Alpha Barry, CEO Atos Afrique
En matière de smart city, les initiatives sont encore timides en Afrique et il est trop tôt pour tirer des conclusions, quand bien même, ici et là, on observe un élan de plus en plus prononcé pour les solutions intelligentes. Dans cette interview, Alpha Barry, CEO d’Atos Afrique, fait un état des lieux de la transformation digitale des villes et explique la démarche du groupe dans la mise en place de technologies smart cities.
Cio Mag : Quel état des lieux faites-vous de la transformation digitale des villes africaines ?
Alpha Barry : Les villes africaines sont loin d’être homogènes. Tandis que certaines grandes métropoles ont entamé une feuille de route pour moderniser leur gestion et digitaliser les services rendus aux citoyens, d’autres peinent à subvenir aux besoins les plus rudimentaires de leurs résidents. De plus, elles doivent relever des défis, notamment financiers, importants pour être autonomes. D’une manière générale, la transformation digitale est un de ces défis. Certaines grandes villes misent sur la mise en place de capteurs intelligents et une transition vers une ville intelligente, d’autres sur la digitalisation des services aux citoyens – c’est la notion d’e-gouvernement qui est de plus en plus adoptée, ou encore la digitalisation de certains secteurs économiques comme l’agriculture ou la pêche. Cette transformation est donc en rapport avec les moyens mis à disposition des villes et à leur vision à moyen et long terme.
Cependant, toutes les villes et pays africains ont, d’abord, en commun un impératif de modernisation en développant des projets de transformation digitale grâce, notamment, à un héritage moins lourd en termes d’infrastructure. Les villes qui se transforment répondent aussi aux besoins d’une classe moyenne en croissance, productrice et consommatrice de données et d’applications autour de ces données. Ensuite, les pays qui ont amorcé leur transformation digitale ont, de fait, « booster » l’innovation, poussée par une jeunesse africaine entreprenante et férue de technologie. Enfin, les autres paramètres qui peuvent orienter sensiblement les choix stratégiques de transformation digitale sont la disponibilité d’un capital humain suffisant au sein des administrations pour soutenir cette transformation, et la disponibilité d’un financement en adéquation avec les besoins.
Concrètement, comment Atos accompagne-t-elle les villes dans leur transformation ?
A. B : Les pays africains sont confrontés à une urbanisation intensive, inédite même, qui rend difficile la planification de l’espace urbain. Chaque ville étant unique, nous commençons par reconnaître la spécificité de chaque territoire.
Dans un premier temps, nous écoutons les élus et employés des communes, des préfectures. Nous traduisons les besoins de la ville en programmes – chaque programme étant composé de projets – et planifions ensemble l’exécution des programmes. À titre d’exemples : automatisation du trafic routier ; portail internet de la ville qui regroupe, entre autres, les informations utiles, adresses, répertoire téléphonique.
Dans un second temps, nous mettons à disposition une équipe pluridisciplinaire, comprenant, par exemple, des Business analyst, des Experts économiques, des Spécialistes en Territoires intelligents. Une étude 360° de la problématique, de l’écosystème, des différentes solutions envisagées ainsi que de leur portée économique, sociale et environnementale, ce qui permet de trouver la solution adaptée à chaque ville.
Nous pensons aussi que cette solution, pour être efficace, devra être mise en place de manière progressive pour s’intégrer sans heurt dans le fonctionnement de la ville. Les villes intelligentes se transforment pas à pas.
À titre d’exemples, quelles sont les success stories d’Atos sur le continent ?
A. B : Je citerai deux exemples : un projet d’agriculture et un autre autour de la qualité de l’air dans une grande métropole. Pour relever le défi de l’autosuffisance alimentaire, les ministères techniques, avec un groupe de municipalités, ont mené avec Atos une étude de faisabilité avec un prototype de la plateforme testé sur quelques régions et sur des process-clés permettant d’apprécier, selon le modèle dit “d’économie de plateforme”, l’atteinte d’objectifs tels que l’augmentation du rendement agricole, la diminution des pertes et gaspillages le long de la chaîne de valeur, une meilleure distribution du riz d’une région excédentaire vers des localités déficitaires, ainsi que la réduction des asymétries d’informations sur les prix.
Le succès du projet est sans équivoque, et le déploiement national du prototype (retardé par l’avènement du Covid) devrait permettre aux populations :
- De créer une base de données de recensement et de meilleur partage d’informations (riziculteurs et leurs terres, autres acteurs de l’écosystème, usage des intrants et subventions) ;
- D’apporter une assistance aux riziculteurs permettant d’augmenter leur productivité et leurs revenus en conséquence ;
- De faciliter l’accès aux crédits pour les exploitants agricoles ;
- De créer une marketplace autour de la vente du riz ;
- De faciliter et de vulgariser les paiements électroniques (le mobile money notamment) dans la filière ;
- De disposer d’un accélérateur d’initiatives d’agrégation de l’information et d’un outil de pilotage et de prise de décision à destination des programmes publics.
