Basé à Paris et à Washington, ainsi que présent à Johannesburg, Dakar, Abidjan, Lomé, Cotonou, Douala et Nairobi, le cabinet de recrutement AfricSearch offre des opportunités professionnelles aux talents africains désireux de poursuivre leur carrière en Afrique. Son fondateur Didier Acouetey répond à CIO Mag.
CIO Mag : Depuis que vous avez créé AfricSearch, constatez-vous dans les chiffres de votre cabinet un accroissement des cadres ou non cadres d’origine africaine qui sont retournés en Afrique pour poursuivre leur carrière professionnelle ?
Didier Acouetey : AfricSearch a été créé en 1996 avec pour objectif principal de promouvoir les talents africains en leur offrant des opportunités de retour sur le continent. A l’époque, l’Afrique attirait encore peu de cadres africains de la diaspora, en raison de l’afro-pessimisme ambiant. Notre initiative a néanmoins, dès son lancement, séduit de nombreux cadres désireux de poursuivre leur carrière sur le continent. Depuis lors, avec la croissance économique soutenue que l’Afrique a connue, les retours au pays se sont multipliés.
Alors qu’au lancement des activités du cabinet, les recrutements s’élevaient à une cinquantaine par an, nous sommes passés dès le début des années 2000 à plusieurs centaines de recrutements chaque année, grâce notamment aux recrutements effectués à travers notre forum AfricTalents qui est organisé depuis lors dans plusieurs capitales africaines et à Paris. Nous observons donc depuis cette période un phénomène d’accélération du retour des « repats ».
Quelles sont leurs motivations ?
D. A. : Elles sont multiples. Premièrement, les besoins des économies africaines en compétences sont très importants dans un contexte de croissance continue. Les opportunités sont donc beaucoup plus nombreuses pour les Africains sur le Continent. Deuxièmement, les carrières sont plus rapides, avec des responsabilités accrues. Comme disent les Anglo-saxons, « Only sky is the limit » ! Troisièmement, l’épanouissement personnel et familial est une vraie réalité, avec des conditions de vie plus aisées, à moindre coût qu’en Europe par exemple. Quatrièmement, sur le plan social, vous avez une véritable reconnaissance de votre environnement et une vie sociale plus riche. Cinquièmement, avec des niveaux de salaires deux à trois moins élevés qu’en Europe, on constate un pouvoir d’achat beaucoup plus fort et une allocation différente des ressources qui permet de vivre bien mieux qu’à Paris ou à Londres par exemple pour un cadre ayant étudié en France ou en Angleterre. Enfin, ce sentiment de contribuer au développement de l’Afrique est quelque chose d’unique pour un Africain qui retourne sur le continent.
Pouvez-vous nous citer deux ou trois exemples de personnes « repats » d’origine africaine ayant fait leurs études en France, en Europe, aux Etats-Unis ou leur début de carrière hors d’Afrique, et qui sont reparties travailler en Afrique ?
D. A. : Nous avons plusieurs exemples qui montrent le potentiel de carrière qu’offre le continent Africain. Par exemple, il y a Daouda Coulibaly directeur général de Attijariwafa Bank en Côte d’Ivoire ; Mathieu Mandeng, directeur général de Standard Chartered Bank à l’Ile Maurice ; Patrick Mbengue, PDG du groupe INOVA et président du groupement des opérateurs du secteur des TIC en Côte d’ivoire (Gotic CI) ; ClaudeM’Bayia, membre du Conseil de Régulation de l`Autorité de Régulation des Télécommunications/TIC (Artci) de Côte d’Ivoire (voire aussi encadré). Ce sont des cadres qui effectuent des parcours remarquables sur le Continent. C’est d’abord le fait de leur talent, dans une Afrique en pleine transformation économique.
Est-ce que la croissance de l’économie numérique dans les pays africains suscite des retours au pays parmi les « têtes » que vous « chassez » ? Avez-vous des exemples de compétences informatiques et/ou numériques « repats », et pour quelles entreprises ?
D. A. : La révolution numérique avec la formidable croissance du secteur des technologies a créé une nouvelle économie, portée par la téléphonie mobile, et relayée désormais par les secteurs comme l’industrie bancaire, l’éducation, les services. Cette nouvelle économie a permis d’offrir de nombreuses opportunités aux Africains de la diaspora. Le secteur de la téléphonie mobile a été celui qui a le plus recruté de « repats » dans les fonctions techniques et les métiers supports. A ce secteur se sont ajoutées les sociétés qui produisent du contenu pour les opérateurs, et les différentes industries qui digitalisent leur business comme les secteurs financier, éducatif, santé, agricole ainsi que les administrations publiques en quête de modernisation.
Des entreprises comme Orange, MTN, Moov ou des SSII – appelées aujourd’hui Entreprises de services du numérique (ESN) – ont recruté de nombreux « repats » ces dernières années.
On observe deux dynamiques intéressantes : l’externalisation des services informatiques de certaines grandes sociétés dont ce n’est pas le cœur de métier ; la création de nombreuses Start-up dans le secteur du numérique qui proposent des applications pour diverses industries (e-banking, e-éducation, e-santé, l’industrie des loisirs, etc.) et des services à valeur ajoutée pour les opérateurs de téléphonie mobile.
Citons l’exemple de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) qui avait externalisé son département informatique, lequel a ensuite été racheté pour être transformé en SSII par le directeur que nous avions recruté à l’époque.
Au niveau des salaires (rémunération et intéressement), comment se passe le retour professionnel en Afrique ? Les niveaux de rétribution sont-ils un frein ou un obstacle au retour des cadres d’origine africaine en Afrique ?
D. A. : La comparaison mécanique des salaires et packages proposés en Afrique par rapport aux rémunérations offertes en Europe ou aux Etats-Unis a souvent tendance à freiner les « repats » qui ne connaissent pas bien, ou ont oublié, les conditions de rémunération en Afrique, selon les pays. Mais en réalité, on constate une amélioration du pouvoir d’achat des « repats » en Afrique, même avec des salaires moins élevés de 20 % à 50 % qu’en Europe par exemple. Cependant, les rémunérations qui leur sont proposées depuis vingt ans ont connu une augmentation notable pouvant aller de 50% à 150 % par rapport à ce que nous constations à la fin des années 1990. Disons que ces augmentations n’ont fait que corriger des « anomalies » qui n’étaient pas justifiées à l’époque. Ainsi, nous avons pu observer des différences de traitement pour un DSI à qui il était proposé un salaire de 2,5 millions de francs CFA par mois en 2002 contre 4 à 5 millions aujourd’hui.
Votre cabinet est actuellement implanté dans six pays d’Afrique (Togo, Bénin, Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire, Afrique du Sud), outre Paris et à Washington : prévoyez-vous d’autre pays africains et quels sont les pays africains qui attirent le plus les « repats » ?
D. A. : Nous comptons ouvrir davantage de bureaux en Afrique anglophone, notamment au Ghana, Kenya, Nigeria, avec l’appui de notre nouveau partenaire, le cabinet de chasseur de têtes Alexander-Hughes. Concernant les pays qui attirent le plus les « repats » en Afrique de l’Ouest, la Côte d’ivoire et le Nigeria se démarquent fortement. En Afrique de l’Est, le Kenya et le Rwanda attirent beaucoup, et l’Afrique du Sud, malgré son ralentissement économique continue d’être un pôle d’attraction pour les « repats ».
Propos recueillis par Charles de LAUBIER
Interview parue dans CIO Mag N°47