Valérie LEVKOV est Directrice Afrique, Moyen-Orient et Méditerranée Orientale d’EDF. Pour CIO Mag, elle dévoile la stratégie africaine que le leader de l’énergie a déterminée pour atteindre ses objectifs de développement à l’international. Et nous fournit son expertise sur l’efficacité énergétique et ses enjeux pour l’Afrique, ainsi que sur la convergence entre les secteurs télécoms et l’énergie. Valérie LEVKOV conclut cet entretien par EDF Pulse Africa, le concours dédié aux start-ups qu’organise chaque année le Groupe EDF.
Propos recueillis par Mohamadou DIALLO
Cio Mag : Quelle est la stratégie d’EDF en Afrique ?
Valérie Levkov : Elle s’inscrit dans le cadre de la stratégie CAP 2030 d’EDF qui a pour objectif de tripler notre activité hors d’Europe et de doubler notre puissance renouvelable installée dans le monde à l’horizon 2030. En Afrique, nous accompagnons les pays dans lesquels nous sommes implantés pour relever les défis de développement, comme l’accès à l’électricité. Ceci intervient dans un contexte d’augmentation des besoins énergétiques des pays africains et résulte de la hausse de la croissance démographique. Nous y répondons en fournissant, grâce à la digitalisation du secteur de l’énergie, une électricité bas carbone, à des coûts très compétitifs. Nous sommes convaincus que l’électricité est l’énergie de l’avenir. Elle soutiendra le développement économique et social de l’Afrique et contribue, par ailleurs, à la lutte contre le réchauffement climatique, un des engagements de développement durable qui anime EDF au quotidien.
Notre approche est globale. Nous pensons que la transition énergétique africaine a besoin de toutes les solutions énergétiques bas carbone, y compris de la production renouvelable centralisée comme les barrages hydrauliques. En janvier, nous avons démarré au Cameroun la construction du barrage de Nachtigal qui fournira 30 % de l’électricité du pays. En Afrique du Sud, nous avons récemment signé les accords définitifs pour construire environ 40 MW de parc éolien qui s’ajouteront aux 108 MW que nous y exploitons déjà. Le stockage des énergies renouvelables joue également un rôle important dans nos activités africaines, du fait de leur nature intermittente.
Parmi les solutions alternatives décentralisées, nous développons les systèmes off-grid (hors réseau). Mais l’Afrique a aussi besoin de réseaux, qui soient à la fois connectés, performants et de plus en plus intelligents.
“De plus en plus d’acteurs du secteur des télécoms se tournent vers l’énergie, et réciproquement. L’Internet des objets (IOT) en est la parfaite illustration”
Qu’est ce qui explique le regain d’intérêt du monde du digital pour EDF ?
Le digital joue un rôle clé dans nos activités en Afrique. C’est un accélérateur de croissance et un vecteur d’innovation pour nous et pour nos clients. Et la convergence entre l’énergie et les télécoms constitue un enjeu très important. De plus en plus d’acteurs du secteur des télécoms se tournent vers l’énergie, et réciproquement. L’Internet des objets (IOT) en est la parfaite illustration, tout comme les services aux clients. Et je suis ravie de constater que l’Afrique prend toute sa part dans cette dynamique. Mieux encore, elle l’anticipe. Le continent joue ainsi un rôle clé dans l’atteinte des objectifs de développement à l’international du Groupe EDF.
Dans les activités de commercialisation de produits tels que les kits et les pompes solaires par nos filiales – par exemple en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Togo et au Kenya – la relation client passe notamment par des applications mobiles. En revanche, pas question pour nous de la déshumaniser ni à l’international ni en France. Aujourd’hui, grâce à ces applications, nous fournissons, en temps réel, des informations pratiques à nos clients. Elles concernent les échéances, les mensualités des factures, l’encours des consommations, l’état des installations… Dans le contexte africain, les call centers fonctionnent en appui à la digitalisation.
