Sans technologie de supervision en temps réel des paiements électroniques, un Etat peut-il raisonnablement maîtriser l’essentiel des revenus liés aux transactions et garantir la collecte des taxes qui lui sont dues ?
(CIO Mag) – Sur le continent, environ 35% seulement de la population possède un compte bancaire. Ce qui fait croître le marché africain du paiement mobile de 20% par an. Concernant ces transactions, certains pays ont adopté une taxe en pourcentage sur les envois/retraits. C’est le cas par exemple du Cameroun avec une taxe de 0,2%. En Côte d’Ivoire, alors que de nouvelles taxes d’un montant cumulé de 7,2% sur les commissions payées sont exigibles depuis le 1er janvier 2019 aux émetteurs de monnaie électronique (EME), des rapports du régulateur télécoms sur les statistiques du secteur indiquent que l’essentiel des revenus liés au mobile money comptabilisés chez un EME ne lui sont plus communiqués.
Dans l’ensemble, le mobile money en Afrique subsaharienne a généré 700 milliards de dollars de transactions annuelles en 2021 selon la GSMA. Compte-tenu de l’accroissement constant de ces recettes, des observateurs pensent que toutes les taxes sur l’envoi/retrait des transactions Mobile money devraient générer des sommes conséquentes. Pour ces derniers, les performances fiscales de ce secteur restent en dessous des attentes et représentent une perte abyssale pour le budget national. Qui plus est, le rapport sur le développement 2020 de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), révèle que l’Afrique a perdu 88,6 milliards de dollars par le biais des flux financiers illicites en 2019, dont une part importante est liée aux transactions électroniques.
« Plus globalement, l’activité Mobile money souffre d’une faiblesse d’identification des comptes d’utilisateurs. Un compte mal identifié peut sereinement envoyer de l’argent à un compte tout aussi mal identifié, créant un écosystème parfait pour les transactions illicites, de surcroit ouvert à l’international. Interpol l’a parfaitement démontré dans un rapport de 2020. Les transactions en Mobile money sont le canal principal de financement des activités illégales », analyse Alex-Ariel Tchetgnia, vice-président chargé des services professionnels chez N-Soft, une entreprise GovTech.
En ce qui concerne les entreprises fintech africaines, elles ont levé 4,3 milliards de dollars US entre 2017 et 2022. Selon FT Financial, qui a publié ces chiffres, les fonds levés durant cette période représentent environ 375 transactions. McKinsey prédit que ces fintech gagneront huit fois plus en 2025, soit environ plus de 30 milliards de dollars.
Alimentée par la propagation fulgurante de la téléphonie mobile et des services internet, cette croissance exponentielle des transactions électroniques est une bonne nouvelle pour l’Afrique qui rattrape son retard en matière d’inclusion financière. Mais il reste un problème de taille : les gouvernements disposent-ils des outils technologiques pour superviser les paiements électroniques et maitriser les recettes fiscales qui devraient en découler ?
Méconnaissance des plus-values sur le contrôle automatique
« Sans technologie de supervision automatique et en temps-réel, aucun Etat ne peut raisonnablement garantir l’absence d’érosion fiscale, ni même l’estimer », affirme Alex-Ariel. Pour cet expert, qui a participé à de nombreux projets sur le continent, il existe une réelle volonté des gouvernements à optimiser leurs recettes fiscales. « Les solutions de supervision automatique sont à l’origine des très bonnes performances fiscales des pays développés et sont en cours d’adoption par les pays émergents », dit-il, avant de révéler que le processus d’adoption de ces technologies est un peu lent pour diverses raisons : « Le manque de connaissance sur la plus-value de la supervision automatique, les lourdeurs administratives, la rigidité du cadre légal qu’il faut souvent ajuster, la question du financement du projet, etc. »
Dans le but de révolutionner les pratiques de mobilisation de ressources domestiques, un certain nombre de pays africains adoptent des plateformes technologiques qui visent à apporter de la transparence via ces solutions. Le Mali en est un exemple. « Depuis 2019, le gouvernement a pu superviser les transactions Mobile money de deux des principaux fournisseurs du pays – pour un volume global de transactions de 33 milliards de dollars, toutes opérées depuis le Mali », révèle le vice-président. A l’en croire, une solution de gouvernance similaire a également été mise en place au Somaliland en septembre 2022. Elle offre au pays une nouvelle visibilité sur le secteur des télécommunications.
Et le spécialiste d’ajouter : « La leçon tirée au Mali comme partout ailleurs est la suivante : sans instruments de supervision automatique, les gouvernements n’ont aucune visibilité sur l’économie digitale, et les chiffres publics, provenant des déclarations des sociétés de ces secteurs, pourraient être très éloignés de la réalité technique. »
Couvrir toute l’économie digitale
Des études initiales jusqu’au déploiement des centres de calcul et leur opérabilité, l’implémentation desdites solutions de gouvernance fiscale vise à permettre aux décideurs locaux de bénéficier de la transparence nécessaire à la mobilisation de leurs recettes domestiques et ainsi de disposer d’une plus grande indépendance financière. Grâce à ces technologies, poursuit Alex-Ariel, les Etats peuvent connaitre en temps réel le chiffre d’affaires des opérateurs de téléphonie mobile et les taxes à collecter.
Transposée à toute l’économie digitale, l’expertise disponible en la matière permet aujourd’hui de superviser les secteurs clés de l’économie. Mobile money, jeux de hasard, publicité en ligne, télécoms, télévision payante, etc., sont tous couverts. Y compris les transactions internationales. Selon Alex-Ariel Tchetgnia, c’est donc en aviseur technologique précis que ces solutions sont fournies aux gouvernements pour apporter la transparence nécessaire à la collecte des taxes qui leur sont dues.