L’arrivée de la Télévision numérique terrestre a pris du retard en Afrique. Cependant, les enjeux sont anticipés. C’est dans cette logique que le troisième panel de la 10ème édition du Digital African Tour (DAT) Sénégal, organisé par CIO Mag en partenariat avec la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, Franco-Fil et TDS-SA, s’est intéressé au thème : « à qui profite l’audiovisuel numérique ? » Les panélistes ont abordé l’innovation dans les usages. Si le contenu des diffuseurs devra marquer la différence, il est donc utile de se demander à qui profitera cette transformation en cours dans le paysage médiatique africain avec l’arrivée de la TNT. (3ème partie)
Carlos Tobias
(Cio Mag) – Le modèle économique pour la viabilité des télédiffuseurs, la nécessité de la production de contenus de qualité appréciés au niveau local pour s’assurer une audience… deux questionnements loin d’être les seuls enjeux au centre des débats sur l’arrivée de la TNT en Afrique. L’un des sujets important, c’est aussi celui des usages. A qui profitera réellement la TNT ? Le troisième panel du Digital African Tour Sénégal 2020 modéré par Jean-Michel Huet, Partner-BearingPoint a décortiqué le sujet. De divers acteurs appelés à cohabiter sur ce nouveau marché ont jeté les bases de nouvelles réflexions. Entre complémentarité et concurrence, qui remportera le pari de la TNT ?
La complémentarité TNT – OTT
Laurent Talibart en charge des réseaux spécialisés dans la distribution médias à Orange Broadcast a lancé le débat. « La TNT et la télévision interactive par internet sont complémentaires ». Pour l’expert d’Orange, la crise de la Covid 19 a entraîné « l’explosion des usages d’internet. On a vu le trafic augmenté d’un coup de 40% dont 70% à peu près de la vidéo ». Ce qui révèle selon lui « qu’aujourd’hui, les réseaux télécoms sont extrêmement utilisés pour de la vidéo ». Avec la souveraineté de la TNT « un message d’un pays porté aux habitants d’un pays », soutenu par Laurent Talibart, il faut dire que le téléspectateur est le seul « chef des programmes », comme l’a souligné plus tôt Mamadou Baal, consultant média. Une réalité qui renvoie à la volonté des téléspectateurs à sélectionner ce qu’ils souhaitent regarder. « C’est là qu’intervient l’OTT pour assurer la mobilité », fait observer Laurent Talibart. Les services de livraison de médias garantissant la mobilité étant pour l’instant impossibles par la TNT, il y voit alors une complémentarité au profit des téléspectateurs.
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Lorsque Jean-Michel Huet revient sur le fond du sujet à savoir qui sera le gagnant du basculement vers la TNT, Laurent Talibart évoque la publicité. « Le gâteau publicitaire grossit quand on passe à la TNT, mais pas beaucoup », lâche-t-il. Mais il précise : « le nombre de part se démultiplie », au profit donc de « la diversité et de la population ».
Mamadou Baal pense pour sa par que « le seul bénéficiaire devrait être le téléspectateur roi ». Mais il n’existe plus se désole-t-il. Car, les usages ont fait évoluer la notion de téléspectateur. Evoquant l’expérience du quotidien, le consultant média note que désormais les productions nationales ne sont plus forcement regardées via la télévision mais par Internet. Il a alors appelé les opérateurs et autres acteurs à s’adapter aux mutations en cours. Selon lui, l’arrivée de la TNT doit rappeler l’adaptation des opérateurs télécom lorsque l’usage du téléphone a changé avec le numérique. « Un jour viendra où les éditeurs aussi pourront faire ce que font les opérateurs téléphoniques », croit-il. Celui qui profitera de la TNT, « c’est celui a qui on ne pourra plus rien imposer, et qui pourra aller chercher ce qu’il veut, quand il veut, comme il le veut avec l’outil qu’il veut », conclut le consultant média.
Tirer avantage de tous les canaux…
Avis partagé par Ismaël Togola, Directeur Général de la Société malienne de Transmission et de diffusion. « Il faut faire cette TNT avec en parallèle le développement des contenus connectés ». Le Mali travaille, à en croire M. Togola, pour le développement d’adaptation OTT. Ismaël Togola jette des pistes de réflexions qui se focalisent sur une collaboration entre opérateurs de téléphonie et les éditeurs de contenus. « On pourra travailler avec les opérateurs de téléphonies pour que les contenus diffusés par la TNT puissent être dans un bouquet et diffusés via les OTT au profit de ceux qui ont des terminaux mobiles », propose le Directeur Général de la Société malienne de Transmission et de diffusion. Il n’exclut pas non plus la création de produits propres aux diffuseurs comme la création de leurs propres bouquets.
