La 3ème conférence-débat du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) sur l’entrepreneuriat de la diversité et des diasporas, s’est tenue à Marseille (France) et en version online, le 9 novembre. Thèmes retenus pour ces échanges : l’innovation, la Tech et l’inclusion. Compte-rendu.
(CIO MAG) – Retours d’expériences de startuppeurs, de responsables d’institutions, d’organismes de financement ou d’incubateurs… les échanges ont été riches lors de la conférence organisée par le CPA à Marseille le 9 novembre.
Autour de l’innovation et de la Tech, les panélistes étaient rassemblés pour évoquer le rôle de la diaspora, et en particulier des entrepreneurs, dans la construction de nouveaux ponts entre l‘Afrique, la France et l’Europe. Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre français, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, a ouvert la séance. Elle a partagé avec le public son expérience professionnelle et personnelle, faite d’allers-retours entre les deux continents.
“C’est un sujet qui résonne en moi particulièrement. Mon parcours est fait d’échanges entre l’Afrique et la France, je n’ai pas cessé d’enjamber la Méditerranée”, a rappelé l’ex-directrice d’HP Afrique.
“L’Afrique et la France ont un destin commun et c’est une excellente nouvelle”, s’est-elle réjouie, appelant à “refonder les relations grâce à la dynamique entrepreneuriale”. “Les diasporas jouent un rôle essentiel et peuvent tisser le fil qui va relier ces deux parties du monde. Les entrepreneurs des diasporas sont une force, ils sont une chance, ils sont une richesse pour la France comme pour l’Afrique. Ils incarnent à la perfection ce partenariat gagnant-gagnant que nous voulons.”, a-t-elle assuré.
Yves Delafon, président du réseau d’entrepreneurs Africalink, a abondé dans le même sens. Persuadé que l’Afrique est le prochain moteur de la croissance mondiale, il a rappelé l’importance de construire un tissu de PME dense et multisectoriel pour soutenir le développement. Et le rôle de la diaspora est essentiel, dans le sens où elle peut être une communauté d’échanges pour aboutir à des partenariats. Pour Samir Abdelkrim, fondateur d’Emerging Valley, le digital est le secteur sur lequel les start-up des deux rives doivent miser. “Nous devons faire émerger une diaspora tech, a-t-il expliqué. Prenons les filières ou nous avons des problématiques communes, comme la biodiversité ou la santé, et travaillons ensemble pour anticiper les problématiques”.
L’entrepreneuriat et la tech comme vecteurs d’inclusion
Au-delà de l’aspect économique, le digital constitue aujourd’hui un vecteur clé d’inclusion, que ce soit en France ou en Afrique. “J’ai passé 30 ans dans le monde de la tech, je connais les formidables opportunités qu’il engendre et les freins qui lui sont liés”, a poursuivi Elisabeth Moreno. Celle-ci rappelle qu’encore aujourd’hui, le secteur est loin d’être assez inclusif, et regrette une “France numérique à plusieurs vitesses”. La ministre a notamment rappelé que seules 30% des salariées de la tech sont des femmes, alors que le secteur doit être “l’un des creusets de l’égalité des chances”.
Cette dernière a appelé les jeunes, notamment des milieux moins favorisés, à s’intéresser aux métiers du digital et les autorités à aider ceux qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat, par l’accompagnement et la formation. D’autant que le secteur digital offre des opportunités pour ceux qui veulent tenter l’aventure. Ange Frédérick Balma, fondateur de Sinilux, en est un bon exemple. L’entrepreneur a raconté au public son expérience. “On a commencé en Côte d’Ivoire et on s’est retrouvés en France, témoigne-t-il. Car son projet, qui offre côté africain l’électrification et la connectivité dans les zones rurales, trouve aussi des applications de l’autre côté de la Méditerranée. En effet, la technologie Lifi est utilisée en France comme une solution de développement durable, car elle favorise l’efficacité énergétique notamment. “C’est une innovation qui permet de répondre aux besoins des deux continents”, conclue l’entrepreneur.
Tout au long des débats, les panélistes ont insisté sur l’importance d’offrir aux jeunes des deux rives des “rôles modèles” inspirants. Aujourd’hui, les startuppeurs innovants sont nombreux, mais encore peu visibles. Virginie Kone, directrice des opérations spéciales et évènement à TRACE TV, a longuement évoqué cette mission des rôles modèles. “Ils doivent être accessibles et visibles, et les médias ont un rôle à jouer ici”, a-t-elle assuré.
