisation. Il faut toutefois rester vigilant sur l’intégration de ces nouveaux outils qui peuvent comporter certains risques en matière de protection des données.

L’Afrique dispose d’atouts économiques indéniables et les investisseurs étrangers sont parfaitement conscients du potentiel de croissance du continent. La généralisation de la due diligence juridique à travers le digital constitue un instrument à l’efficacité redoutable pour rassurer ces mêmes investisseurs. Transparence, confiance, sécurité, voici en quelque sorte le triptyque qui doit désormais régir l’investissement et l’ensemble des opérations financières en Afrique. La due diligence juridique digitalisée est aujourd’hui incontournable. Elle est la condition sine qua non pour consolider des économies africaines en pleine effervescence.


*Mohamed Chorfi est un avocat d’affaire tunisien, spécialisé dans la due diligence, le M&A et le corporate. Avec 15 ans d’expérience à son actif, il accompagne des institutions et des grands groupes internationaux en Tunisie.

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