Pour Amadou Diop, Directeur général de TDS-SA Sénégal, les premiers bénéficiaires vont être les téléspectateurs. Il y voit un outil « d’inclusion sociale qui a toute son importance dès lors qu’on évoque l’équité en termes d’accès de contenus ». Pour M. Diop, les éditeurs seront en deuxième position. Ils pourront se concentrer sur leur cœur de métier en termes de production de contenus et donc se débarrasser du rôle de diffuseur. Synonyme d’économie dans les charges d’exploitation. « C’est tout un écosystème qui va en bénéficier, mais la plupart du temps, il faut être aligné aux usages qui changent », a soutenu le DG de TDS-SA Sénégal. Il partage avec Laurent Talibart l’analyse sur l’augmentation du trafic internet avec l’augmentation du trafic de la vidéo. Amadou Diop pense donc qu’une adaptation est nécessaire tant pour les opérateurs télécoms que pour les sociétés de diffusion.
Pertinence, qualité et originalité…
Acteur averti du secteur des médias, l’ancien directeur Général de la Radiotélévision du Sénégal et ancien Directeur de Tv5 Afrique, Mactar Silla rassure que « l’ordre établi va être tout à fait bouleversé ». Mais « le tout ne se résume pas aux enjeux technologiques », ajoute le PDG de LabelTV en précisant que ce qui intéresse le public, ce sont les contenus. La compétition qui s’ouvre entre diffuseurs, producteurs et telcoms va permettre de mettre l’accent sur la qualité, la pertinence et l’originalité, avertit Mactar Silla. « Certes le paysage va changer avec l’arrivée de plusieurs acteurs, mais les contenus seront la clé pour le positionnement », a fait observer celui qui aujourd’hui officie depuis le Gabon comme entrepreneur média. Avec une stratégie ficelée, il pense que les opportunités devraient prendre le pas sur les menaces pour tous les acteurs.
Avant même donc de penser business model ou encore profit, il faut recentrer le débat sur le contenu. Car, tout semble dépendre de ce que proposeront les acteurs.
Quid de la réglementation !
L’arrivée de la TNT fait aussi penser à la régulation pour en tirer profit ! Pour Jean-Michel Huet, il faut bien s’imaginer qu’avec l’avènement de la TNT « on se rend compte qu’on est au croisement de plusieurs marchés : télécom, OTT, médias, contenus… » Les législations sont-elles prêtes, se demande-t-il.
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La question amène à réfléchir à « une convergence des régulateurs » a souenu Amadou Diop. L’élaboration de cahier des charges, des conventions et des catalogues de services devront permettre de régler la question. La gouvernance multi-acteurs reste une piste sérieuse de solution pour le DG de TDS SA Sénégal.
A la réglementation vont aussi s’ajouter les outils de mesure également évoqués lors du deuxième panel. Un autre point déterminant pour convaincre des annonceurs. Habid Bemba d’Orange Côte d’Ivoire apporte une précision à la question et pointe la facilité d’avoir des précisions sur le mobile par exemple. « Il va falloir revoir l’écosystème. Même s’il y a des régulateurs, les canaux changent » rappelle-t-il. Et d’inviter « tous les acteurs dans de nouveaux rôles ».
Emmanuel Jacques d’African Union communications, intégrateur de la TNT conclut que les téléspectateurs seront les premiers gagnants « avec plus de choix, de meilleures qualités de télévision ». « La TNT est déployée principalement pour remplacer l’analogique », rappelle-t-il. « L’Etat vient en deuxième position avec les dividendes du numérique », car le déploiement de la TNT « libère de la fréquence avec donc des coûts associés, la revente de ces fréquences », soutient-il. Et en troisième position selon Emmanuel Jacques, les opérateurs télécoms avec des licences 5G. Les éditeurs de contenus suivront. Ils sont les « fer de lance nationaux dans la création de contenus », affirme celui dont la société implémente sur le continent une vingtaine de solutions TNT.
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