Aristide Adjinacou, Directeur du Pôle Système d’Information et Digitalisation à l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN)
Identité numérique et gouvernance électronique : comment le Bénin construit-il sa Smart Nation ? En réponse aux questions de Cio Mag, Aristide Adjinacou, Directeur du Pôle Système d’Information et Digitalisation à l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN) explique la stratégie et la démarche du Bénin. Interview.
Cio Mag : Quelle est la politique du Bénin en matière d’identité numérique et de gouvernance électronique ?
Aristide Adjinacou : La politique du Bénin en matière d’identité numérique et de gouvernance électronique s’articule autour de trois piliers essentiels.
Tout d’abord, sous le leadership de notre Président Patrice Talon, notre ambition est de positionner le Bénin en tant que pays moderne, résilient et agréable à vivre. Notre stratégie de gouvernance électronique vise à exploiter efficacement le numérique et les nouvelles technologies pour une transformation profonde de notre économie. L’objectif ultime est de positionner le Bénin comme le principal hub des services numériques en Afrique de l’Ouest, le pays d’où partent toutes les innovations dans la région.
Le deuxième pilier concerne les aspects juridiques et réglementaires. Le Bénin dispose du code du numérique le plus avancé de la région, voire de tout le continent africain. Ce code aborde des questions cruciales telles que la protection des données, la cybersécurité, le commerce électronique, la signature électronique et l’identité numérique.
Le troisième pilier repose sur une stratégie claire, portée par le Programme d’actions du gouvernement 2021-2026 (PAG II). Cette stratégie comprend 7 projets stratégiques et 4 réformes. En matière de gouvernance électronique, elle intègre des services publics et des plateformes numériques plaçant les citoyens et les entreprises au cœur de nos préoccupations, simplifiant ainsi leurs vies et interactions avec le gouvernement. Parmi les actions concrètes déjà réalisées, nous avons déployé 1300 eServices informationnels sur le portail national www.service-public.bj dont 350 sont dématérialisés. Ceci est rendu possible grâce à la Plateforme Nationale d’Interopérabilité (PNI) qui permet d’échanger en toute sécurité des données. Elle favorise le croisement des données améliorant ainsi la gouvernance électronique en renforçant la cohérence des informations utilisées dans les systèmes d’information. Avec la PNI, et ses 3 millions de requêtes par mois, le citoyen n’aura plus besoin de fournir des actes administratifs car ses données sont déjà connues du système d’information gouvernemental.
Nous poursuivons nos efforts en développant des services basés sur l’intelligence artificielle pour offrir une expérience plus conversationnelle et adaptable à chaque citoyen. C’est le cas de GPT BJ, présenté lors du Salon de l’Entrepreneuriat Numérique et de l’Intelligence Artificielle (SENIA) qui représente la prochaine évolution de notre portail de services publics.
Où en est le Bénin dans la mise en place des projets d’identité numérique et de gouvernance électronique ?
Il est important de souligner que la gouvernance électronique est étroitement liée à la notion d’identité et de confiance numérique. L’établissement d’une identité numérique représente une condition préalable essentielle à la prestation efficace de services numériques. La capacité à identifier de manière fiable les individus dans le cyberespace joue un rôle central dans la facilitation des transactions numériques. Au Bénin, chaque citoyen dispose d’un Numéro Personnel d’Identification (NPI), basé sur la biométrie, constituant l’élément clé dans la création de son identité numérique.
Le Bénin a doublé sa performance sur l’indicateur de référence GTMI de la Banque mondiale.
Nous avons également déployé une Infrastructure nationale à Clés publiques (ICP/PKI) pour renforcer la sécurité et l’authentification dans le cadre de cette identité numérique. Cette infrastructure est utilisée pour certifier et signer les passeports leur donnant ainsi une force à l’échelle internationale. Combinée avec le NPI, la PKI nous offre déjà la possibilité de nous authentifier et de signer électroniquement dans diverses applications. Bientôt, ces fonctionnalités d’authentification et de signature électronique seront intégrées à la plateforme de gestion électronique des courriers, disponible dans la quasi-totalité des ministères et en cours de déploiement dans la totalité des mairies et préfectures. Il s’agit pour nous de réduire la quantité de documents papiers utilisés par l’administration et d’accélérer le traitement des dossiers.
