Engagé sur de vastes chantiers de dématérialisation dans l’administration ivoirienne, Spectrum, groupe franco-tunisien spécialisé dans la fourniture et la mise en œuvre de systèmes de dématérialisation – intranet et extranet collaboratifs, archivage, gestion de projets, etc. -, annonce l’ouverture d’un bureau à Abidjan. Dans cet entretien, Ali Ouni, CEO, et Lotfi Fehri, Associé, révèlent les enjeux de cette politique.
Propos recueillis à Tunis par Anselme AKEKO
CIO Mag : Quelle est la stratégie de Spectrum sur l’Afrique subsaharienne ?
Ali Ouni : Il faut dire qu’il y a des besoins très concrets au niveau des pays africains. Notamment sur des problématiques d’archivage et des systèmes de communication. Mais on arrive aujourd’hui à la limite du modèle où on répond à distance à ces besoins ; où on organise des ateliers avec des partenaires locaux, avec pas mal d’aller et retour. Le client africain devient très exigeant. Il recherche des produits de qualité et de la compétence en interne. Il a donc besoin de sortir de ce modèle. Et nous, nous prenons part à cette vision, en travaillant avec des partenaires locaux afin d’assurer cette proximité nécessaire pour avoir de la continuité, de l’expertise et de la compétence sur place.
D’où l’installation très prochainement d’un bureau en Côte d’Ivoire ?
Ali Ouni : Effectivement ! Et pourquoi Abidjan ? Parce que c’est un endroit où il y a beaucoup de facilités. La Tunisie et la France ont des lignes directes avec la Côte d’Ivoire. Les aspects logistiques sont facilités. Les accords bilatéraux sont intéressants. Nous avons beaucoup de partenaires sur place. Nos meilleurs projets ont été réalisés en Côte d’Ivoire. Je pense qu’il y a pas mal d’atouts. Le choix s’est imposé par lui-même.
Quand comptez-vous ouvrir ces bureaux ?
Ali Ouni : L’installation est imminente. Tous les aspects structurels sont déjà en place. Là, nous travaillons avec des partenaires locaux. On ne veut pas y aller de manière complétement autonome mais avec des partenaires sur place. On vise le quatrième trimestre 2017.
« Dans pas mal de cas, les dossiers ne pouvaient passer sans qu’ils ne soient bloqués. »
Selon vous, vos meilleurs projets sont réalisés à Abidjan. Donnez-nous quelques exemples ?
Lotfi Fehri : Sur la Côte d’Ivoire, je peux évoquer deux projets très parlants en termes de transformation digitale. D’abord, celui de la Direction générale du Trésor public. Où nous avons travaillé sur la dématérialisation des mandats fournisseurs, c’est-à-dire les dossiers des fournisseurs de l’Etat. Non seulement ces dossiers sont souvent constitués de milliers de pages mais en termes de processus vis-à-vis des payeurs, des directeurs du Trésor et vis-à-vis du ministre des Finances, il n’y avait aucune visibilité sur la durée de traitement. Du coup, le paiement d’un dossier pouvait durer plusieurs jours voire des mois, pour ne pas dire des années. Lorsque nous sommes arrivés en 2014, nous avons travaillé sur un projet qui permet de dématérialiser toute la chaîne. Depuis l’entrée, le dossier est scanné et classé dans les archives. On se retrouve après avec un dossier électronique qui circule entre les acteurs. Aujourd’hui, le dossier est traité en cinq jours. Nous avons également intégré dans le système, des notifications et des rappels pour que les utilisateurs soient notifiés dès que le traitement d’un dossier dépasse cinq jours. Nous avons aussi fait de l’intégration intelligente avec un outil qui permet de détecter si le fournisseur est en litige avec l’Etat.
Par le passé, ce contrôle était manuel. Et dans pas mal de cas, les dossiers ne pouvaient passer sans qu’ils ne soient bloqués. Aujourd’hui, c’est automatique. Si le Trésor a un fournisseur à payer et que le fournisseur est en litige avec l’Etat, il sera directement notifié, et il s’en suivra un circuit juridique pour régler ce litige. Deuxième exemple, le projet “e-Cabinet” qui est une composante du gros projet d’intranet gouvernemental “e-Gouv”, qui relie tous les cabinets ministériels. A ce stade, nous avons six ministères qui sont en production. Il y a une prévision de généralisation de ce projet sur 29 ministères, la Présidence de la République et la Primature. Pour nous, ce sont de belles réalisations qui entrent dans l’ère du digital.
