Bien que l’Afrique ne soit responsable que de 4% des émissions de gaz à effet de serre, elle est l’une des régions les plus confrontées aux impacts du dérèglement climatique[1]. Celui-ci a tout particulièrement des effets dévastateurs sur les cultures, les récoltes et les pratiques agricoles, avec des conséquences dramatiques sur la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables. Selon le Programme alimentaire mondial, 18 des 24 pays les plus touchés par la faim dans le monde sont africains. Avec près d’un quart de la population africaine souffrant d’insécurité alimentaire grave, soit environ 322 millions de personnes, l’accès aux denrées alimentaires est grandement tributaire de leur production et des problématiques qui y sont liées[2]. Dans ce contexte, l’AgriTech, qui consiste à adapter les nouvelles technologies aux moyens de faire de l’agriculture, ouvre la voie d’un développement technologique répondant aux besoins actuels et futurs d’un secteur agricole amené à se réinventer et prenant en considération les besoins d’une population croissante.
L’innovation technologique au service de la sécurité alimentaire
En 2022, la Banque mondiale a publié un article mettant en exergue les nombreux facteurs qui freinent le développement d’une agriculture durable en Afrique et capable de nourrir ses populations[3]. Les menaces exogènes, telles que le changement climatique et les contraintes endogènes, ou encore le manque de financement et d’infrastructures, sont nombreuses et profondes, entravant ainsi le système agricole africain. Il est donc urgent de trouver des moyens pour résoudre ces problématiques.
D’ici 2050, l’Afrique subsaharienne contribuera pour plus de la moitié à l’augmentation de la population mondiale[4]. Avec 60% des terres arables dans le monde, l’Afrique importe cependant 80% de produits alimentaires[5]. Pourtant, le continent dispose des ressources nécessaires lui permettant d’atteindre la souveraineté alimentaire. En effet, outre une population jeune et dynamique, l’Afrique a un potentiel immense pour produire localement des ressources et créer de nouvelles sources de richesse pour ses habitants. La culture vivrière pourrait non seulement éradiquer la faim en Afrique, mais également créer de nouvelles opportunités économiques. Seulement, pour y parvenir, il est crucial de développer une production durable, efficace et rentable. Dans ce contexte, l’AgriTech se présente comme une opportunité pour tirer parti des avantages offerts par la digitalisation croissante, à condition que les populations soient formées à l’utilisation de ces technologies.
Les défis liés à l’insécurité alimentaire peuvent en effet être surmontés grâce aux avancées numériques qui constituent des outils précieux pour renforcer la productivité et la résilience de l’agro-industrie. En effet, des entreprises spécialisées dans l’innovation technologique à destination du secteur agricole émergent de plus en plus et offrent des solutions innovantes pour améliorer la production et la gestion des cultures.
Selon de nombreux rapports, d’ici 2050, plus de la moitié de la population du continent aura moins de 25 ans[6], ce qui souligne l’importance de les former aux nouvelles pratiques agricoles amenées par l’agrotechnologie. De nombreuses start-ups développées en Afrique et portées par de jeunes entrepreneurs travaillent sur des solutions vertes visant à améliorer la résilience d’un système agricole encore mal développé. La formation numérique des populations doit parallèlement pouvoir asseoir le développement de l’agrotechnologie en posant les fondements de la connaissance du digital en Afrique. En ce sens, Huawei a lancé le programme Seeds for the Future, qui permet aux jeunes talents africains de développer leurs compétences et connaissances en Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), y compris dans le domaine de l’AgriTech. Environ 2 100 jeunes Africains de 21 pays ont déjà participé à ce programme, et plus de 500 d’entre eux ont reçu une formation en Chine.
Un potentiel entrepreneurial important donc, mais qui nécessite un accompagnement éducatif en aval de toute conception technologique. En 2021, l’Agence de coopération internationale allemande GIZ a proposé, au travers de son programme « Make It in Africa », de former 40 start-ups africaines spécialisées dans l’AgriTech afin de renforcer leurs connaissances et faciliter leur accès aux financements[7]. Cette montée en compétences et une meilleure connaissance des enjeux sociaux et digitaux participent grandement à l’accélération du secteur en Afrique. Ainsi, des start-ups ambitieuses se lancent et projettent de développer et de démocratiser leurs innovations à l’ensemble des agriculteurs qu’elles souhaitent accompagner et soutenir. Nous pouvons notamment citer la start-up algérienne SevenG dont l’initiative FarmAI, finaliste de l’édition 2023 du concours Tech4Good de Huawei, repose sur un système novateur de détection précoce de la maladie de la rouille du blé en utilisant des drones équipés d’intelligence artificielle pour surveiller les champs. Cette solution vise ainsi à limiter les pertes dans les champs agricoles et à assurer la sécurité alimentaire en Algérie tout en répondant aux besoins spécifiques du continent[8]. D’autres initiatives telles que Zeba ou Hello Tractor permettent respectivement de réduire la consommation d’eau liée à l’irrigation ou bien de mettre en relation les petits exploitants agricoles avec des propriétaires de tracteurs, répondant ainsi aux problématiques spécifiques de l’Afrique[9].