Est-il besoin de renforcer localement la coopération avec les opérateurs de télécommunications ?
Absolument. Il est en effet nécessaire d’intégrer les outils des opérateurs mobiles. Les nôtres nous permettent d’inter-opérer avec tous les opérateurs du pays. Ainsi, nous n’imposons pas à nos clients le choix de leur opérateur télécom et discutons avec les interfaces de mobile money des opérateurs de téléphonie mobile.
Quelle est la nature des relations que vous entretenez avec les start-ups ?
Nous collaborons avec des start-ups qui ont déjà développé des solutions innovantes plus ou moins éprouvées. Nous intervenons moins sur le développement technologique : c’est le cœur de métier des start-ups que nous soutenons. En revanche, nous leur apportons notre capacité à déployer, à une large échelle, leurs solutions. Et nous nous positionnons plus sur l’industrialisation, la validation de la qualité des produits et l’amélioration de leurs performances. Dès lors que nous apposons le label EDF sur une solution, il est essentiel qu’elle gagne en maturité pour répondre aux standards internationaux. Mais, auparavant, le processus de validation passe par une étape de tests très poussée dans nos laboratoires de R&D.
Quelle est la fonction du digital dans les produits et services fournis aux clients ?
La première dimension de cette digitalisation est celle de l’interface client. Les clients ruraux étant tous équipés d’un téléphone mobile basique, il est possible d’établir une première relation. Le client domestique souhaite disposer d’une solution d’énergie pour regarder la télévision, avoir de la lumière, recharger son téléphone, faire fonctionner son ventilateur… Pour les pompes solaires off-grid, on est sur un outil productif, qui a un lien direct avec le revenu de la famille. Le digital permet alors à l’exploitant agricole d’obtenir des données sur la météo, sur le prix de vente des denrées, sur l’état des ressources en eau dans son sous-sol, parce qu’on peut y installer des capteurs et en exploiter les données. Il s’agit d’une offre très sophistiquée ; sa composante digitale a un impact important sur le rendement des cultures et donc du revenu des agriculteurs.
“…Citelum, une filiale 100 % EDF spécialisée dans l’éclairage public, a été sélectionnée pour la rénovation, l’extension, la maintenance, l’exploitation du réseau d’éclairage public intelligent de la ville de Fès. Ce sera une solution smart city.”
De nouvelles villes et des smart cities émergent en Afrique. Quelle est votre approche pour accompagner cette dynamique ?
C’est un axe majeur pour le groupe EDF. Et ce n’est, une fois encore, pas spécifique à l’Afrique. S’agissant du continent, nous mettons en place des offres adaptées aux besoins des villes africaines. Et avons commencé avec le Maroc, puisque Citelum, une filiale 100 % EDF spécialisée dans l’éclairage public, a été sélectionnée pour la rénovation, l’extension, la maintenance, l’exploitation du réseau d’éclairage public intelligent de la ville de Fès. Ce sera une solution smart city. Elle englobe non seulement l’éclairage, mais aussi les carrefours à feux, les décorations lumineuses, les monuments et tous les nouveaux services connectés, jusqu’aux bornes WiFi. Tous ces systèmes seront référencés et gérés dans la plateforme digitale développée pour la ville par Citelum. Cette plateforme sera le cœur de la smart city. Et cet outil va permettre à la ville de Fès de réduire de 60 % les consommations énergétiques liées à l’éclairage, avec un taux de disponibilité de 97 %. Notre intention est de déployer ce dispositif ailleurs qu’au Maroc. Il y a en effet une grande déperdition d’énergie sur l’éclairage public dans de nombreuses villes africaines.
