Les administrations publiques peuvent-elles espérer tirer avantage des technologies de la Blockchain ? La question était au cœur du 7ème panel de la 9ème édition des Assises de la Transformation Digitale en Afrique (ATDA). Pour en parler, des conférenciers aux profils divers que variés, spécialistes de la Blockchan, des finances publiques et porteurs de projets.
Souleyman TOBIAS
(Cio Mag) – La compréhension du projet par tous ! C’était la première étape du panel modéré par Jean-Michel Huet. Il a donc rendu le sujet accessible à tous, en demandant aux panélistes de présenter des cas d’usage concret. L’Associé-BearingPoint a ainsi, d’entrée de jeu, démystifié la thématique.
La traçabilité des produits et des services via une application mobile afin d’en garantir l’authenticité (Nelly Chatue-Diop) ; une application blockchain pour la gestion des systèmes d’information des finances et fonds extérieurs pour l’amélioration de la gestion des finances publiques allouées par les bailleurs de fonds au Burkina Faso (Piet Kleffman) ! Les exemples ne manquaient pas. Nelly Chatue-Diop est co-fondatrice et directrice générale de Ejara, et Piet Kleffman, conseiller solutions Blockchain à Kfw (la Banque allemande de développpement).
Si les cas d’usage existe, comment alors expliquer la réticence notamment des institutions financières publiques à adopter les solutions basées sur la blockchain ? C’était la question centrale de ce panel 7.
Construire une confiance en la blockchain
En expliquant que « les technologies de la blockchain devrait créer la confiance entre Etat et citoyens », Chamsoudini Mzaouiyani, Directeur général de l’Agence nationale de développement du Numérique de l’Union des Comores a planté le décor des pistes de réflexions. Une confiance que son pays semble trouver. En effet, les Comores se sont engagées dans la transformation digitale et entendent en tirer plein profit. Car, l’Union des Comores veut « apprendre rapidement et investir juste », a déclaré Chamsoudini Mzaouiyani.
Pour convaincre le secteur financier public à faire le pas décisif, Jean-Marc Niel, Secrétaire Général du Credaf – Centre de réflexion et d’échanges des dirigeants des administrations fiscales- propose quelques pistes. D’abord, il faut travailler sur les garanties de la simplification et de la qualité des services aux populations. Ce serait « la fin des copie-conformes, des certifications etc… », fait-il observer. Ensuite, il a invité les services des finances publiques à penser au gain de temps, synonyme d’amélioration de leur productivité. Le secteur des finances publiques pourrait être également convaincu, pour peu que les solutions blockchain apportent des solutions pour la lutte contre la fraude fiscale. Le secteur pourrait donc compter sur l’authentification, l’immuabilité et la certification qu’apporte la blockchain. Mais cela reste encore insuffisant. Encore faut-il « donner une assurance totale sur la sécurité des informations utilisées dans les systèmes de blockchain », a enfin ajouté Jean-Marc Niel.
Il est donc clair que la confiance reste un frein décisif. Pour les panélistes, les autres difficultés sont bien mineures.
Entre moyens techniques, l’humain et la volonté…où réside le frein ?
Sur le continent, « les populations ont une forte appétence à embrasser les technologies de la blockchain », a rassuré Nelly Chatue-Diop. Femme de terrain, la co-fondatrice d’Ejara conclut sur ses expériences et peut donc affirmer « qu’on arrive à surmonter les difficultés techniques et humaines ». Les efforts qui restent à faire sont du côté des entreprises et des administrations, a-t-elle soutenu. « On peut toujours trouver une solution aux difficultés techniques si l’on a la volonté », renchérit Piet Kleffmann, lui qui conseille Kfm sur les solutions blockchain. Car, fait-il observer : « la promesse d’efficacité, de rapidité, de certification, de traçabilité est bien, mais les processus sont toujours moins transparents et moins accessibles ».
Mais sur ce volet, les Comores s’inscrivent dans un registre qui peut être cité en exemple ! Le pays veut finaliser l’informatisation de l’Etat, de même que son cadre réglementaire. Il travaille sur un code du numérique, une stratégie nationale de cyber-sécurité pour baliser la voie aux innovations technologiques. L’Union des Comores espère ainsi « rehausser la santé des finances publiques », a laissé entendre Chamsoudini Mzaouiyani. Car, son pays veut compter sur les technologies comme celles de la blockchain pour « répondre aux problématiques clairement identifiées et qui font sens ». « L’usage des technologies de la blockchain pour appuyer l’Etat dans sa capacité de mobilisation des finances publiques intérieures et la mise en place d’un contrat social favorable aux citoyens nous paraît quelque chose essentielle pour financer les chantiers nécessaires de développement de notre pays », a soutenu Mzaouiyani.
Si « les administrations fiscales sont un immense terrain de jeu de la blockchain » comme le déclare Jean-Marc Niel, alors il y a des raisons pour affirmer que les Comores sont dans la bonne dynamique. Surtout que la blockchain peut aussi aider à « gérer les dépenses publiques » de manière plus transparente.
Comment donc franchir le cap des doutes ?
D’abord, en s’informant au mieux et en s’appropriant les technologies de la blockchain. Nelly Chatue-Diop a appelé à définir bien clairement ces technologies. Pour elle, cela passe par l’engagement des régulateurs pour clarifier, réguler afin « d’accompagner les acteurs à aller plus loin ». Elle est aussi revenue sur « l’éducation et la sensibilisation sur le terrain ». Sur ce point, Internet participe à démocratiser l’information, s’est-elle réjoui.
Piet Kleffman a pour sa part appelé à dissiper les préjugés qui « compliquent les choses ». Mais prévient-il : « le plus important, c’est la volonté d’être transparent et responsable dans ce qu’on fait ». Cette transparence reste « une décision politique » croit-il. De son côté, Chamsoudini Mzaouiyani espère que les Comores franchiront le seuil technologique nécessaire pour le déploiement des solutions blockchain. Le directeur général de l’Agence nationale de développement du Numérique de l’archipel compte sur « une stratégie de formalisation des solutions et une pédagogie accessible aux citoyens ». Chamsoudini Mzaouiyani a donc fait observer que l’important ne sera pas la technologie, mais le fait d’insister sur les enjeux, les avantages de cette avancée technologique.
Sur ce, Piet Kleffmann pense que « l’Afrique est prête. Il ne suffit plus d’en parler mais d’utiliser ces technologies, de piloter de nouveaux concepts et de se familiariser avec ces technologies ». Ce faisant « il ne faut pas non plus sous-estimer l’angoisse face aux changements technologiques » pour les administrations des finances publiques, prévient Jean-Marc Niel, Secrétaire Général du Credaf. Car pour ces dernières, l’innovation technologique suppose une maturité suffisante pour maîtriser les technologies, la formation, les risques, etc.