Si l’Afrique accuse encore un fort retard quant à la maturité de son écosystème de startups, l’engouement se fait sentir depuis plusieurs années et encore plus en 2021. En témoignent les chiffres des investissements, qui ont presque quadruplé cette année. C’est l’un des principaux enseignements qui ressort d’Emerging Valley, un sommet consacré à l’innovation en Europe et en Afrique qui se déroule chaque année à Marseille (France).
(Cio Mag) – “L’Afrique n’a pas besoin de charité, mais de partenariats gagnants-gagnants”. Ces mots ont été prononcés par le ministre de l’Economie numérique de la Côte d’Ivoire, Roger Adom, à l’ouverture d’Emerging Valley, le forum consacré aux startups africaines, qui s’est déroulé au Palais du Pharo de la cité phocéenne, le 14 décembre.
Désormais, “l’aide au développement” n’est plus à l’ordre du jour. Les acteurs du secteur privé et public du monde entier s’intéressent à l’Afrique, parce qu’elle regorge de potentiel, et pas seulement en termes de matières premières. D’années en années, les jeunes pousses du continent attirent toujours plus d’investisseurs, venus du Japon, des Etats-Unis, d’Europe et d’ailleurs, qui perçoivent désormais la rentabilité de leurs opérations dans les pays africains.
Bien consciente de cette attraction que génère le continent, l’Union européenne entend aussi jouer sa partition. Au-delà des domaines traditionnels de coopération, comme la sécurité alimentaire ou le climat, elle investit désormais massivement dans des programmes d’innovation, en coopération avec l’Union africaine. Le programme Horizon Europe 2021-2022, doté d’une enveloppe de 350 millions d’euros, vise par exemple à financer une quarantaine de projets communs innovants. “Le Sommet UE-UA prévu en février 2022 permettra de mettre l’innovation à l’agenda, pour rendre les partenariats dans ce secteur plus stables et durables. Des investissements seront adoptés et annoncés à cette occasion”, a promis Maria Christina Russo, directrice de la coopération internationale à la Commission européenne, à Emerging Valley.
La Côte d’Ivoire, hub d’innovation ouest-africain
Le ministre ivoirien, lui, n’a pu intervenir en présentiel lors du forum, mais pour une bonne raison : Roger Adom devait présenter le même jour le projet de Startup Act au Conseil de gouvernement de son pays. Un instrument qui vise à favoriser l’expansion de l’innovation et de l’entrepreneuriat, à travers des mesures incitatives (commande publique, labellisation, fiscalité etc).
A Emerging Valley, l’écosystème ivoirien était en tout cas bien représenté, avec plusieurs startuppeurs venus parler de leurs projets ambitieux. Ces “ambassadeurs de l’innovation”, nommés dans le cadre du programme Startup4Gouv (lire l’article ici), portent sur la scène internationale la volonté de leadership ivoirienne en matière de Tech. “Nous avons un réel impact sur les politiques publiques dédiées à l’innovation désormais”, assure Joseph-Oliver Biley, CEO de Jool International, une startup spécialisée dans les drones et membre du collectif d’entrepreneurs du CI20. Comme en Côte d’Ivoire, sur tout le continent, l’écosystème des startups grandit d’année en année.
“L’année 2021 a vu l’apparition de quatre licornes africaines. C’est un exploit. Nous observons que le paradigme change, avec le développement de licornes issues de pays francophones, comme Wave”, a rappelé Samir Abdelkrim, fondateur d’Emerging Valley. Si les pays anglophones continuent de faire parler d’eux, Afrique du Sud, Egypte, Nigéria et Kenya en tête, les francophones tentent de combler leur retard. Le Maroc, mais aussi le Sénégal, font de plus en plus d’émules.
Ainsi, la prochaine licorne africaine pourrait bien venir du Sénégal, a assuré Samir Abdelkrim, qui a d’ailleurs invité le cofondateur de cette startup à fort potentiel. Paps est une société de logistique, qui a su créer une chaîne d’infrastructures pour permettre à ses clients la distribution et la livraison des produits nécessaires à leur business (transports, points relais, applications etc). “Au Sénégal, l’entrepreneuriat s’est développé il y a une quinzaine d’années. Aujourd’hui, l’écosystème arrive à maturité, avec des entrepreneurs de talent, qui peuvent permettre aux startups d’émerger sur la scène continentale. Le pays est par ailleurs en pleine croissance, ce qui favorise les investissements”, a précisé Bamba Lo, cofondateur de Paps. L’entrepreneur regrette par contre le manque de partenariats publics-privés, qui freine selon lui l’arrivée de fonds vers des entreprises innovantes qui répondent à des besoins, pourtant non comblés par les services publics.
Le financement des startups africaines a presque quadruplé en 2021 !
En 2020, les startups africaines avaient récolté 1,4 milliards de dollars selon les données de Partech. A quelques jours de la fin de l’année, les experts font état de plus de 4 milliards pour 2021. “L’investissement dans les startups africaines a quadruplé en un an”, se réjouit Mareme Dieng, Global Innovation and Strategy Afrique chez 500Startups, un fonds d’investissement basé dans la Silicon Valley. La société londonienne Briter Bridges Intelligence, qui suit les investissements dans les startups africaines, table même sur 5 milliards de dollars, soit un montant supérieur au chiffre levé au cours des trois années précédentes combinées.
Quelles sont les raisons de cette explosion de l’investissement vers l’innovation africaine ? “Avant, on se disait que les investissements en Afrique donneraient des rendements d’ici 15 ou 20 ans. Aujourd’hui, nous avons de belles sorties et les rendements commencent à arriver. Cela motive énormément les investisseurs. Un autre facteur qui joue, est que l’on commence à voir des entrepreneurs beaucoup plus expérimentés, avec une troisième ou quatrième entreprise qui fonctionne. Ils ont de l’expérience et savent manager les équipes, et ceci est un facteur de réduction des risques pour les fonds”, atteste Mareme Dieng. Autre explication, selon l’experte, la compétition qui se joue entre les fonds d’investissement, qui ne veulent pas rater le coche. “L’argent appelle l’argent ! Le fait que l’investissement augmente sur le continent exerce une attraction plus grande des investisseurs, qui sont dans un milieu très compétitif”.
Et si la FinTech reste, encore cette année, le secteur qui attire le plus de capitaux, d’autres domaines d’activités émergent, comme l’agritech, le e-commerce ou la logistique. “En investissant maintenant, les fonds peuvent espérer des rendements d’ici 5 ans”, poursuit l’experte, qui assure que “l’entrepreneuriat devient une source primaire pour adresser les challenges locaux dans les pays émergents”. Quant à savoir si les investisseurs se tournent plus facilement vers des entreprises dirigées par des Occidentaux, ou des managers issus des diasporas plutôt que vers des sociétés 100% locales, l’experte balaie cet argument. “Je trouve que c’est un faux débat. Pour moi, tant que l’entreprise crée de l’emploi en Afrique et résout des problèmes africains, c’est une start-up africaine”.