Sénégal : et si le rachat de Tigo augurait une nouvelle ère dans la concurrence

TRIBUNE. La vague d’agitations médiatiques et judiciaires autour du rachat de Tigo vient de connaître un épilogue qui pourrait changer sensiblement la donne entre opérateurs de télécommunications. Explications.

C’est donc finalement Saga Africa Holdings Limited, un consortium contrôlé par un puissant trio de partenaires, qui vient de se porter acquéreur de la licence du second opérateur télécommunications au Sénégal. En revisitant les profils de ce nouveau venu sur le marché sénégalais, tout laisse présager l’entrée dans une nouvelle ère de la concurrence, celle portée essentiellement dans les nouveaux services digitaux.

Qui dans ce trio conquérant qui a racheté Tigo ?

Il y a d’abord Yérim Sow, le Sénégalais de l’étape. Un discret polytechnicien, propriétaire du groupe Teylium, connu dans les secteurs de l’immobilier, de la finance, de l’hôtellerie et des télécoms. Ses premiers faits d’armes dans le secteur des télécoms remontent au début des années 90. En bon visionnaire, il avait investi dans la création du premier réseau GSM en Côte d’Ivoire sous la marque commerciale Télécel. Actionnaire majoritaire du groupe Loteny Communication qui contrôlait cette opération, Yérim Sow va céder, en 2005, une partie de ses parts pour la somme de 76 millions d’euros à MTN tout en conservant quelques actions dans MTN Côte d’Ivoire.

Le second du trio, c’est Xavier Niel, PDG de Free, 4e opérateur mobile français. Il est aussi le promoteur de la Station F, le plus grand campus de start-up au monde sans parler de l’école 42, une école sans professeurs, sans notes et sans partiels, un nouveau concept révolutionnaire de fabriques de développeurs en informatique. Homme d’affaires très avisé, il fait en 2012 une entrée fracassante sur le marché de la téléphonie avec Free. En divisant par deux la facture de téléphonie mobile des consommateurs, il fournit des appels nationaux illimités vers plus de 40 pays incluant des SMS et MMS illimités et un accès à Internet avec 3 Go de data pour un peu moins de 20 euros, environ 13 000 francs CFA. Une révolution qui fera beaucoup de mal aux trois opérateurs télécoms qui se remettront difficilement de l’introduction des offres low cost, une pratique inspirée des compagnies aériennes. Pourra-t-il rééditer cet exploit au Sénégal ? Rien n’est moins sûr, compte tenu du niveau de la fiscalité et de la chute progressive de l’ARPU. En tous les cas, les consommateurs en demandent. Le prix d’accès à Internet et de la box (Triple play) sont jugées élevés par les consommateurs. Par exemple, l’abonnement à la Box de Sonatel est de 35 euros (après l’achat du boîtier), soit 23 000 francs CFA par mois, dans un pays où le salaire moyen mensuel est estimé à 114 152 francs CFA.

Enfin, il y a le Franco-Malgache d’origine indienne Hassanein Hiridjee. Légataire d’un patrimoine familial estimé à plus de 300 millions de dollars selon Forbes, Hassanein Hiridjee est aussi la deuxième fortune de Madagascar. S’il est le moins connu du trio, l’homme d’affaires est propriétaire du groupe Axian basé au Madagascar. Il s’est imposé dans les télécoms avec notamment Telma, 1er opérateur convergent à Madagascar et sa filiale Mvola, le tout premier service de transfert d’argent par téléphone mobile de Madagascar. On le retrouve aussi dans les secteurs de l’énergie, de la finance et de l’immobilier.

Il en fallait tant pour faire abdiquer Kabirou Mbodjie, PDG de Wari et le premier à avoir fait une offre ferme pour l’acquisition du second opérateur télécom sénégalais. C’est dire que Saga Africa Holdings Limited dispose d’une puissance financière et d’une large expertise pour faire bouger les lignes de la concurrence dans le secteur des télécoms sénégalais. Mais pas seulement.

Une menace pour Sonatel ?

Resté pendant longtemps atone, le marché des télécommunications sénégalais avait besoin d’une concurrence plus vigoureuse pour engendrer une baisse effective des tarifs. Un vœu pieux pour les associations des consommateurs qui dénoncent, depuis fort longtemps, la politique tarifaire de la puissante Sonatel, 4e filiale mondiale du groupe français Orange. Aujourd’hui, Sonatel contrôle 52 % de parts de marché, contre 26 % pour Tigo et 22 % pour Expresso Télécom. L’arrivée de la 4G, accompagnée de la montée en puissance d’Orange mobile, n’a fait qu’accentuer cette avance. Pourtant, à l’annonce de l’arrivée de Xavier Niel sur le marché sénégalais, après des tentatives non concluantes au Mali et au Congo via Monaco Télécom, un autre opérateur contrôlé par celui-ci, l’opération était perçue par certains observateurs comme un arrangement entre opérateurs français. Ceci dans le but d’écarter un jeune pouce du marché sénégalais qui pourrait faire trembler Orange Money, à l’issue de la fusion des activités de Tigo avec la marque Wari dans le secteur du transfert d’argent par mobile.

Si Orange compte faire évoluer ses activités de fournisseur télécoms traditionnel (téléphonie et Internet) vers les services digitaux avec notamment l’arrivée de nouveaux usages, il en va de soi que la stratégie des nouveaux entrants suive cette tendance. L’annonce de l’arrivée prochaine d’Orange Bank qui proposera de nouveaux services comme les microcrédits, les produits d’épargne ou d’assurance mais aussi sur d’autres services comme la formation à distance, l’e-commerce marque un nouveau tournant. Un tournant stratégique que le consortium SAHL compte aussi introduire pour s’aligner aux offres de services digitaux sur le marché. C’est sur ces segments en particulier que la concurrence se jouera contrairement à ce qui a fait le succès de Free en France où la concurrence était essentiellement orientée sur les services de la téléphonie classique.

Pendant ce temps, le Sénégal a entrepris dans le cadre du PSE (programme Sénégal Emergent), le référentiel de sa politique économique et sociale, une ambitieuse initiative dénommée Stratégie numérique 2025. La SN2025 prévoit la mise en application de 28 réformes sur le numérique, dont l’actualisation du cadre législatif et réglementaire, qui est devenu obsolète. C’est dire que toutes ces réformes concourent à transformer le secteur du numérique qui est identifié comme étant un pilier incontournable pour la réussite du PSE.

Cette dynamisation du secteur sonne en tout cas l’arrivée d’une nouvelle ère et entraînera l’émergence d’autres innovations frugales que l’Afrique pourra exporter dans le reste du monde. C’est bien parce que l’Afrique a été le laboratoire du paiement mobile que les enjeux liés à l’arrivée de nouvelles monnaies électroniques pose débat. De fait, il n’y a rien d’étonnant à ce que les manifestations se multiplient sur le continent autour de cette question. Ainsi du Mpay Forum prévu à Casablanca le 3 mai avec comme objectif de favoriser un échange de haut niveau entre opérateurs télécoms et banques.

Mohamadou Diallo
Président du comité d’organisation du Digital African Tour
Source : Le Point Afrique

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