Relever le défi de la connectivité internet en Afrique sur les dix prochaines années. Un challenge pour le Mauritanien Ibrahima Ba. Responsable Facebook des investissements en infrastructures réseau dans les pays émergents, il explique les enjeux du projet 2Africa. Long de 37 000 km, ce câble sous-marin sera le premier à faire le tour du continent avec une ceinture en fibres optiques.
Propos recueillis par Anselme AKEKO
CIO Mag : Monsieur Ba, outre l’infrastructure 2Africa, d’autres projets de câbles sous-marins seront opérationnels dans les cinq prochaines années. Il s’agit, entre autres, du câble “Equiano” de Google visant une liaison entre le Portugal et l’Afrique d’ici 2021 ; du câble “IOX” prévu pour relier l’Afrique du Sud à l’Asie via La Réunion. Sans compter le câble Africa Coast to Europe (ACE). Autant dire que l’Afrique est la nouvelle autoroute des télécommunications. Comment l’expliquez-vous ?
Ibrahima Ba : L’Afrique compte 1,3 milliard d’habitants. Pratiquement deux fois plus que l’Europe. Elle a une jeunesse et une croissance qui sont formidables. Mais le niveau de la connectivité est encore plus bas : un peu plus de 25% de la population. Quand on regarde l’augmentation démographique et ce taux de pénétration internet encore très faible, on voit que l’avenir est très prometteur pour l’Afrique. C’est ce qui explique tous ces investissements qui visent à soutenir la croissance de l’internet en Afrique. Et pour nous Facebook, c’est très important de connecter les gens. Ça fait partie de notre mission. L’Afrique est une région où la connexion n’est pas effective partout. C’est pour cela que nous investissons dans 2Africa.
Un autre point qu’il faut souligner : il y a beaucoup de câbles sur l’Afrique mais 2Africa est le premier câble qui fera le tour du continent ; ce câble a trois fois plus de capacités que toutes les capacités existantes. C’est donc un projet énorme pour pouvoir assurer la capacité nécessaire pour la connectivité en Afrique.
Combien va coûter cette infrastructure ? Et comment sera-t-elle rentabilisée ?
Facebook est l’un des initiateurs de ce projet dont l’investissement est conséquent. Nous travaillons avec sept autres partenaires pour mutualiser cet investissement.
Peut-on avoir des chiffres ?
Les câbles nécessitent des investissements énormes. Ce qui est important, c’est de pouvoir mutualiser cet investissement pour que le prix d’accès à internet soit le plus bas.
Quelle sera la durée de vie de 2Africa ?
2Africa sera opérationnel entre 2023 et 2024 ; l’infrastructure a une durée de vie de 15 à 20 ans.
Mutualiser ce câble suppose la mise en place d’un cadre commun de gestion mais surtout de formation d’ingénieurs dans ce secteur. Qu’est-ce qui est prévu dans ce sens ?
Facebook investit déjà dans la formation. Nous avons au moins 50 cercles de développeurs sur le continent qui forment des milliers de jeunes africains dans la programmation et autres. Ce que ce câble va apporter, c’est surtout l’infrastructure nécessaire pour la connectivité à internet. Et puis, vous pouvez former des ingénieurs mais sans les infrastructures, il sera difficile de les voir monter en compétence. L’infrastructure est aussi importante dans la formation que dans la pratique.
Cette infrastructure a été conçue pour apporter à de nombreuses régions d’Afrique la connectivité internet dont elles ont tant besoin. Aura-t-elle aussi vocation à assurer l’autonomie et la sécurité de ces régions dans la circulation de l’information ?
Oui. En ce qui concerne l’autonomie, c’est le premier câble qui fait le tour de l’Afrique. Il va permettre une autonomie très importante dans la capacité internet autour du continent. On connecte au moins 16 pays d’Afrique. C’est donc le câble le plus autonome. La sécurité également nous tient à cœur. Tout le trafic de Facebook est sécurisé. Que ce soit sur ce câble ou sur les autres réseaux de transmission. La sécurité va continuer à être renforcée.
Avec une ceinture de 37000 km, ce sont donc des millions d’internautes qui seront déconnectés du monde en cas de coupure. Avez-vous pris des dispositions pour parer à de telles éventualités ?
Tout à fait. Il y a au moins trois innovations dans ce câble qui va améliorer la sécurité du trafic. S’il y a une coupure sur le côté est, on pourra utiliser la partie ouest du câble, et vice-versa. Deuxièmement, ce câble va être enterré jusqu’à 50 % de plus en profondeur que les autres câbles. Ce qui diminuerait les coupures accidentelles. Troisième innovation : beaucoup de pays en Afrique n’ont accès qu’à un seul câble sous-marin. Avec le câble 2Africa, certains de ces pays auront accès à un deuxième câble qui améliorera la connectivité et la sécurisation de la connexion. Nous avons donc plusieurs options qui vont diminuer les effets des coupures de câble.
Dans le contexte africain où les pays ne maîtrisent pas toujours la technologie de la fibre optique, à quoi faudra-t-il s’attendre en termes de contrôle ?
En ce qui concerne le contrôle, le câble ne change pas vraiment la situation habituelle de l’Afrique. Il faut juste regarder la fibre optique comme un moyen de transmission rapide. Il n’y a pas vraiment d’impact au niveau du contrôle ou de la sécurité des données. C’est juste un moyen de transmission comme le satellite, mais c’est le plus sophistiqué et le plus rapide.