Lionel Zinsou, ex-premier ministre du Bénin était panéliste au Salon Africa Time for New Deal tenu à Paris sur le thème : « Comment transformer l’économie africaine pour répondre aux défis du 21è siècle ? » Lionel Zinsou qui interviendra à la 6è édition des Assises de la Transformation digitale en Afrique organisées par CIO Mag à Bercy nous livre ici une analyse sur les défis de la transformation de l’économie africaine à l’aune de la révolution numérique.
Propos recueillis à Paris par David GUEYE
CIO Mag : Votre présence à Paris au Salon Africa Time for New Deal a-t-elle une signification particulière?
Lionel Zinsou : L’événement organisé à Paris est un séminaire de réflexion qui s’adresse aux politiques publiques pour rendre la croissance plus efficace et plus inclusive en Afrique. Donc, nous avions une table ronde avec quelques praticiens soit du secteur financier productif, soit du domaine de conseil financier. C’est à se demander si concrètement on peut avoir une croissance plus efficace et plus inclusive en Afrique. C’est quand même une grande question. Tout le monde sait à peu près ce à quoi ça renvoie les politiques publiques, l’environnement des affaires qu’il faut améliorer. Tout le monde sait qu’il faut renforcer les moyens de financement en capital et en dette. On a l’impression que ça peine à se réaliser. La parfaite relation entre secteur public et secteur privé, entre bailleurs de fonds internationaux, investisseurs internationaux et gouvernements, prend toujours beaucoup de temps à se mettre en place. Ce salon nous amène à y réfléchir concrètement. L’Afrique est en pleine transformation et cette transformation peut être accélérée. Est-ce qu’elle peut être disciplinée et efficace au bénéfice des populations ? Ce sont-là des sujets assez concrets des applications des politiques publiques que moi, avec mon expérience du secteur privé et un tout petit peu aussi celle du secteur public africain, je tiens à faire savoir.
“C’est spectaculaire, tout ce qu’on peut faire à travers le mobile”
La thématique centrale de cet événement, c’est le New Deal for Africa. Que pensez-vous de cette nouvelle relation de partenariat à construire entre l’Afrique et la France ?
Non, ce n’est pas que l’Afrique et la France, c’est l’Afrique et les partenaires de l’Afrique. Paris est partenaire de l’Afrique et heureusement, il y a des partenaires nouveaux. Et, c’est vrai que pour des raisons historiques, la France a eu des relations très étroites avec l’Afrique. Depuis les années 60, elle s’est beaucoup tournée vers le reste du monde. La France s’est beaucoup limitée et a beaucoup freiné en ce qui concerne l’Afrique, même s’il y a des gens en Afrique pour penser que la France/Afrique reste quelque chose de très vivant. La vérité, c’est que les entreprises françaises ce sont énormément tournées vers l’Europe, vers l’Asie et globalement détournées de l’Afrique.
Ce qui est vrai de la France est très largement vrai de l’Europe. L’Europe avait un grand challenge en Europe de l’Est, qu’elle a intégré et elle a regardé la croissance comme étant beaucoup plus forte. Le poids relatif de l’Afrique a plutôt baissé. Mais en même temps, on voit bien que ce sont des chances perdues pour les entreprises européennes que l’Afrique qui a besoin d’une très grande diversité de partenaires. Comment retrouver le chemin d’investissement en Afrique ? Être partie prenante de la croissance en Afrique ? Ça, c’est vraiment une problématique nécessaire à l’Europe qui a besoin elle-même d’équilibrer ses relations. Et puis pour l’Afrique, comment tirer profit des partenariats qui ont des spécificités ? Car, ce n’est pas le même type de partenariat qu’en Asie, l’Amérique du Nord où il y a des particularités européennes qui sont au bénéfice de l’Afrique, notamment avec des proximités culturelles importantes, des proximités géographiques. L’enjeu entre l’Union africaine et l’Union européenne, c’est comment trouver une voie de renouvellement de ces relations.