De plus, dès l’année prochaine les citoyens n’auront plus à se déplacer pour déposer un courrier au sein d’une administration. Notre défi permanent est de permettre au citoyen de gagner du temps et de se concentrer sur ses activités génératrices de revenus. Grâce à toutes ces actions, le Bénin a doublé sa performance sur l’indicateur de référence GTMI de la Banque mondiale et est aujourd’hui classé au 8eme ex-aequo en Afrique avec le Rwanda et au-dessus de la moyenne mondiale.
Quid de la Plateforme Nationale de Paiement Electronique et de la mise en œuvre du commerce électronique ?
Dans notre quête pour un avenir numérique plus inclusif et sécurisé, la Plateforme Nationale de Paiement Electronique et la mise en œuvre du commerce électronique au Bénin est un projet important susceptible d’ouvrir la voie vers des opportunités économiques pour tous les usagers.
Lors de la dernière conférence des DSIs du gouvernement, j’ai souligné notre aspiration à une administration sans papier mais également sans argent liquide qui circule entre les mains des agents. Depuis plusieurs années, divers acteurs privés accompagnent le gouvernement en facilitant les paiements à distance pour nos concitoyens. Les marchands impliqués dans le commerce électronique sont confrontés à des défis administratifs et de gestion du cash, rendant la disponibilité d’argent liquide complexe. Notre objectif est de simplifier la vie de ces acteurs économiques, permettant aux consommateurs d’effectuer rapidement leurs achats afin de poursuivre leurs activités principales. Selon différentes études, environ 80% des marchands qui adoptent le paiement électronique parviennent à doubler leur chiffre d’affaires en moins de 18 mois. Il est donc important de veiller à dynamiser cet écosystème et de proposer l’adoption d’usages nouveaux.
Pour cela, au Bénin, nous avons pris l’initiative de construire une Plateforme Nationale de Paiement Electronique. Plusieurs volets sont prévus dont le premier concerne l’agrégation des paiements, intégrant les 3 principaux fournisseurs de compte mobile money présents sur la place et 2 entreprises de service public. Actuellement, nous sommes en cours de déploiement en vue du lancement de la plateforme dès cette année 2023. Un second volet permettra l’intégration des réseaux de cartes bancaires en même temps que le rapprochement d’autres services de l’administration béninoise comme ceux de la DGI et de la DGTCP.
Cette plateforme sera mise à disposition de tous nos partenaires. Notre priorité est de rapprocher les services publics des différents moyens de paiements existants en proposant des cas d’utilisation simples et fluides mais surtout d’offrir des services à valeur ajoutée comme le multicanal, la gestion contre la fraude, la conformité et un reporting efficient pour doper l’appropriation.
En termes d’infrastructures numériques et d’accès à la connexion Internet, le Bénin est-il assez aguerri ?
La réponse est OUI. Dans le cadre du PAG I, nous avons déployé la fibre optique sur quasiment l’ensemble du territoire. Le PAG II actuel prévoit une extension de 700 km, démontrant une stratégie bien définie pour couvrir tout le territoire.
Le data center national joue un rôle crucial […] favorisant une accessibilité économique et une meilleure efficacité.
La création de la Société Béninoise des Infrastructures Numériques (SBIN) permet de redynamiser le secteur et introduit une saine compétition sur le marché, avec des avantages directs sur les coûts liés à la connectivité. La connectivité, en effet, s’accompagne de la possibilité de réduire les coûts, et cette compétition dynamique a ouvert la voie à de nouveaux services.
En ce qui concerne les infrastructures, un Réseau National d’Administration (RNA) a été déployé pour interconnecter tous les sites administratifs, comptant aujourd’hui plus de 200 sites connectés, facilitant ainsi le partage d’informations essentielles. De plus, la mise en place d’un data center national joue un rôle crucial en permettant le déploiement de solutions au bénéfice des citoyens et entreprises, favorisant une accessibilité économique et une meilleure efficacité.
Quels sont les autres aspects essentiels à la mise en œuvre de la vision du Bénin en matière d’identité numérique et de gouvernance électronique ?
De nombreux aspects peuvent être mis en avant mais j’aimerais souligner avant tout que notre vision repose sur une approche intégrée qui combine le renforcement des capacités, la collaboration stratégique et la rationalisation des investissements, visant à répondre aux besoins des citoyens et à favoriser un développement numérique inclusif et efficace.