Vous avez prévu d’effectuer un tour d’Afrique pour sélectionner un certain nombre de start-ups. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Notre prix EDF Pulse Africa, qui a été lancé en 2017, a enregistré l’année dernière la participation de plus de 400 start-ups et la plupart s’appuient sur le digital. Ce concours a été lancé parce que nous considérons qu’il est important d’accompagner les start-ups africaines, de détecter les pépites et de favoriser l’émergence de solutions adaptées aux besoins et aux contextes locaux. Le concours a révélé l’extraordinaire niveau d’ingéniosité et d’innovation des start-ups africaines.
En 2018, la société kenyane Savanna Circuit Tech a proposé un système de refroidissement mobile de lait fonctionnant à l’énergie solaire. La start-up ghanéenne Black Star Energy, qui était arrivée seconde au concours, a développé des mini-grids (mini réseaux de distribution d’électricité) avec des systèmes permettant aux clients de connaître leur niveau de consommation et de proposer des tarifications différentes selon les horaires. Des inventions formidables !
Nous avons mis en place une plateforme numérique pour que ces start-ups puissent dialoguer et collaborer autour de leurs solutions. Elles peuvent aussi bénéficier de notre feedback. Le premier niveau d’accompagnement qu’on propose concerne la qualité de leur dossier, leur pitch et les pistes à développer. Des incubateurs, y compris africains, sont mis à contribution pour les aider dans la durée. Les vainqueurs sont accompagnés sur une durée d’un, voire deux ans. Durant cette période d’accompagnement, les start-ups bénéficient de notre conseil opérationnel, de soutien financier et d’accès à l’écosystème d’innovation d’EDF, à notre R&D et à nos labos de créativité internes.
“…Dans le domaine de l’électricité, on parle de plus en plus des Utilities 2.0, c’est-à-dire de la digitalisation des utilities. Les mini-grids développés par Black Star Energy au Ghana en sont une illustration.”
Pensez-vous que ces innovations pourront, à terme, être utiles à l’Europe ?
J’en suis intimement persuadée. Les prochaines années devraient en apporter la preuve. On observe d’ores et déjà une tendance lourde : dans le domaine de l’électricité, on parle de plus en plus des Utilities 2.0, c’est-à-dire de la digitalisation des utilities. Les mini-grids développés par Black Star Energy au Ghana en sont une illustration. Nous tendons vers ce modèle. Et il n’y a pas de raison qu’on ne s’en inspire pas en Europe.
En 2019, quelle sera la particularité de ce concours ? Va-t-il changer du format habituel ?
Nous allons déployer EDF Pulse Africa via un « Africa Tour » dans nos différents pays d’implantation. Nous mettrons à contribution les incubateurs pour nous aider, via les bureaux et les écosystèmes locaux. Il s’agira d’abord de faire connaitre cette démarche pour que les start-ups puissent concourir. Nous validerons ensuite les choix des vainqueurs. Il est en effet plus pertinent d’être sur le terrain pour se rendre compte si ces innovations sont utiles localement.
Pour conclure, quel sera demain le rôle du digital pour les activités d’EDF en Afrique ?
Il faut travailler sur l’efficacité énergétique. De nombreux pays africains ont hérité de systèmes assez peu efficaces et énergivores, notamment dans les bâtiments. Nous allons devoir digitaliser pour aller vers plus d’efficacité. Et effectuer des audits énergétiques, comme le fait Netseenergy, notre filiale spécialisée dans les audits digitaux des bâtiments. Nous l’avons déjà mis en œuvre et testé en Afrique du Sud et cela va se poursuivre. C’est un axe du futur.
Par ailleurs, nous nous appuyons sur le digital pour la gestion des ressources humaines, au service des femmes et des hommes du continent, de leur formation et de leur intégration dans nos sociétés. Nous faisons en Afrique ce que nous faisons en France : des portails de recrutement. Par exemple, pour le barrage de Nachtigal au Cameroun, la société NHPC (détenue à 40 % par EDF) a mis en place « Nachtigal recrute », des offres d’emploi sur un portail web, où il y a de l’interaction. Cela fait aussi partie de la modernisation, de l’apport de la digitalisation dans nos projets.