« D’une itération à une autre, nous gagnons beaucoup en maturité, en expérience et en performance. »
Combien de francs cela coûte à l’Etat de Côte d’Ivoire ?
Ali Ouni : Ce ne sont pas des projets qui coûtent des milliards de francs. Certains décideurs n’osent pas aller loin dans leurs démarches de transformation digitale parce qu’ils sont freinés par les coûts. Ce que nous faisons, c’est de dire qu’on peut faire de la transformation digitale de manière intelligente et efficace à des coûts raisonnables. Dans le cas par exemple du déploiement de la solution collaborative interministérielle au sein du gouvernement ivoirien, on n’a pas pensé à un déploiement Big Bang sur 29 ministères d’un coup. C’est un projet qui a démarré il y a deux ans et demi et que nous sommes en train de faire maturer progressivement d’un ministère à un autre. C’est du déploiement itératif, d’une itération à une autre, nous gagnons beaucoup en maturité, en expérience et en performance. Cela a permis aussi aux utilisateurs de monter en compétence. Le déploiement se fait avec les ressources techniques au niveau du gouvernement, et ça, c’est aussi un élément très important. Parce qu’il faut qu’on sorte de ce modèle où on est uniquement fournisseur d’expertise.
Tout ceci contribue à la transformation digitale dans un contexte où les systèmes d’engagement (mobilité, Big Data, réseaux sociaux) sont mouvants. Comment réagissez-vous à ces contraintes sur le continent ?
Ali Ouni : La transformation digitale en Afrique est l’un des leviers pour réduire le retard sur le développement. En termes d’expertise, nous essayons de fournir tous les moyens, du conseil, des outils, des méthodes, de l’accompagnement et la conduite au changement pour bien réussir les projets de digitalisation. Aujourd’hui, les entreprises africaines ont des contraintes de réseaux, de connexion, etc. Dans ce contexte-là, on a besoin d’innover et de proposer les bonnes méthodes pour que tout fonctionne bien. C’est pourquoi nous ne répliquons pas des modes de fonctionnement qui sont repris dans les contextes occidentaux. On y va plutôt avec une compréhension du contexte organisationnel et même technologique. On travaille beaucoup avec des partenaires locaux qui ont la compétence sur le marché local. Du coup, nous réalisons un travail d’équipe qui raccourcit les délais et qui donne des résultats concrets et très réels.
« C’est le moment de (…) retravailler notre positionnement sur l’Afrique subsaharienne »
Parlons de la Tunisie. Comment se présente aujourd’hui le marché des systèmes de communication ?
Lotfi Fehri : Spectrum Groupe a démarré en 2010. Donc, avant la révolution tunisienne qui a freiné le développement de tous les marchés. Y compris le marché IT. Il était stagnant les premières années après la révolution mais les choses ont redémarré ces deux dernières années. Nous nous sommes donc repositionnés sur ce marché à travers pas mal d’évènements, dont le Salon SITIC Africa. En termes de stratégie, nous sommes donc en train de retravailler le marché tunisien où on constate une stagnation sur la partie Intranet due à la révolution.
Ali Ouni : On constate aussi que le marché tunisien se renouvelle avec de nouvelles technologies. Aujourd’hui, nous travaillons sur la mise en place de démarches agiles de solutions de gestion de projet. Pendant longtemps, notre plus gros marché a été l’Europe, en deuxième lieu l’Afrique subsaharienne, beaucoup plus que la Tunisie ou le Maghreb. En Tunisie, nous avons des références intéressantes. Pour avoir travaillé avec le CNI (Centre National Informatique) dans le cadrage de la stratégie e-Gouv et avec quelques partenaires dans le cadre de l’Intranet. Effectivement, il y a eu ce freinage au niveau de la Tunisie, et je pense que cela a accéléré notre développement en Afrique subsaharienne. Aujourd’hui, nous avons un réseau de partenaires très dense. Je dirai que c’est le moment de capitaliser sur ce réseau et retravailler notre positionnement sur l’Afrique subsaharienne.
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