À la suite du 7ᵉ Sommet UA-UE à Luanda, l’Afrique et l’Europe se trouvent face à un tournant décisif pour l’avenir de leur partenariat. Le récent rapport State of Africa-Europe 2025 trace une voie qui va de l’engagement aux résultats concrets, en mettant en avant des priorités communes allant de l’innovation numérique à l’action climatique. Le Sommet a offert l’occasion de faire le point, de reconstruire la confiance et d’accélérer la mise en œuvre conjointe. Au cœur de ce renouveau se trouve le partenariat numérique, une base pour une croissance partagée, une résilience accrue et une souveraineté construite grâce à un engagement égal de part et d’autre.
Reconfigurer l’équilibre des pouvoirs
La révolution numérique est devenue une nouvelle géographie du pouvoir. Les données, les algorithmes et la connectivité façonnent désormais les relations mondiales aussi décisivement que le faisaient autrefois les routes commerciales. Dans ce nouveau monde, l’Afrique et l’Europe sont confrontées au même paradoxe : une innovation dynamique sur leur sol, mais une dépendance envers des écosystèmes numériques largement contrôlés ailleurs.
L’appel de l’Europe à une « souveraineté technologique » reflète une aspiration partagée avec l’Afrique, la nécessité de garantir l’autonomie dans les technologies critiques, les chaînes d’approvisionnement et les flux de données. L’éveil numérique de l’Afrique, avec son écosystème de start-up en pleine expansion et sa population jeune, de plus en plus connectée, vise à garantir que ses données et ses talents génèrent de la valeur sur le continent. Ensemble, l’Afrique et l’Europe peuvent concevoir un modèle alternatif, un modèle qui équilibre ouverture et appropriation, accès et responsabilité, innovation et inclusion, démontrant que la véritable souveraineté se construit par la coopération, non par l’isolement.
Un pacte de confiance numérique grâce à des politiques et des réglementations alignées
Au niveau des politiques publiques, l’Afrique et l’Europe ont déjà construit un cadre solide pour un avenir numérique commun. Le African Digital Compact et la Stratégie continentale pour l’intelligence artificielle de l’Union africaine, tous deux approuvés en 2024, définissent une vision continentale unifiée pour une transformation numérique éthique, inclusive et axée sur le développement. Fait important, cette vision résonne avec les cadres réglementaires européens et avec la stratégie EU Apply AI récemment publiée.
Des initiatives complémentaires, telles que l’initiative Data Governance in Africa (2023-2028), font progresser un cadre africain de protection des données, d’harmonisation réglementaire et d’interopérabilité transfrontalière. Parallèlement, la Digital Investment Facility et le programme PRIDA (Policy and Regulation Initiative for Digital Africa) renforcent les environnements juridiques et institutionnels pour l’identité numérique, les paiements et la gouvernance électronique, contribuant à réduire la fragmentation et à renforcer la confiance.
La gouvernance partagée, plutôt que l’isolement, est ce qui définira la souveraineté numérique. Une architecture réglementaire co-construite, où l’innovation est encadrée par les droits, la transparence et la responsabilité, tout en respectant les valeurs et les contextes propres à chaque continent, peut garantir que la technologie serve les citoyens et stimule le développement économique sur les deux continents.
Faire le point sur ce qui est déjà en place
La coopération numérique Afrique-Europe a produit des résultats tangibles. Des projets tels que le câble sous-marin MEDUSA, reliant l’Afrique du Nord au sud de l’Europe, ou le partenariat Kenya–Estonie sur l’état civil numérique, montrent comment la collaboration peut générer des impacts réels en améliorant la connectivité, la gouvernance et les services aux citoyens. Les systèmes d’identité numérique et de paiements soutenus par Global Gateway, déployés dans les ports et aux frontières, permettent des guichets uniques douaniers et des corridors commerciaux intelligents, améliorant l’efficacité, la transparence et la collecte des revenus.
Les investissements dans les infrastructures cloud souveraines, les centres de données et le calcul haute performance s’accélèrent également. Des projets d’envergure, alignés sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, renforcent les capacités de calcul et les compétences numériques en Afrique, tout en consolidant les liens d’innovation entre l’Afrique et l’Europe. L’investissement dans les infrastructures numériques en Afrique subsaharienne, estimé à 7 milliards de dollars en 2024, devrait croître régulièrement d’ici 2030, reflétant un passage décisif de la connectivité aux capacités.
Ces avancées prouvent que les fondations du partenariat sont solides et mutuellement renforçantes. Ce qu’il faut désormais, c’est de l’échelle, de la coordination et une accélération pour transformer les premiers succès en un écosystème numérique intercontinental au bénéfice de l’Afrique comme de l’Europe.
Accélérer un avenir numérique partagé
L’avenir du partenariat Afrique-Europe dépendra de leur capacité à agir ensemble. Le State of Africa-Europe Report 2025 est clair : le temps des déclarations est passé.
Ce dont nous avons besoin maintenant, c’est d’alignement et d’accélération, transformer les cadres en financements, les projets pilotes en plateformes, et réduire la fragmentation grâce à des corridors numériques qui alignent réseaux numériques, infrastructures et transport. Le 7ᵉ Sommet UA-UE est désormais un jalon à partir duquel des progrès mesurables doivent commencer. En reliant les écosystèmes numériques, industriels et financiers, l’Afrique et l’Europe peuvent façonner un partenariat compétitif, co-souverain et d’envergure mondiale. Car la souveraineté numérique n’est pas une forteresse, c’est un pont. Et si la technologie reconfigure le monde, l’Afrique et l’Europe ont l’opportunité, et la responsabilité, de construire ce pont ensemble, en partenaires égaux façonnant un destin numérique commun.
Par :

Daniel Schaer, Ambassadeur au Kenya et en Afrique du Sud – Ambassadeur itinérant pour l’Afrique, Estonie

Dr Seydina Moussa Ndiaye, membre du Groupe consultatif de haut niveau du Secrétaire général des Nations unies sur l’intelligence artificielle, expert soutenant la stratégie panafricaine en matière d’IA de l’Union africaine





