Le bras de fer se poursuit entre l’Agence française de développement et l’initiative Digital Africa, portée par le président Emmanuel Macron. L’association accuse l’AFD de vouloir la dissoudre sans discussion préalable, des accusations que cette dernière réfute.
(CIO MAG) – « La décision n’a pas encore été prise ». Telle est la réponse de l’AFD interrogée par CIO Mag, suite à la lettre du président de Digital Africa rendue publique le 17 février. Kizito Okechukwu s’était, dans cette missive, opposé à une réunion du Conseil d’administration le 18 février, censée mettre à l’ordre du jour la dissolution de l’initiative. « Monsieur Jean-Pierre BARRAL, représentant de l’Agence Française de Développement (AFD), ne détient aucun titre à demander la réunion de ce Conseil et n’a au surplus pas respecté les dispositions statutaires relatives aux convocations du Conseil », assure le communiqué de presse.
“Protéger les salariés”
Le président de l’organisme rappelle qu’une réunion avait été convoquée par lui-même le 25 février pour évoquer le souhait de l’AFD de dissoudre Digital Africa. Cette date visait à laisser le temps nécessaire pour la remise d’un rapport, censé expliciter les causes motivant cette dissolution. « Il semble que l’empressement de l’AFD soit motivé par l’intention d’empêcher la rédaction de ce rapport », écrit-il, précisant avoir mandaté deux avocats du Barreau de Paris pour défendre ses intérêts.
« Ce conseil d’administration devait se tenir rapidement afin de mettre fin au mandat des avocats recrutés par le Président de DA aux fins de conduire une enquête auprès des salariés et des administrateurs », répond l’AFD qui assure que « l’enquête est apparue juridiquement infondée et financièrement disproportionnée. Elle n’a jamais été validée par le board de Digital Africa et ses termes de référence sont inconnus. Le conseil d’administration a donc demandé l’annulation de cette enquête ». L’AFD a proposé qu’un auditeur indépendant soit nommé par le CA, pour « protéger les salariés de Digital Africa, convoqués à des entretiens enregistrés par ces avocats, sous peine de sanctions, sans connaître les fondements de cette situation ».
Au sujet de la dissolution en elle-même, « nous n’avons pas encore eu l’occasion d’aborder le sujet en Conseil d’Administration, explique la cellule de communication de l’AFD. Aujourd’hui il s’agit de discuter de la meilleure façon d’avancer et d’amplifier l’initiative ambitieuse et novatrice lancée au printemps 2018 pour soutenir les start-up africaines et accompagner le développement de projets d’innovation numérique à impact , répond l’AFD, assurant que « la refonte de la gouvernance était attendue depuis juin 2020, lorsqu’un vice-président avait été choisi pour assurer la présidence par intérim après la démission du Président fondateur ».
Changer d’échelle?
Selon l’AFD, il s’agirait donc plutôt d’une « transformation pour changer d’échelle” et ce afin « d’accroître l’ambition de Digital Africa ».
Cette association regroupe 10 membres engagés dans l’accompagnement et le soutien de l’écosystème numérique africain. Il s’agit de CFI, Jokkolabs, Afrilabs, GEN Africa, Bond’Innov, la Fabrique des Mobilités, la Ferme Digitale, Fing, Digital Observer for Africa et le groupe Agence française de développement (AFD). L’association avait été lancée par le président Emmanuel Macron en marge du salon Vivatech à Paris, en 2018. Devant le président rwandais Paul Kagamé, le chef de l’Etat avait alors annoncé la mise à la disposition d’une enveloppe de 65 millions d’euros pour le déploiement de cet instrument, qui vise à financer les start-up africaines via l’AFD.
« Ces financements ont déjà été engagés par l’AFD et Proparco dans le cadre de la facilité d’amorçage, d’investissements de Proparco dans des fonds ou en direct, ou dans le cadre du fonds Digital Bridge. Cet engagement demeure, et notre objectif est de l’amplifier par de nouveaux financements de l’ordre de 65 M€ qui seront engagés dans les deux ans qui viennent ».
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Mais depuis quelques mois, Digital Africa est dans la tourmente. Plusieurs membres du Conseil d’administration de Digital Africa accusent ainsi l’AFD d’avoir pris plusieurs décisions unilatérales, comme la nomination de certains membres du bureau. Ainsi, dans un thread Twitter le 16 février, Rebecca Enonchong, présidente d’Afrilabs, déplore une mauvaise gestion de longue date.
« Des fissures ont commencé à apparaître lorsque la première cadre de l’organisation a été embauchée, Stéphan-Eloïse Gras. Ce n’était pas tant la personne que la manière. Le conseil a reçu un courriel annonçant son embauche. Jamais nous n’avons été consultés ni intégrés au processus », explique-t-elle. « Malheureusement, la situation ne s’est jamais améliorée. Le conseil est constamment contourné et rarement informé, obtenant la plupart de ses informations par le biais d’annonces sur les réseaux sociaux. Les décisions stratégiques et coûteuses sont prises sans que le conseil d’administration ne soit informé, encore moins d’accord ».
« A aucun moment l’AFD n’a pris de telles libertés » rétorque l’agence.
Un avenir compromis
Selon des membres de Digital Africa, le Conseil d’administration s’est finalement tenu le 18 février, en l’absence de plusieurs membres. Et serait donc illégal selon les avocats du président de l’initiative.
Cette nouvelle affaire pourrait bien compromettre l’avenir de Digital Africa, pourtant connue comme étant une initiative prometteuse au départ. Après le départ inexpliqué du président fondateur Karim Sy pour des problèmes liés à la gouvernance, ce nouveau bras de fer semble lui donner raison. Sans compter que, depuis le départ, la diaspora se sent exclue de cette initiative.
Camille Dubruelh