Bruno Marie-Rose, Chief Information and Technology Officer (CITO) du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
À l’occasion de la 14ème édition des Assises de la Transformation Digitale en Afrique (13 & 14 novembre 2025 à Rabat) Bruno Marie-Rose, Chief Information and Technology Officer (CITO) du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, revient sur les défis technologiques majeurs relevés, l’impact de l’IA sur la gestion et l’expérience utilisateur, ainsi que les enseignements clés que ces innovations apportent à l’e-gouvernance et à la transformation digitale en Afrique.
CIO Mag : Quels ont été les principaux défis technologiques rencontrés lors de la préparation informatique des Jeux Olympiques Paris 2024, et comment votre équipe les a-t-elle surmontés?
Bruno Marie-Rose : Les Jeux ont représenté un défi sans équivalent : 5 milliards de téléspectateurs, 12 millions de spectateurs, 15 000 athlètes, 24 000 journalistes et 45 000 volontaires ont vécu une expérience unique.
La direction technologique reposait sur trois piliers. Le premier concernait les systèmes d’information internes et les moyens technologiques nécessaires au fonctionnement du comité d’organisation, une structure qui a grandi à la vitesse d’une start-up pour atteindre la taille d’une ETI avant de disparaître après l’événement. Le deuxième pilier regroupait les technologies au cœur des opérations : chronométrage, affichage, communications et systèmes d’information dédiés aux opérations – tout ce qu’on espère ne jamais remarquer tant cela doit être fiable. Enfin, un pilier transversal incarnait les ambitions de Paris 2024 : numérique responsable, innovation et héritage durable.
Nous avons répondu à cette hyper-complexité par une gouvernance unifiée, un pilotage agile et une culture “One Team” de plus de 5300 personnes de la technologie réunissant acteurs publics, partenaires technologiques et équipes internes.
Pour relever le défi managérial, nous avons d’abord défini une vision et une raison d’être claires, puis investi massivement dans la préparation et la confiance des équipes.
Au final : plus de 200 sites, 29 000 équipements, 182 applications développées, 7800 m² d’écrans géants et 384 400 km de fibre optique – soit la distance Terre-Lune.
CIO Mag : Dans quelle mesure les nouvelles technologies ont-elles contribué à améliorer l’expérience des athlètes, des spectateurs et des médias, et assurer la sécurité, la fluidité et la performance lors des Jeux?
B.M-R. : Pour les athlètes, les outils numériques ont simplifié la logistique, les accréditations et la gestion des entraînements. Pour les spectateurs, la billetterie 100 % digitale, les applications de mobilité et les services connectés ont rendu l’expérience plus fluide et inclusive. Pour les médias, un réseau 5G premium a permis la diffusion instantanée d’images inédites dans le monde entier.
Nous avons aussi innové pour élargir l’expérience : la version connectée du Marathon Pour Tous a battu le record mondial de participants dans le monde entier, tandis que des tablettes tactiles et l’audio augmenté ont permis aux spectateurs déficients visuels de suivre les épreuves en direct.
Les jumeaux numériques des sites et les outils de mesure d’affluence en temps réel ont fluidifié les opérations.
Enfin, dans un contexte géopolitique tendu, la cybersécurité a été au cœur du dispositif : un centre opérationnel 24/7 fédérant État, institutions et partenaires, a traité près de 55 milliards d’événements de sécurité pendant les Jeux.
CIO Mag : Le numérique et l’intelligence artificielle (IA) ont-ils joué un rôle dans la gestion opérationnelle de l’événement ? Pouvez-vous donner des exemples concrets?
B.M-R. : Oui, et de manière très concrète. L’IA a soutenu la surveillance prédictive des systèmes, notamment dans la cybersécurité. Des outils d’analyse vidéo assistée ont contribué à la sûreté des sites.
D’autres solutions ont facilité le recrutement et l’affectation des 45 000 volontaires, combinant neurosciences et intelligence artificielle avec validation humaine des missions.
Nous avons également utilisé l’IA pour analyser quotidiennement la couverture médiatique et détecter les tendances, et les diffuseurs ont pu générer automatiquement leurs résumés sportifs.
Enfin, certaines applications d’IA ont aidé les juges arbitres en analysant en temps réel les données de compétition.
L’objectif n’était pas de remplacer l’humain, mais d’augmenter sa capacité de décision dans un environnement d’une extrême complexité.
CIO Mag : À l’aube de la 14ème édition des Assises de la Transformation Digitale en Afrique (ATDA), autour du thème « L’IA au service de l’e-Gov : catalyser l’innovation », quelles leçons de l’organisation des JO pourraient être pertinentes pour les projets d’e-gouvernance en Afrique?
B.M-R. : La première leçon, c’est la gouvernance : un grand projet numérique ne se réussit jamais seul. Il faut co-construire entre institutions, opérateurs et citoyens.
La deuxième, c’est la confiance numérique : identité, cybersécurité et facilité d’usage doivent être pensées dès la conception.
Enfin, le capital humain reste central : valoriser les talents locaux et bâtir des compétences durables qui favorisent la collaboration entre les experts technologiques et les métiers.
Ces leviers sont universels ; les Jeux en ont été un laboratoire grandeur nature.
CIO Mag : Comment voyez-vous le rôle des grandes manifestations sportives internationales comme les Jeux Olympiques dans la promotion et l’accélération de la transformation digitale à l’échelle mondiale?
B.M-R. : Les Jeux Olympiques incarnent une dynamique collective et un accélérateur de changements. Leur caractère unique, borné dans le temps, pousse à trouver rapidement des solutions qui, ailleurs, auraient pris des années. C’est ainsi que les Jeux deviennent un puissant moteur d’innovation.
Paris 2024 a permis d’expérimenter des technologies durables, des clouds souverains et une gouvernance numérique partagée.
Au-delà du sport, ces événements deviennent de véritables laboratoires vivants de la transformation digitale , où s’inventent de nouveaux modèles de collaboration et un miroir de la société connectée.
Bruno Marie-Rose
CIO Mag : Enfin, quels conseils pourriez-vous donner aux responsables IT et décideurs digitaux africains pour réussir des projets technologiques d’envergure dans des contextes complexes et multi-acteurs?
B.M-R. : Commencez par la vision : le “pourquoi” avant le “comment”.
Bâtissez des alliances solides entre secteur public, privé et monde académique.
Pensez résilience : cybersécurité, redondance, continuité.
Formez et responsabilisez les équipes locales – la compétence crée la confiance, et le succès viendra de l’autonomie.
Enfin, avancez par étapes concrètes : des succès intermédiaires créent la dynamique du projet.
Dans tout environnement complexe, la réussite dépend avant tout du leadership collectif, plus encore que de la technologie.





