Pendant quatre jours, de Paris à Montpellier, trois événements « Afrique » d’envergure ont rassemblé des milliers de personnes. Officiels, entrepreneurs et représentants d’institutions venus de tout le continent étaient présents dans l’objectif de construire des partenariats nouveaux et évoquer l’avenir des relations économiques entre la France et l’Afrique. La question numérique était en bonne place dans les débats et les acteurs du secteur, bien représentés.
(CIO Mag) – Entre Paris et Montpellier, la France vibrait cette semaine au rythme de l’Afrique. Après Ambition Africa, le rendez-vous organisé les 5 et 6 octobre par Business France, l’événement Bpifrance Inno Génération (Big) a offert une belle vitrine aux acteurs africains le 7 octobre. La semaine s’est enfin achevée à Montpellier par un sommet réunissant 3000 personnes autour de diverses thématiques et un dialogue entre le président français et 11 jeunes africains et issus de la diaspora.
Si les échanges musclés entre le chef de l’Etat et les jeunes à Montpellier ont fait les choux gras de la presse française – le président ayant été « bousculé » de son aveu même par des personnalités choisies qui n’ont pas hésité à dénoncer le « colonialisme », la « marmite sale » des relations Afrique-France, « l’arrogance » ou encore « le paternalisme français » – cette semaine Afrique avait pourtant un tout autre objectif. Etablir les bases de nouvelles relations entre la France et le continent, des « relations fondées sur le renforcement des coopérations économiques, avec un accent sur la recherche et l’enseignement, le soutien aux industries culturelles et créatives ou encore le développement du sport sur le continent », selon l’Elysée.
Le business, « avenir » des relations Afrique-France
Alors que la part de marché des entreprises de l’Hexagone n’a cessé de diminuer depuis 2010 (elle est passée de 10 à 4%), les autorités mettent tout en œuvre pour renforcer, d’une part l’attractivité de la France, et d’autre part, encourager la création de nouveaux liens d’affaires. Au ministère de l’Economie et des Finances, la rencontre Ambition Africa a ainsi lancé cette semaine consacrée à l’Afrique, rassemblant pendant deux jours, hommes et femmes d’affaires des deux rives de la Méditerranée. Le succès était au rendez-vous pour cette troisième édition, avec pas moins de 1200 participants dont 350 PME, startups et groupes français, plus de 400 entreprises venues d’une quarantaine de pays d’Afrique, une quinzaine de tables-rondes sur des thèmes aussi variés que le financement des PME, les loisirs, les transports, les villes nouvelles ou l’agriculture, et plus de 1000 rendez-vous B2B.
« Nous devons repenser les chaînes de valeurs, et c’est l’occasion pour les acteurs privés et publics français de bâtir de nouveaux partenariats avec les pays africains. Le développement des villes intelligentes et l’explosion du numérique sont aussi une opportunité à saisir ensemble. Le partenariat doit se faire sur la base du développement durable. C’est là que se joue l’avenir de nos relations, j’en suis persuadé », a affirmé Franck Riester, ministre français chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité, à l’ouverture de l’événement.
« Nous avons besoin de partage d’expériences et d’investissement. Nous demandons aux entreprises françaises d’assumer leur histoire avec l’Afrique et de venir investir chez nous, dans une optique de développement humain. S’installer avec des partenaires, pas seulement avec des employés », a répondu Félix Anoblé, le ministre des PME de Côte d’Ivoire. « L’avenir appartient à l’Afrique. La grande majorité des digital natives seront bientôt Africains. Il faut connecter les questions climatique et démographique pour adresser les défis de demain », a pour sa part rappelé l’économiste Carlos Lopes.
L’Afrique, le « Startup Continent » ?
Deux ans après la dernière édition d’Ambition Africa et une pandémie mondiale, la cartographie des participants de la rencontre semble avoir légèrement évolué. Plus de jeunes, plus d’Africains des pays anglophones, et aussi plus de femmes dans les couloirs et sur les scènes. Beaucoup sont en France pour prendre part à l’ensemble des événements du marathon africain, les entrepreneurs comme les officiels. Et la star de la semaine était sans conteste la ministre des Tic du Rwanda. Son nom est sur toutes les lèvres. « Inspirante », « excellente oratrice », « modèle », grâce à son charisme et son discours construit, Paula Ingabire aura sans nul doute réussi à diffuser avec brio son message : le Rwanda est un pays modèle en termes de transition numérique.