Le deuxième exemple est la réalisation d’un Proof of Concept sur le thème de la qualité de l’air dans le centre-ville de la métropole. Le programme est intitulé « Sustainable and Smart City Demonstrator ». Il est mené avec plusieurs partenaires, notamment des partenaires locaux, que nous avons tenu à impliquer.
En se servant des données satellitaires et celles de terrain acquises à travers des capteurs, l’idée est de mesurer la qualité de l’air, de traiter ces informations et de les mettre à disposition des différentes agences et partenaires de la ville pour exploitation. La finalité étant, bien sûr, d’avoir une meilleure idée des mesures à prendre pour améliorer la qualité de vie des citoyens.
Où en êtes-vous avec la solution « Urban Data Platform », une année après son lancement ?
A. B : Les exemples de projet que je viens de citer ont pour socle l’« Urban Data Platform » d’Atos. C’est un produit issu de nos laboratoires, de nos expériences accumulées à travers le monde sur les territoires intelligents, sur l’IoT (Internet of Things), sur le traitement des données satellitaires.
Des porteurs de projets smart seront invités à collaborer avec Atos autour de solutions à fort impact écologique, des solutions autour de la smart mobility, smart agriculture, smart energy, etc.
En Afrique, cette solution pourrait être considérée comme un produit de confort ; cela serait méconnaître les possibilités quasi infinies qu’il offre. Il adresse plusieurs domaines dans la gestion d’une ville et s’adapte à la stratégie et aux spécificités de chaque territoire. Nous voulons encourager l’adoption des solutions intelligentes en Afrique. Voilà pourquoi, en 2023, nous lancerons des initiatives autour des smart cities dans plusieurs villes africaines. Des porteurs de projets smart seront invités à collaborer avec Atos autour de solutions à fort impact écologique, des solutions autour de la smart mobility, smart agriculture, smart energy, etc. Ces acteurs locaux apporteront une proximité évidente et une profonde connaissance des problématiques et des solutions propres à leurs territoires respectifs. Ils pourront collaborer directement avec nos experts et bénéficieront de cette expérience accumulée sur les territoires intelligents et le modèle d’économie de plateforme. Ce que nous espérons, in fine, est que ces acteurs locaux soient les porte-voix pour l’adoption des solutions intelligentes.
Outre le socle « Urban Data Platform », parlez-nous des autres solutions mises en place ?
A. B : Atos est l’une des plus grandes entreprises de services numériques au monde, leader sur la cybersécurité, le cloud privé, le digital workplace, notamment. De surcroît, Atos est un constructeur informatique : la gamme de serveurs hautement performants Bull Sequana est construite et distribuée depuis des décennies par Atos.
À noter que nous sommes présents en Afrique depuis les années 1950 sous la marque Bull, qui a été acquise par Atos en 2014. Nous sommes un partenaire de la transformation digitale des États africains, de la fourniture de supercalculateurs, de datacenters, de la mise en place de plateformes de gestion spécifiques aux États, par exemple pour la gestion des finances publiques, des taxes, des solutions d’identification des citoyens.
Quelle projection faites-vous des villes africaines en termes de digitalisation d’ici 10 ans ?
A. B : L’évolution de la digitalisation se fera de manière progressive avec une finalité principale qui est la mise à disposition de services publics centrés sur le citoyen. La première étape consiste à digitaliser l’espace de travail des administrations. Comme nous le savons, beaucoup de territoires ne disposent pas de systèmes informatiques permettant de supporter toutes leurs activités, de consolider les données financières, de gérer leur personnel et de permettre leur prise de décision. C’est la première brique à poser : l’infrastructure.
Chez Atos, nous pensons qu’il est possible d’atteindre cet optimum dans un horizon de 10 ans, à condition de disposer de la volonté, des stratégies clairement définies et de plans exécutés de façon efficace.
Ensuite vient l’étape e-Gouv. Elle ne concerne pas que l’administration centrale. Les autorités locales ont aussi leurs rôles à jouer. Elle consiste à passer d’une organisation en silos – où chaque service ou chaque département gère ses propres systèmes, ses propres données et ses propres services – à un ensemble cohérent, avec l’interconnexion des plateformes, afin de délivrer des services aux citoyens à travers un guichet unique.
À terme, quand le service au citoyen sera devenu au centre des applications, les objectifs seront la durabilité, le bien-être, la performance économique et l’impact carbone réduit. Une collecte de données permanente sera mise en place, ainsi qu’une interopérabilité des données de différents secteurs. L’information agrégée permettra de mieux planifier, d’ajuster et d’intervenir plus rapidement. La ville devient ainsi une smart city, c’est-à-dire une cité « intelligente ». Chez Atos, nous pensons qu’il est possible d’atteindre cet optimum dans un horizon de 10 ans, à condition de disposer de la volonté, des stratégies clairement définies et de plans exécutés de façon efficace.