Comment les startups africaines ont-elles réussi à lever des fonds malgré la crise sanitaire et économique ? Et quels sont les secteurs qui attirent les investisseurs sur le continent ? Plusieurs investisseurs terrain se sont réunis pour apporter des pistes de réponse à ces questions, lors du sommet Emerging Valley, qui s’est tenu les 8 et 9 avril à Marseille (France) en version online. Et les nouvelles pour l’écosystème africain sont plutôt réjouissantes.
(CIO Mag) – “Les résultats cette année ont été bien meilleurs, comparé au scénario catastrophe auquel on pouvait s’attendre”. Le bilan dressé par Cyril Collon, Partner de Partech Africa, est optimiste. Malgré la crise économique et sanitaire, le bilan des levées de fonds par les jeunes pousses africaines en 2020 est loin d’être mauvais.
En introduction de cette plénière qui rassemblait plusieurs experts et investisseurs autour du thème du financement des startup, lors du Sommet Emerging Valley, l’expert a rappelé quelques chiffres : en 2020, 1,429 milliard de dollars de fonds en equity a été levé par les startups, ce qui représente une baisse de -29% par rapport à l’année précédente.
Pourtant, lorsqu’on regarde dans le détail, les chiffres cachent une réalité plus lumineuse. Selon le rapport Partech, en 2020, 359 levées de fonds ont été réalisées par 347 startups, contre 250 tours de table recensés en 2019, soit une croissance de +44%. L’année a même été celle où le nombre de startups ayant levé des fonds a été plus important qu’au cours de toutes les années précédentes. Autre signal très positif : le nombre de levées en amorçage qui s’est massivement accéléré, atteignant 228 transactions (+80% par rapport à l’année précédente).
L’analyse mois par mois montre aussi que la crise n’a eu aucun impact visible sur l’activité générale de l’écosystème. En effet, chaque mois de 2020 a vu plus de tours conclus que les mêmes mois en 2019. “Ces chiffres sont révélateurs de la capacité de résilience des acteurs tech du continent, analyse Cyril Collon. Il y a des sorties, des introductions en bourse, ce sont de très bons indicateurs”.
Pour autant, l’expert note toujours une “très grande frilosité envers les early stages, qui privent certaines entreprises de capacité d’amorçage”. Et ce, alors que le continent regorge d’entrepreneurs talentueux qui s’attaquent à des problèmes structurels importants.
La crise, porteuse de new deals
Kenza Lahlou, cofondatrice et managing Partner d’Outlierz Ventures, voit de son côté une opportunité heureuse pour les startups dans cette crise de la Covid-19. “La crise a positivement impacté la croissance de nos entreprises. La digitalisation a bénéficié du contexte sanitaire. Puisqu’il n’y avait pas d’accès aux services, cela a poussé à la digitalisation des grands groupes et au changement des habitudes de consommation”. Résultat : les entreprises œuvrant dans la FinTech et le e–commerce ont bénéficié de ces effets collatéraux de la crise.
Autre effet positif, les deals ont été accélérés, puisque les investisseurs ont compris qu’il n’y avait plus forcément besoin de se déplacer. “Les entrepreneurs en profitent, ils alignent les réunions et concluent les deals. La concurrence s’agrandit, avec des fonds américains et chinois qui investissent sans se déplacer”, note l’experte.
“Cette année a été éprouvante pour les entrepreneurs, tempère Jérémy Hadjenberg, DGA Investissements chez Investisseurs et Partenaires. “Nous avons observé un ralentissement de notre rythme d’investissement, mais nous avons continué à investir. Et les entrepreneurs ont démontré leur capacité à s’adapter”.
Maroc, Sénégal, Egypte, Kenya : les pays en vogue
Alors quels sont les pays qui attirent et les secteurs porteurs ? Sur le plan géographique, les chiffres montrent bien que les “Big 4” (Nigeria, Egypte, Afrique du Sud, Kenya) restent dominants en termes d’investissement. Côté francophone, les pays tels que le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Maroc ou la Tunisie attirent de plus en plus d’investisseurs.
“Il faut que les investisseurs osent financer dans d’autres pays et que les entreprises marchent”, poursuit Jérémy Hadjenberg. Il cite notamment l’exemple de son fonds d’investissement, qui a mis ses billes dans des sociétés telles que Teliman, une startup de taxi-moto au Mali ; Legafrik en Côte d’Ivoire ; la Malgache SmartPredict qui permet aux entreprises de créer et déployer des projets d’intelligence artificielle en rapport avec leurs métiers ; ou encore StarNews, une startup spécialisée sur la création de contenus vidéo. “Les équipes brillantes sont là et la profondeur de marché existe. L’écosystème bouge, avec des trajectoires très variées. On espère un changement d’échelle pour avoir cet effet boule de neige”, poursuit l’expert d’Investisseurs et Partenaires.
Food, santé, agritech : des secteurs porteurs
“Nous regardons les opportunités selon le problème fondamental qu’elles résolvent, assure Kenza Lahlou. Et selon l’experte, la crise a accéléré le développement des startups répondant à des besoins fondamentaux. Elle cite l’exemple du secteur du Retail, à l’instar de Sokowatch, dont l’idée est de transformer la chaîne de valeur des épiciers informels. “Leurs commandes ont explosé pendant la crise de la Covid-19, donc le rythme de croissance de ces entreprises aussi”.
Au-delà du secteur Food et Retail, les experts notent que la FinTech continue son ascension et va rester, encore cette année, le secteur porteur. La e-santé fait aussi des émules, tout comme l’agritech et l’edutech. “Nous portons notre attention sur les startups qui ont une vision internationale car l’expansion est une nécessité. Il faut trouver une profondeur de marché, aller vers l’internationalisation ou le marché régional”, prévient Marieme Diop, d’Orange Ventures.
Bientôt des pépites africaines ?
Si les investisseurs misent différents tickets dans les startups selon les retours sur investissement attendus, certains voient très loin, et espèrent bien que, depuis l’Afrique, émergeront bientôt plusieurs licornes.
Pierre Fauvet, directeur de participation et directeur Afrique de Creadev International assure ainsi que sa mission est “d’accompagner les entrepreneurs pour qu’ils deviennent des champions, milliardaires en chiffres d’affaires”. “Nous sommes sur du long terme, nous avons le temps de trouver des pépites. L’objectif est de trouver un entrepreneur innovant, avec des biens ou des services qui s’adressent au plus grand nombre”.
L’investisseur vise ainsi des commerces essentiels, qui répondent aux besoins structurels. Et pour s’assurer d’aller dans le bon sens, aux entrepreneurs qu’il rencontre, Pierre Fauvet s’assure toujours qu’ils puissent répondre à ces questions : Avez-vous une équipe pour porter votre rêve ? Avez-vous un marché profond ? Les entrepreneurs qui répondent par l’affirmative ont alors déjà une chance de devenir les champions de demain.
Camille Dubruelh