A Ambition Africa puis à Big, la ministre a offert un témoignage précieux sur les avancées de son pays en la matière, pays qui récolte aujourd’hui les fruits d’investissements conséquents en termes numérique. « La technologie est une nécessité pour le développement économique dans un pays aux ressources limitées », a-t-elle avancé. Infrastructures, développement des usages et formation, tels sont, selon elle, les piliers pour le développement digital des pays du continent. « Le Rwanda veut être un hub panafricain en matière de talents et de compétences. Il faut intégrer des programmes d’entrepreneuriat dans les écoles », a-t-elle par exemple expliqué.
Si un accueil d’honneur était réservé à la ministre des Tic du Rwanda, c’est bien parce que les discussions économiques ne peuvent plus faire l’économie du digital aujourd’hui et que les partenariats entre entreprises africaines et françaises peuvent se nouer dans ce secteur. Le thème a d’ailleurs été au cœur de plusieurs conférences cette semaine. « L’Afrique doit être le Startup Continent. Les problèmes des Africains doivent être résolus par des solutions locales », a assuré Olivier Cechura, DG Afrique de la startup Famoco.
« En Afrique, 10% de connectivité supplémentaire, c’est 1% de PIB en plus. Des opportunités formidables sont là ! », a abondé Stéphane Lelux, président du cabinet de conseils Tactis, qui mène de grands projets dans le déploiement d’infrastructures numériques sur le continent africain.
Talents et entrepreneurs tech
Plusieurs créateurs de startups numériques ont arpenté cette semaine, aussi bien les couloirs d’Ambition Africa, que la scène Afrique de Big ou le corner « Tech 4 Scale » du sommet Afrique-France. Tous sont là pour faire connaître leurs solutions innovantes, dans des domaines aussi divers que la e-santé, les Fintech ou les Industries culturelles et créatives.
L’Ivoirienne Cynthia Adediran Aïssy, lauréate de la première promotion du programme WIA Young Leaders, est par exemple venue parler de sa solution KeyOpsTech. Un système de digitalisation des flux de colis, qui permet de tracer et suivre des colis, « là où personne n’a envie d’aller », c’est-à-dire les zones rurales de Côte d’Ivoire. Les participants ont pu aussi découvrir eCentre Convivial, une application togolaise qui vise l’accès de la population aux informations et services de santé sexuelle et le suivi des grossesses. Ou encore les lunettes connectées conçues au Bénin par la startup AS World Tech. « Le talent, cette notion qui a aujourd’hui une connotation élitiste, en réalité, elle ne l’est pas. L’école de la vie peut bien vous apprendre des choses », a justement rappelé Néné Satourou Maïga, nouvelle directrice d’Orange Bostwana, lors d’une conférence axée sur la formation à Ambition Africa.
Pour ces jeunes entrepreneurs, de tels événements sont l’occasion de se faire connaître, de rencontrer des partenaires pour conquérir les marchés européen et français, mais aussi et surtout des investisseurs potentiels. Car la question du financement reste cruciale pour que puissent émerger de nouveaux acteurs du numérique africain. En effet, sur le continent, 20% des PME seulement ont accès à un prêt bancaire et 90% des startups n’ont accès à aucun financement.
Les participants des différentes rencontres ont donc appelé les pouvoirs publics africains à ouvrir la commande publique aux startups locales, et les investisseurs français à se tourner d’avantage vers les startups du continent, encore loin derrière le reste du monde en ce qui concerne les levées de fonds. « Pour orienter les liquidités et l’épargne sur le continent, il faut changer la perception des risques, qui est erronée. La résilience des entrepreneurs africains est extraordinaire », a expliqué Grégory Clemente, Directeur général de Proparco, filiale de l’Agence française de développement dédiée au secteur privé. Le message est en tout cas suivi de promesses, puisqu’Emmanuel Macron a évoqué, à Montpellier, le déblocage d’un fonds d’amorçage de 10 millions d’euros pour soutenir les startups africaines.
Au-delà des grandes promesses et des discours, au fil de la semaine, partenariats et recherches d’investisseurs ont en tout cas pu avancer pour plusieurs participants. Certes les acteurs traditionnels, officiels et grandes entreprises françaises, sont toujours bien présents dans ce type d’événement. Mais les partenariats business entre nouveaux acteurs, de tous les secteurs, et de tous les pays d’Afrique, se nouent en parallèle. « Si nous devons retenir un message : osons bâtir des partenariats d’avenir pour créer de la richesse ensemble et réussir à relever les défis du 21e siècle », a plaidé Franck Riester. Une façon, peut être, de récurer la « marmite sale », pour que Français et Africains puissent enfin s’asseoir à la même table.
Camille Dubruelh