« On ne peut plus penser que les États sont la première force économique des pays d’Afrique »
Ce qui à mon avis va être le plus marquant, c’est le fait que l’aide publique au développement va probablement changer de nature. Tout le monde a compris que les créations d’emplois, les créations de valeurs passent plutôt par le secteur privé; alors que les bailleurs d’aide ne travaillent qu’avec les gouvernements pour simplifier les quelques exceptions comme la SFI ou la CDE en Angleterre. Très majoritairement, les institutions au développement travaillent avec les États. On ne peut plus s’endetter avec l’État, on ne peut plus penser que les États sont la première force économique des pays d’Afrique. Il s’agit alors de travailler avec les vrais créateurs d’emplois, de richesse, de valeurs ajoutées. Ces acteurs, ce sont les entreprises et donc je pense que ce qui va se jouer à Abidjan, c’est ce renouvellement assez profond qu’on a énormément négligé. Ce qu’on pouvait faire avec le secteur privé, avec les capitaux privés et je pense qu’on va vers un grand basculement. Surtout que l’Union africaine elle-même se structure de plus en plus et commence à mieux s’organiser, et que l’Afrique a envie de parler d’une seule voix sur un certain nombre de problèmes sur le climat, sur les grandes infrastructures. C’est donc plus inintéressant de voir l’Union africaine jouer le rôle d’acteur de changement en Afrique.
Quels sont les secteurs qui peuvent bénéficier de cette réunion de l’Union africaine ou les secteurs où la collaboration sera la plus pertinente?
Parmi les secteurs qui sont sous-développés, sous financés, il y a ceux qui emploient une plus grande proportion de la population active. C’est l’agriculture qui a été à la fois délaissée sous le financement domestique, multilatéral. C’est aussi le secteur où les engagements de la Banque mondiale ou de la Bad ont beaucoup baissé. Aujourd’hui, simplement, si vous prenez un pays comme le Bénin qui est assez caractéristique, l’agriculture c’est 23% du PIB, 50 % de la population active. Comme c’est le premier fournisseur de l’industrie agroalimentaire en aval, ça a une importance plus grande que les 23 % ; ça fait aussi les matières premières des industries, tout ça est assez caractéristique de l’Afrique subsaharienne et c’est moins de 6 % du crédit bancaire. Une très petite partie de l’aide publique au développement ! C’est donc vraiment un secteur sous financé et qui ne rentrait pas dans l’objectif des politiques publiques très efficaces. C’est un secteur important, très porteur avec des gains de productivité très importants dans tous les domaines. Il est le premier consommateur d’eau, d’électricité. Mais on n’a pas de crédit bancaire. C’est quand même trop de handicaps et pourtant, l’agriculture progresse au Bénin. En moins de 10 ans, elle a doublé son produit permettant un équilibre. Il y a eu des progrès, il y a eu des efforts. Si nous sommes capables de mobiliser l’eau, l’énergie, le capital, le crédit pour ce secteur, cela devrait faire une différence sur la qualité de vie des populations. C’est dans les campagnes, dans l’agriculture qu’il y a plus de concentration de pauvreté. C’est le secteur numéro un qui a besoin de l’énergie. C’est un secteur sous financé. L’énergie est une priorité absolue. Les besoins d’eau pour l’agriculture, pour la consommation sont très importants pour la population. Il faut des infrastructures, des routes pour évacuer les productions, etc.
Quelle est la place du digital et de l’économie numérique en Afrique?
