
Une scène de marché africain mettant en vedette une femme kényane utilisant une application fintech mobile sur son smartphone pour traiter une demande de prêt. Image générée par IA.
Alors que des millions d’Africains demeurent exclus du système bancaire traditionnel, une transformation silencieuse mais décisive est en marche sur le continent. En Afrique subsaharienne, les technologies de l’intelligence artificielle s’intègrent progressivement dans l’écosystème fintech, ouvrant de nouvelles perspectives d’inclusion financière.
Selon le cabinet McKinsey & Company, le chiffre d’affaires des start-up africaines du secteur fintech pourrait atteindre 47 milliards de dollars d’ici 2028, contre 10 milliards en 2023. Cette croissance impressionnante serait portée par plusieurs facteurs structurels : la faible bancarisation, la forte croissance démographique et l’essor continu du mobile money et des smartphones. Dans son rapport publié en 2023, intitulé Redefining success: A new playbook for African fintech leaders, McKinsey précise que ce bond ne pourra se concrétiser que si le taux de pénétration des services fintech passe de 5,3 % en 2023 à 15 % en 2028, un niveau actuellement observé au Kenya. À défaut, avec un taux plafonnant à 10 % comme c’est le cas au Nigeria, le marché ne dépasserait pas 31 milliards de dollars.
De plus en plus de fintechs africaines misent sur l’intelligence artificielle pour contourner les limites du système bancaire traditionnel. En s’appuyant sur des outils comme les chatbots, les analyses prédictives basées sur les comportements numériques, elles ouvrent l’accès à des services financiers essentiels crédit, épargne, paiement de factures, transferts à des millions de personnes jusqu’alors exclues du circuit bancaire classique. Pour Mohamed Touhami El Ouazzani, vice-président Afrique chez Western Union, cette tendance va s’amplifier : « À mesure que la technologie et l’IA évoluent, elles continueront à réduire le fossé de l’inclusion financière, grâce aux efforts conjoints des gouvernements, des ONG et du secteur privé. »
Au-delà des chiffres, c’est l’approche humaine qui fait la différence. Des startups comme KaliSpot ou Chari, dirigées respectivement par Mika Diol et Ismaël Belkhayat, ont compris que l’inclusion financière passe par l’adaptation aux réalités locales. « Nos kiosques intègrent l’intelligence artificielle conversationnelle, pour que les utilisateurs puissent interagir en Darija, Wolof, Bambara, Fulani, et d’autres langues locales. Cela réduit la barrière linguistique et l’exigence d’alphabétisation », explique Mika Diol.
Les services basés sur l’IA ne nécessitent ni compte bancaire ni smartphone. « Ces hubs financiers donnent accès aux services essentiels sans dépendre d’un agent mobile money ou d’une connexion Internet stable, encore inaccessible à beaucoup », poursuit Ismaël Belkhayat.
Des impacts concrets sur les vies
L’une des grandes forces de l’IA dans le secteur financier est sa capacité à évaluer la solvabilité des clients dits « non bancarisés ». Plutôt que de s’appuyer sur les documents traditionnels (fiche de paie, historique bancaire), l’IA analyse des signaux alternatifs : historique de paiements mobile money, comportement d’achat, interactions sociales, données téléphoniques, etc.
Les retombées sont déjà visibles sur le terrain. « Cette expansion rapide aide des millions de personnes, en particulier dans les zones rurales et mal desservies, à participer à l’économie », observe Mohamed Touhami El Ouazzani. «Les envois de fonds de la diaspora soutiennent les familles, financent l’éducation, et permettent aux petits agriculteurs ou entrepreneurs d’accéder à des services financiers essentiels. »
Des bornes comme celles de KaliSpot facilitent le paiement de factures publiques et locales, une opération jadis chronophage et opaque. « L’inclusion financière ne peut être complète que si nous facilitons l’accès aux services sans forcer quiconque à changer brutalement ses habitudes », insiste Mika Diol.
Les défis d’une révolution technologique
Malgré ce potentiel, les fintechs africaines doivent encore surmonter de nombreux obstacles : infrastructures numériques parfois déficientes, zones blanches, confiance des usagers, protection des données, mais aussi encadrement réglementaire. « Les applications mobiles nécessitent des smartphones et une connexion stable, qui restent hors de portée pour une partie de la population », rappelle Ismaël Belkhayat. Des efforts importants ont néanmoins été faits. Au cours de ce mois, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a agréé 11 établissements fintech, marquant une avancée majeure dans la formalisation du secteur.
Vers un écosystème inclusif et souverain
L’essor conjoint de l’intelligence artificielle et des fintechs représente une opportunité historique pour l’Afrique. Mais pour que cette transformation soit inclusive et durable, il est crucial d’investir dans les infrastructures, la formation locale, la cybersécurité et une réglementation adaptée. « À l’avenir, le système financier africain reposera de plus en plus sur des transactions transfrontalières transparentes », anticipe M. El Ouazzani.