Freins au développement des PME
A part le manque des rôles modèles, des freins persistants subsistent pour ceux qui veulent créer leurs entreprises. Les intervenants ont beaucoup insisté sur l’importance de la formation. Car avoir une idée innovante est loin d’être suffisant pour réussir à vendre un produit et ne s’improvise pas entrepreneur qui veut. Souvent, les startuppeurs ne parviennent pas à rencontrer leurs marchés. Là encore, ont expliqué les panelistes, les diasporas peuvent jouer un rôle prépondérant, notamment si elles souhaitent se lancer dans leurs pays d’origine, car elles connaissent le terrain.
Laurence Olivier, directrice de l’incubateur Marseille Innovation, a égrené les facteurs qui permettent selon elle à un entrepreneur d’opérer le virage vers un projet qui fonctionne. Selon elle, il est nécessaire d’avoir des capacités à entreprendre, à décider et à pivoter. “L’innovation, il y en a pleins dans tous les domaines. Le savoir-faire est là. Le rôle de l’incubateur est d’essayer d’aider le porteur de projet à entreprendre et à vendre. Il y a un marché à convaincre”.
Annicelle Kungne, co-fondatrice de Wecashup, a su rencontrer son marché. Depuis la France, elle a fondé avec son associé la start-up spécialisée dans le paiement en ligne, en visant une clientèle africaine. Grâce à un principe d’interopérabilité, le projet a pu se démarquer. Et l’entreprise est passée de deux employés il y a cinq ans à 18 aujourd’hui. Pour autant, l’histoire des deux entrepreneurs a été largement semée d’embûches. Entre les freins juridiques liés à leur statut d’immigrés en France, l’absence d’interlocuteurs, le manque d’ouverture d’esprit, les startuppeurs ne pensaient pas avoir tant de mal à convaincre. Et ont encore de grosses difficultés à trouver des financements.
“Trouver le beau projet et le bon entrepreneur”
Yves Delafon, également membre du CA de la Banque pour le commerce et l’industrie de Mauritanie, a lui aussi évoqué cette problématique d’accès aux financements. Du côté des entrepreneurs africains, l’accès reste très difficile. Et selon lui, on observe encore un trou entre la “Love Money” (dons de particuliers jusqu’à 50 000 euros) et les start-up qui parviennent à lever de grosses sommes (1 million et plus). Entre les deux, les PME qui ont besoin de 100 000 à 500 000 ne les trouvent pas, regrette-t-il. “Aujourd’hui, le système bancaire africain ne finance pas les PME”, a-t-il expliqué.
L’une des solutions évoquées par les panélistes consiste à mettre en place des partenariats entre entrepreneurs des deux rives, dans une logique de “codéveloppement”. Ainsi, pour se lancer sur le marché africain, il est essentiel de travailler avec un partenaire sur le continent, qui contribue au capital comme au savoir-faire. Et ici, le rôle de la diaspora est essentiel. “Il y aura des grands demain en Afrique. Ils sont petits aujourd’hui”, a poursuivi Yves Delafon. “Le facteur humain est au cœur de tout. Par le biais d’une communauté, on trouve les partenaires et on gagne un temps fou”, a-t-il résumé.
Dieudonné Okolas-Ossami, fondateur de e-tumba, en est lui aussi convaincu. En France, l’entrepreneur s’est heurté à des problèmes de financement lorsqu’il a voulu se lancer dans l’agritech. Sa solution ? Nouer des partenariats avec des industriels français, qui ont besoin de matières premières. “En créant ce que j’appelle des alliances dynamiques d’implémentation, je peux donc rassurer les partenaires financiers français”.
Formation des entrepreneurs, mise en valeur des rôles modèles, meilleur accès au financement, les pistes ne manquent pas pour faire décoller les entrepreneurs de la diaspora et émerger de beaux projets générateurs de croissance inclusive. Wilfrid Lauriano Do Rego, coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique, a ainsi conclu cette conférence. Après une dernière étape à Paris mi-décembre, toutes les idées échangées lors de ces conférences seront rassemblées et présentées au président français sous forme de recommandations.
Camille DUBRUELH