Docteur Ibn Taimya Sylla, sénégalais vivant aux Etats-Unis, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en Télécom de l’école Supérieure des Télécoms de Tunis, d’un Master en Micro-onde et Electronique Spatiale de l’école Polytechnique de Montréal, d’un PhD en Microélectronique de l’école polytechnique de Montréal et d’un MBA en Finance et leadership Stratégique de l’université de Dallas (USA).
Au début de sa carrière, il a travaillé pour le Laboratoire de Recherches Stratégiques de Phillips (NaatLab) à Eindhoven – Hollande, où il a participé à la conception et à la réalisation du premier Circuit SoC Bluetooth de Phillips en Technologie CMOS. Ensuite, il a rejoint la multinationale américaine Texas Instruments. Là, M. Sylla a piloté en tant que directeur de Projet la conception et la mise sur le marché de plusieurs produits Wireless (Communication sans fil). Ces produits ont rapporté des dizaines de millions de dollars à l’entreprise ainsi qu’un positionnement stratégique important sur le marché. Il a également occupé dans cette multinationale le poste le Directeur du Marketing des produits Wireless de faible puissance et Directeur du Marketing Stratégique des produits Wireless pour les applications de télésanté et de télémédecine.
Fort d’une expérience de plus de 20 années, il conseille plusieurs agences de régulations de télécoms en Afrique. Actuellement Dr Ibn Taimya Sylla supervise, au niveau mondial, les opérations de la firme américaine Palma Ceia Semi-design, spécialisée dans la conception de circuits intégrés destinés au marché de l’Internet of Things (IoT). Pour CIO Mag, il a accepté de se prononcer sur les enjeux de la technologie blockchain et de l’Intelligence artificielle dans l’émergence du Sénégal, en soulignant les équations à résoudre pour permettre à son pays de prendre un envol définitif dans le domaine du numérique.
CIO Mag : La blockchain et l’intelligence artificielle constituent-elles une chance pour le Sénégal ? Comment le pays peut-il en profiter ?
Dr Ibn Taimya Sylla : Ma réponse est oui. Ces deux plateformes numériques constituent une chance énorme pour les pays en voie de développement en général et pour le Sénégal en particulier. Avant d’approfondir ma réponse sur ce sujet, je voudrais donner un bref aperçu sur la blockchain et l’intelligence artificielle. La blockchain peut être considérée comme une base de données distribuée constituée de blocs de données enchaînés et d’une cryptographie rendant presque impossible toute modification une fois qu’un enregistrement est effectué.
Ces caractéristiques de traçabilité et d’efficacité font de la blockchain une technologie idéale pour différents services financiers. Les plateformes blockchain offrent donc la transparence et l’immuabilité qui peuvent aider à faire face au manque de transparence, à la corruption et à l’utilisation abusive de fonds. Dans ce cadre, on peut citer en exemple le Programme alimentaire mondiale (PAM) qui a testé cette technologie dans le cadre d’un projet intitulé « Building Blocks » en janvier 2017 au Pakistan et en Jordanie.
Plusieurs familles vulnérables ont reçu du PAM des denrées alimentaires et une assistance en espèces, qui ont été authentifiées et enregistrées sur une blockchain publique via une interface smartphone. De cette façon, les décaissements sont imputables et peuvent être jumelés aux bénéficiaires. Par son fonctionnement, cela rend le processus plus rapide et plus précis. Permettez-moi d’évoquer un autre exemple. L’Ouganda a aussi lancé de son côté une initiative basée sur la blockchain pour lutter contre le fléau des faux médicaments.
« Pour tirer profit de ces plateformes, le Sénégal devra mettre en place des écosystèmes qui attireront les multinationales. »
L’intelligence artificielle en revanche est la compilation des théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine. L’intelligence artificielle de son côté peut permettre à notre pays [le Sénégal] d’accroître la productivité dans les secteurs comme l’agriculture, la santé et les infrastructures.
Ces types de plateformes pourront aider le Sénégal dans différents secteurs tels que le secteur financier, l’agriculture, la santé et aussi les infrastructures. Pour tirer profit de ces plateformes, le Sénégal devra mettre en place des écosystèmes qui attireront les multinationales. Cela permettra d’attirer les investissements directs étrangers (IDE), et par conséquent, la création d’emplois de qualité et stables. Les IDE permettront à ces secteurs de se développer au Sénégal tout en créant un effet d’entrainement vers d’autres secteurs de notre économie.
La combinaison des technologies de la blockchain et l’intelligence artificielle va-t-elle bousculer certains modèles économiques de nos pays notamment le Sénégal ?
La blockchain présente quelque chose de différent des technologies numériques précédentes qui suscite l’intérêt des chefs d’entreprises de secteurs tels que les banques, la manufacture, entre autres. Lorsqu’elle est couplée aux caractéristiques de l’intelligence artificielle, elle provoquera sans nul doute un bouleversement des modèles économiques dans des pays comme le nôtre.
De manière générale, il faut noter que le monde subit une transformation de la part d’un ensemble de technologies en pleine expansion. Ces technologies telles que l’intelligence artificielle, la robotique, les drones, les véhicules autonomes, la blockchain, les capteurs, l’Internet des objets, le big data, le cloud computing, la 5G, représenteront ensemble un marché global de plusieurs milliers de milliards de dollars en 2023. Je pense que c’est l’ensemble de ces technologies qui provoquera les mutations profondes irréversibles dans nos secteurs économiques, et précisément notre secteur tertiaire.
En matière de développement du numérique, quels sont les atouts du Sénégal ?
Le Sénégal dispose de deux atouts principaux par rapport à plusieurs pays africains :
– Une bonne infrastructure numérique de base. Même si elle n’est pas à son niveau idéal, elle peut servir de rampe de lancement assez efficace pour notre émergence numérique.
– L’autre atout se situe au niveau des ressources humaines de qualité. Le Sénégal, comparativement à la majorité des pays africains sub-sahariens, regorge de jeunes ressources humaines de qualité.
Dès lors, quelles sont les contraintes liées à l’émergence de la technologie numérique au Sénégal ?
Les contraintes liées à l’émergence numérique et auxquelles le Sénégal fait face, sont de trois natures :
– La disponibilité d’infrastructures adéquates
– La disponibilité d’une masse critique de ressources humaines
– De nouvelles régulations innovantes
Il nous faudra résoudre ces trois équations afin de permettre à notre pays de pendre un envol définitif dans le domaine du numérique. La résolution de ces équations requiert cependant une volonté politique que notre leadership tarde à démontrer.
À quelle place situez-vous le Sénégal dans le développement des technologies numériques en Afrique ?
Je pense que le Sénégal jusqu’à très récemment se classait dans le peloton de tête. Cependant, notre position est de plus en plus menacée par d’autres pays africains qui se montrent plus agressifs dans leur ambition de se positionner comme la destination idéale. Ces pays créent des conditions attrayantes pour les compagnies qui cherchent à pénétrer le continent africain. De ce fait, ils attirent le maximum d’investissements directs étrangers (IDE), avec des effets d’entraînement sur plusieurs secteurs de leurs économies.
Entretien réalisé par Joe Marone à Dakar