En effet, le renforcement des capacités est un aspect clé pour une meilleure adoption. Il est important de rendre les citoyens autonomes dans l’usage des services numériques. Les ressources humaines sont également au cœur de notre processus de conception, avec un accent mis sur l’écoute, la consultation et la compréhension des besoins des citoyens. C’est d’ailleurs l’une des missions du Centre De Services de l’ASIN qui mesure la satisfaction des citoyens pour identifier des pistes d’amélioration, témoignant de notre engagement continu dans cette transformation. La finalité est de créer des systèmes simples, centrés sur les usagers, et adaptés aux besoins des citoyens et des entreprises. Dans cette optique, nous sommes entrain de mettre en place, avec le soutien de la GIZ Bénin, le Centre de Transformation Digitale (CTD) pour lancer des programmes de formation et d’accompagnement destinés aux acteurs de la conception, qu’ils soient issus de l’administration ou du secteur privé.
Ensuite, la collaboration est un autre aspect important qui implique différents acteurs du secteur privé, du monde universitaire et même d’autres États. Cette collaboration déjà existante avec des pays comme l’Estonie, le Rwanda, le Maroc, la Chine, et le Luxembourg, doit se poursuivre. L’objectif est d’identifier et d’adopter les meilleures pratiques adaptées à nos besoins. Il est également crucial d’accélérer l’implication du secteur privé béninois et africain pour pérenniser les initiatives, maîtriser les coûts, développer les compétences locales et produire des solutions adaptées à nos réalités en stimulant l’économie numérique de notre pays. En collaborant avec des entreprises technologiques innovantes et les acteurs de la recherche universitaire, nous allons bénéficier de leur expertise et de leurs ressources, tout en partageant les risques et les coûts. Le CTD va jouer un rôle important encore dans ce processus, en soutenant le développement d’un écosystème numérique durable et de qualité, capable de produire localement des solutions innovantes, et en aidant à la fois le secteur public et privé dans le transfert de connaissances et le développement des capacités.
Enfin, face à la réalité d’un monde en constante évolution, où les ressources sont précieuses, la rationalisation des investissements est un aspect stratégique dans notre quête d’une administration intelligente et d’une gouvernance électronique efficace. Nous nous orientons pour cela vers des solutions à la fois économiques et efficaces, garantissant un impact maximal avec des ressources optimisées. L’une des clés réside dans l’utilisation de socles communs et réutilisables pour limiter les investissements et mutualiser les ressources. Les technologies émergentes nous rendent cela possible. Plutôt que de créer des solutions isolées pour chaque besoin, nous investissons dans des plateformes qui peuvent être adaptées et étendues au fil du temps, répondant à divers besoins sans nécessiter de réinvestissements constants. Cela permet non seulement d’économiser des ressources financières, mais aussi de réduire le temps de mise en œuvre et de garantir une cohérence dans l’ensemble du système de gouvernance électronique.
Nous sommes déterminés à améliorer le quotidien de nos concitoyens.
Pour conclure je dirai que le Bénin s’affirme comme un acteur incontournable dans le domaine du numérique en Afrique. Notre positionnement est salué tant sur la scène nationale qu’internationale. Nous bénéficions du soutien politique, nous avons les talents dans les secteur privé et public, nous avons les fondations technologiques, et nous sommes déterminés à améliorer le quotidien de nos concitoyens, que ce soit sur le territoire national ou au-delà de nos frontières.
Qui est Aristide Adjinacou ?
Il est l’actuel Directeur du Pôle Système d’Information et Digitalisation à l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN). Il jouit d’une vingtaine d’années d’expériences professionnelles dans les nouvelles technologies au cours desquelles il a travaillé avec des groupes internationaux. Sur son parcours, il a piloté la transformation digitale du groupe Europcar, dirigé la Recherche & Développement de la branche entreprise du groupe Alcatel-Lucent au niveau global. Par ailleurs, il a piloté des équipes aussi bien en Chine, en Inde, en Russie, en France et aux États-Unis. Marié et père de 3 enfants, Aristide a une double formation Ingénieur (ISEN) et MBA (ESSEC) complétée avec les certificats « Leading Digital Transformation » (HEC-Mines Paris Tech) et « Artificial Intelligence implications for Business Strategy » (MIT).