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Dans les pays à faible revenu, le système de santé reste encore vulnérable. Comment l’Intelligence artificielle peut-elle révolutionner le secteur en Afrique ? Quelles sont ses opportunités et les risques dans le domaine de la santé ? Coup de projecteur !
« L’intelligence artificielle (IA) est un ensemble de technologies et de procédés utilisés pour compléter les attributs humains usuels comme l’intelligence, la capacité d’analyse et d’autres aptitudes. Elle recouvre un ensemble de technologies très différentes, que l’on peut définir et grouper et généralement comme des systèmes d’apprentissage automatique adaptatifs. » Cette définition de l’intelligence artificielle proposée par l’Union internationale des télécommunications (UIT) donne un aperçu général sur ce domaine en plein essor.
Dans le domaine de la santé, les possibilités sont immenses. Déjà en 2020 dans le rapport « Reimagining global health through artificial intelligence : the roadmap to AI maturity », Microsoft et la fondation Novartis soutenaient que l’adoption des solutions d’intelligence artificielle par les Etats à faible revenu apporterait un appui non négligeable au système de santé. Sur le continent, le système sanitaire est de plus en plus vulnérable. Il est confronté à plusieurs défis, parmi lesquels le faible taux de personnel de santé et la recrudescence des épidémies.
En effet, selon l’Organisation mondiale de la santé, « 37 pays du continent sont confrontés à des pénuries de personnel de santé ». Cette étude intitulée « Le statut du personnel de santé dans la Région africaine de l’OMS : conclusions d’une étude transversale », publiée en 2022 dans la revue British medical journal global health, montre que « le ratio dans la Région est de 1,55 professionnel de la santé (médecins, infirmiers et sages-femmes) pour 1000 personnes dans 47 pays africains. » Par ailleurs, en 2021, l’OMS a rapporté 118 épidémies sur l’ensemble du continent.
IA et soins de santé
De nos jours, l’intelligence artificielle (IA) s’applique à plusieurs domaines de la vie courante. D’emblée, elle est considérée comme « la porte d’entrée dans la médicine performante », selon le Dr Rajae Ghanimi, médecin spécialiste en médecine du travail et doctorante en IA appliquée à la santé à l’Université Ibn Tofail au Maroc. L’experte montre que l’adoption de l’intelligence artificielle peut permettre de « transcender les frontières médicales de l’anatomo-pathologique, du diagnostic médical et de l’interprétation radiologique. »
La scientifique, qui mène ses recherches dans l’implémentation de cet ensemble de technologies dans les urgences d’intoxications, soutient que « L’IA pourrait offrir des opportunités pour élargir l’accès aux soins et réduire la disparité entre les milieux urbains et ruraux. » Cette possibilité s’appuie, entre autres, « sur sa capacité d’optimisation du temps de diagnostic et de réduction de la charge de morbidité des maladies », précise-t-elle.
Pour sa part, I’ingénieur Marcel Shabani, diplômé d’un Master en intelligence artificielle et machine learning de la SRH Berlin University of Applied sciences (Allemagne) rapporte que l’IA « a un impact très significatif dans la surveillance des signaux vitaux des patients admis en soins intensifs et dans la prévention de certaines maladies ». Ce jeune chercheur cite le cas de l’adoption de l’IA dans l’imagerie médicale pour mieux comprendre les problèmes d’un patient. « Les algorithmes de l’intelligence artificielle peuvent bien identifier les anomalies et segmenter plusieurs organes du corps humains », note-t-il.
Toujours dans le soin de santé, l’IA est très performante « dans l’analyse des grandes quantités de données médicales et l’identification des schémas de tendances médicales », constate le Dr Obed Lebobo, médecin burundais exerçant au Nyarugenge District Hospital au Rwanda. Ce professionnel de santé ajoute que l’adoption de l’IA permet de « personnaliser le traitement en fonction des caractéristiques d’un patient. » En outre, l’intelligence artificielle peut aussi palier au faible taux des professionnels de santé, si les autorités fournissent d’énormes efforts pour mettre « en place une bonne politique de télémédecine, avec à la clé, la consultation à distance et les applications qui guident les patients », ajoute-t-il.
Des risques à prendre en compte
L’adoption de l’IA dans le système de santé nourrit aussi des craintes sur le plan éthique et réglementaire. « Le déploiement des technologies de l’IA nécessite la collecte et l’utilisation des masses de données (Big data) », explique Marcel Shabani. Pour le Dr Ghanimi, généralement « la notion de consentement » est biaisée dans la protection des données à caractère personnel. Elle explique son point de vue par le fait que, « dans la plupart des cas, l’utilisateur est appelé à cocher de manière aveugle, avec certaines informations très techniques. » Le Dr Lebobo exprime pour sa part une crainte liée « à la fuite des données confidentielles des patients. »
Mais que faire face à ces craintes ? Le Dr Ghanimi propose une redéfinition « des notions de consentement libre et éclairé lié à la confidentialité et à la vie privée des personnes ». Pour plus de sécurité dans les hôpitaux, « il serait mieux d’utiliser l’intranet, avec un réseau central privé à l’hôpital », propose le Dr Obed. Il met en évidence également « le développement des solutions basées sur l’IA en tenant compte des valeurs morales et éthiques de nos sociétés ». Une proposition soutenue par Marcel Shabani. « Une séance de formation et de sensibilisation du personnel soignant appelé à utiliser l’IA doit être organisée en amont », dit-il.
Des prérequis nécessaires
Si l’enthousiasme autour de l’IA pour la révolution du secteur de la santé en Afrique est bien là, la réussite de son adoption demande « d’importants préalables », selon Marcel Shabani. Ce jeune chercheur évoque notamment la connectivité et la formation. Pour lui, « tout doit commencer par la réduction de la fracture numérique, l’introduction des cours à caractère informatique dans le cursus scolaire dès l’école primaire et la formation continue en informatique. » Dans certains pays comme le Rwanda, le processus d’intégration de l’intelligence artificielle et de la technologie de pointe dans son système éducatif à tous les degrés a été accéléré pour faciliter l’adaptation des jeunes aux nouvelles tendances technologiques. Le Dr Lebobo renchérit par une approche qui consiste à « développer un partenariat entre les géants de la tech (Google, Microsoft, etc) et les universités du continent pour une bonne formation en IA. »
Par ailleurs, d’autres prérequis sont importants. Pour le Dr Obed Lebobo, la réussite de l’adoption de l’IA passe aussi par « la digitalisation du système de santé ». Le Dr Ghanimi parle de « la disponibilité des serveurs et la souveraineté numérique » du continent. La chercheuse rappelle que « l’Afrique compte seulement 3 ℅ des data centers mondiaux ». Un faible pourcentage si l’on considère l’adoption d’une telle technologie. Le Dr Ghanimi recommande aux gouvernements africains « d’adopter un cadre éthique et réglementaire solide ». Mais pas que. Elle plaide également pour « la réingénierie de la formation médicale, le financement des applications et l’encouragement des prestataires de santé à se doter du matériel de l’IA ». Des recommandations qui pourront aider les pays africains à réussir le pari de l’adoption de l’IA dans le système de santé.
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