Ces innovations technologiques récentes peuvent ainsi aider à renforcer la productivité et la résilience du secteur agricole mais elles doivent s’appuyer sur la formation et le développement d’un réseau numérique permettant l’application de telles avancées à l’ensemble du continent. Au-delà de la technologie, il est fondamental que ces innovations répondent aux besoins précis que rencontre l’Afrique et s’adaptent pleinement aux problématiques et aux usages des agriculteurs. Afin de tirer pleinement profit du progrès technologique, les secteurs publics et privés doivent de concert créer un terreau fertile engageant la digitalisation des structures et des pratiques agricoles.
Un développement des infrastructures numériques en faveur de la modernisation de l’agriculture africaine
De telles initiatives ne peuvent être pensées et encore moins appliquées sans la mise en place d’une couverture réseau homogène et durable. Dès 2017, un article du Forum économique mondial rappelait les limites de l’AgriTech en Afrique et notamment le « déficit des voies de communication et des infrastructures technologiques »[10]. En effet, cette agriculture nouvelle constitue une opportunité de développement considérable pour les populations rurales mais nécessite une couverture numérique inclusive allant jusque dans les zones les plus reculées. Pour ce faire, l’entreprise Huawei a développé RuralStar Pro, une solution qui permet de répondre aux défis de connectivité dans les régions les plus rurales du continent. Cette innovation est autoalimentée, à faible consommation d’énergie, simple et compacte, et peut être construite sur des poteaux en bois, ce qui réduit considérablement les coûts d’installation et de transport. Grâce à cette solution, Huawei a permis à environ 8 millions de personnes, dont des milliers d’agriculteurs, de 13 pays de la région Northern Africa d’avoir accès à la connexion Internet et de profiter des avantages de la transformation numérique.
Certaines banques de développement vont encore plus loin en participant directement au financement de l’AgriTech. Le développement de l’agriculture en Afrique est en effet au centre des préoccupations des institutions financières : lors du Sommet Dakar 2 dédié à l’alimentation en Afrique, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé vouloir investir 10 milliards de dollars pour faire de l’Afrique le « grenier du monde ». Une volonté forte qui passe également par le financement de ces nouvelles technologies, à l’instar de la start-up kényane Apollo Agriculture qui a récemment obtenu un prêt de 9,5 millions de dollars de la part de l’agence américaine de financement du développement. Un financement qui lui permettra de contribuer à l’amélioration de la sécurité alimentaire des communautés rurales ainsi que les rendements d’exploitants agricoles au travers de financements ou de l’apports d’intrants agricoles notamment[11].
De la même manière, les organisations publiques et en particulier les gouvernements, s’intéressent de près au bon déploiement d’un réseau internet stable et universel en faveur des petits exploitants agricoles. Bien que de nombreuses start-ups de l’Agritech bénéficient des financements leur permettant de s’accroître rapidement, l’usage de leurs technologies est intimement lié à la connexion qu’elles nécessitent. Souhaitant ainsi bâtir les fondations d’une nouvelle agriculture orientée vers la facilitation du travail des agriculteurs, l’Institut Tony Blair a travaillé en collaboration avec le gouvernement rwandais pour réviser sa politique en matière de haut débit et explorer des partenariats susceptibles d’aider à fournir des smartphones aux agriculteurs.
Finalement, les avancées technologiques peuvent stimuler l’agriculture en Afrique si elles s’accompagnent d’une formation adéquate et d’un accès universel à la connectivité. Les investissements des banques et des gouvernements mais également des acteurs privés, ainsi que les actions de nombreuses start-ups sont cruciaux pour la démocratisation de l’agrotechnologie. Une coordination des actions publiques et privées est nécessaire afin de pallier les manquements de l’agriculture actuelle et dès lors conduire vers la souveraineté alimentaire du continent et la sécurité alimentaire du monde.