Séverine Laurent (photo), consultante communication, médias et TIC en Afrique : « Les entrepreneurs des médias et TIC s’auto-formaient à force de conviction et de pratiques. »
Mme Séverine Laurent, qui êtes-vous en quelques mots?
Depuis le milieu des années 1990, j’évolue dans les secteurs convergents de la communication, des médias et des technologies de l’information en Afrique subsaharienne francophone. Fascinée par ces secteurs, j’ai créé ma première entreprise à l’âge de 23 ans : je distribuais et faisais fabriquer des équipements de télévision par satellite à destination de l’Afrique. Un temps Directrice de la Communication et du développement de la chaîne Africable Télévision au Mali de 2004 à 2005, j’ai très vite repris la route de l’indépendance pour m’installer en tant que consultant. Depuis 2007, j’accompagne de grands groupes internationaux des médias, de la culture et des TIC pour leur développement en Afrique (ABSat, Intelsat, Free Africa, Deezer…).
Je contribue régulièrement à la mise en œuvre de grands projets culturels et productions TV (avec Tiken Jah Fakoly, Africable ou l’Observatoire du Sahara et du Sahel par exemple), et je prodigue des conseils en communication panafricaine pour le compte d’Organisations internationales (Banque Mondiale, Ministère de l’Agriculture du Mali etc…). J’écris principalement pour transmettre mes acquis : Clés pour la Communication en Afrique de l’Ouest publié en 2014 est une ode à l’Afrique mixant techniques de communication persuasive et techniques de développement personnel. Je publie régulièrement des enquêtes pour le compte d’InaGlobal sur le secteur médias en Afrique et mes opinions et ‘coups de gueule’ sur Linkedin ou sur mon site www.afrikakom.com. J’aime mon indépendance, qui me permet de toujours dire ce que je pense et les industriels qui me font confiance savent que je les stratégies que je recommande tentent de prendre en compte transparence et bien-être du plus grand nombre.
Quel constat faites-vous du secteur des TIC en Afrique?
Un essor formidable dont l’amorce a pris source dès le début des années 2010 ! Lorsque j’ai démarré dans la télévision, on manquait cruellement de ressources humaines : il n’existait quasiment pas d’écoles d’ingénieurs informatiques ou de l’audiovisuel en Afrique subsaharienne francophone. La majorité de mes clients d’alors s’étaient formés sur le terrain. On était dans la période débrouille. Emmanuel Chatué, qui dirige aujourd’hui le plus grand groupe audiovisuel d’Afrique Centrale (Canal 2 – Free Africa) a démarré ses activités grâces à des installations faites de « bric et de brocs ».
La plupart des entrepreneurs des médias et des TIC s’auto-formaient à force de conviction et de pratiques. Je voue une admiration sans bornes à tous ces pionniers des TIC qui sont parvenus à faire évoluer les habitudes de consommation africaines. Il y a 20 ans le continent s’abreuvait de contenus venus exclusivement de l’extérieur. Aujourd’hui il créé, il magnifie, il innove ! C’est une formidable opportunité pour le continent et ceci, même si les coûts de l’accès à l’Internet et des télécommunications restent excessivement chers pour les populations.
Quel est pour vous l’impact des Tic et de l’innovation sur le développement de l’Afrique?
Il est essentiel ! Je l’évoquais, l’auto-formation constitue un moyen majeur des populations pour accéder à l’éducation. Les écoles restent trop rares ou difficilement accessibles, dans beaucoup de pays on déplore encore de trop nombreuses gangrènes du système. Mais Internet change la donne. La jeunesse est de plus en plus consciente de ses capacités : en se formant, elle peut changer les choses. Internet permet cet espoir : aujourd’hui tous les savoirs ou presque sont accessibles sur le net et ce flow, même s’il peut créer des monstres, engendre surtout des génies.
Pourquoi, selon vous, les africains n’investissent pas assez dans les Tic?
Il y a des centaines d’initiatives qui émergent chaque jour en Afrique. La plupart sont portées par des jeunes, souvent auto-formés, qui ne disposent pas des armes suffisantes pour apprendre à lever des fonds. Et, disons-nous les choses : être jeune en Afrique n’est pas toujours un atout. J’ai assisté à de trop nombreuses réunions durant lesquelles on ne donnait jamais la parole aux jeunes, bien qu’ils aient des idées magnifiques à partager. Par politesse, par éducation, ces jeunes n’ont pas le réflexe de s’imposer face à leurs aînés.
Dans le secteur des TIC ce constat culturel est redoutable, il freine de nombreuses volontés. Fort heureusement, des initiatives venant de l’extérieur telles que le programme Digital Lab Africa par exemple, permettent aux jeunes de se faire entendre. Mais ces projets ne constituent qu’une goutte d’eau dans l’océan des potentialités africaines, il serait essentiel que des entrepreneurs africains créer des leviers pour permettre à la jeunesse d’émerger vraiment.
Pourquoi le secteur privé africain est traité comme un segment supplétif dans le domaine des Tic?
Alors ça, c’est une question ! Dans l’audiovisuel par exemple, ce constat est alarmant. Le passage à la TNT, auxquels tous les pays devaient se conformer pour juin 2017 est un échec cuisant en Afrique subsaharienne francophone. Pourtant, dans chacun de ces pays existent des télédiffuseurs privés, qui exercent pour la plupart depuis plus de 20 ans, et pour l’instant seul le Sénégal a eu l’intelligence de faire appel à l’opérateur privé historique, Excaf. Ailleurs les Etat ont choisi de confier les marchés à des organisations chinoises, françaises ou italiennes…
Constat identique dans l’industrie de l’accès à l’Internet : au Cameroun, l’opérateur Créolink a fait quelques jours de prison pour avoir osé tirer une fibre optique entre Douala et Yaoundé. Il avait bravé l’interdit car l’opérateur national tardait à faire son boulot. C’est quand même très dommage que les Etats refusent d’accompagner le développement de leurs acteurs privés, et préfèrent très souvent laisser pourrir des situations plutôt que de favoriser ces entrepreneurs.
Est-ce que, selon vous, les Tic est une chance pour l’Afrique?
Bien sûr ! C’est une opportunité formidable ! Aujourd’hui grâce à des applis de messagerie on parvient à communiquer à moindre coût, on peut réaliser des diagnostics médicaux à distance, on peut apprendre des langues, gérer des transports, créer des contenus. A ce propos je vous invite à écouter un géni bien plus aguerri que moi : regardez la dernière conférence TedX Faso Kanu qui a eu lieu au Mali récemment. Antoine Diarra, un jeune entrepreneur du numérique, y explique parfaitement, exemples à l’appui, qu’en Afrique aussi, 1+1=0 !
Propos recueillis par Youcef MAALLEMI