Le digital est partout. C’est spectaculaire, tout ce qu’on peut faire à travers le mobile. Aujourd’hui, avec les applications numériques, on a accès à tout dans la distribution, dans le e-commerce, la santé et autres. D’ici 10 ans, on aura la télémédecine et cela nous permettra de donner des éléments de protection sociale à une partie beaucoup plus large de la population. Avec la croissance démographique, il suffit de comprendre qu’avec les contraintes matérielles, le numérique va aider à desserrer un peu. Il y a beaucoup d’applications dans l’éducation. On n’a pas à faire tous les investissements du présent. En santé, on part avec ce qu’on a comme le personnel et l’équipement. On a par conséquent un développement à coût marginal extrêmement faible. Chose qu’on partage avec certaines nouvelles technologiques dans l’énergie. Si vous combinez de l’énergie décentralisée avec du numérique vous facilitez les paiements par mobile, ce qui va permettre d’équiper un certain nombre de ménages. Quand vous croisez les grands besoins fondamentaux à l’énergie, tout ce qui a trait à l’amélioration de l’agriculture ou encore l’information sur le numérique, sur la météo, l’information sur tout cela peut aider à faire la différence. Les grands besoins fondamentaux sont : se nourrir, se loger, se soigner, s’éduquer ; et le numérique transforme le modèle économique dans chacun de ces domaines.
Avec votre regard d’économiste, comment peut-on soutenir la construction digitale?
Soutenir la construction digitale est très importante. Il se trouve que c’est un secteur où il y a beaucoup de domaines économiques très rentables. Les télécoms ont favorisé des investissements à plusieurs niveaux. Elles facilitent aussi l’autofinancement des activités. C’est une industrie qui a des modèles économiques qui dégagent suffisamment du cash-flow important pour justement permettre de faire face à ce besoin de financement. L’appui des pouvoirs publics ou la performance est différent d’un État à un autre, est très important dans ce domaine. Parce qu’il faut à la fois réglementer la concurrence, réglementer l’offre technique et financer un certain nombre d’infrastructures de base. Notamment les réseaux qui sont à actualiser. L’Etat – ça dépend des pays – peut soutenir les actions du privé dans le digital. Il y a des pays qui sont encore très distants et qui disposent des structures très archaïques dont les politiques publiques sont partout et les leaders politiques sont plus ou moins avertis des différences de croissance. Les pays qui voient bien les enjeux stratégiques s’adaptent vite, et ceux qui ne voient pas les enjeux stratégiques s’adaptent lentement.
En quelques mots, que devient en réalité M. Lionel Zinsou ? Quelles sont vos préoccupations actuelles, vos projets ?
Sur le plan privé, je suis en train de créer une société de conseil, de plateforme et d’investissement en Afrique. Ça fait quelques mois que nous travaillons déjà. Nous avons des clients. Nous ouvrons physiquement au Maroc. Nous allons en Afrique occidentale avec une base à Abidjan, en Afrique de l’Est avec une base à Kigali. Nous nous sommes associé quelques anglophones et francophones. Nous essayons de découvrir des actions à mener à la fois vers les entreprises et à l’intention des gouvernements. Sur le plan associatif, nous avons organisé en France des rencontres d’entreprises ; ce qui est notre marque de fabrique. C’est ce que nous avons essayé de faire ces dernières années. Nous encourageons les entreprises africaines à avoir beaucoup de liens de partenariat économique, de connaissances, de transfert de technologies. Début octobre, quelques centaines d’entreprises européennes vont rencontrer, ville par ville, quelques centaines d’entreprises africaines à Abidjan, à Nairobi et à Tunis. Africa/France travaille beaucoup dans ce sens.
La France a créé un conseil présidentiel pour l’Afrique pour pouvoir réfléchir sur comment on se situe comme association de développement économique. On réfléchit beaucoup sur ce qui va revenir à l’État et aux entreprises privées. D’ici la fin de l’année, nous allons essayer de muscler la vie associative et notamment de rassembler un certain nombre d’associations ; faire en sorte que le réseau d’entreprises qui s’intéresse à la fois à l’Afrique et l’Europe soit plus fort et, définir la relation avec le conseil présidentiel pour l’Afrique. Mais il restera une forte volonté de rassembler les entreprises africaines et européennes dans une construction associative. Je crois qu’on peut faire plus large que Africa/France. Nous sommes en train de réfléchir à des fusions pour avoir une assiette, une base plus large.