ODI 2020 : l’africanisation au cœur des stratégies d’implantation en Afrique

Depuis 11 ans, l’Observatoire du Développement International analyse les stratégies de fonctionnement des entreprises françaises dans leur internationalisation. Organisée le 26 novembre en clôture de la 9e édition des ATDA, la 11ème édition de l’ODI s’est intéressée cette année aux enjeux et perspectives de l’organisation des entreprises françaises en Afrique. A ce titre, le modérateur de cette table ronde virtuelle, Jean-Michel Huet, associé au cabinet BearingPoint, a présenté les résultats de l’étude intitulée : ‘’Métamorphoses ! Ou comment les entreprises françaises se réinventent en Afrique et pour l’Afrique’’. Tenue pour la première fois sous un format 100% en ligne, cette table ronde virtuelle a été suivie par plus de 400 participants.

Zakaria GALLOUCH

(CIO Mag) – Les grands groupes français réalisent une part croissante de leurs investissements, de leur prise de risque mais aussi de leurs revenus, hors des frontières hexagonales. L’Afrique s’illustre ainsi comme un relais de croissance incontournable pour les entreprises françaises qui y opèrent. Le phénomène n’est pas nouveau, mais son ampleur actuelle pousse les entreprises françaises à repenser sans cesse leurs dynamiques africaines. A cet effet, l’étude menée auprès d’un panel de 300 entreprises, s’est focalisée sur trois principaux axes liées à l’innovation : la dynamique de la relation siège-filiales, l’organisation des ressources humaines et la valorisation du capital humain, ainsi que les spécificités des dispositifs d’innovation pour les marchés africains.

Quelle dynamique pour la relation siège-filiale ?

Selon l’étude présentée en ouverture du panel, 80% des acteurs français privilégient la filiale comme mode d’implantation en Afrique. Dans ce cadre, le principal défi pour le siège réside dans sa capacité à instaurer l’équilibre entre autonomie et pilotage renforcé des filiales locales. D’ailleurs, 87% des acteurs interviewés ont déclaré adopter une posture de « contrôleur des opérations » vis-à-vis de leurs filiales africaines. Ce qui correspond à une forte implication dans la définition et la revue des orientations stratégiques, un suivi resserré de l’activité et finalement un faible niveau de délégation d’autorité pour les décisions critiques de type investissements, ou lancement de nouveaux produits.

En revanche, ce modèle d’implantation centralisée évolue vers une tendance de régionalisation qui aspire à fluidifier les processus au niveau des filiales, et accroître leurs marges de manœuvre sur différents aspects du business. Pour Laissa Mouen, Fondatrice et CEO de la plateforme d’innovation et d’investissement Kinaya Venture, il existe différents modes d’implantation opérés par les multinationales en Afrique, avec toujours l’ambition d’évoluer vers plus d’autonomie des filiales. « Il y a des modèles qui sont très centralisés autour de la direction Afrique au siège, mais avec des représentants sur le terrain, en vue de fluidifier les processus de prise de décision. C’est-à-dire que, même parmi les modèles centralisés, il existe ceux qui s’appuient sur des collaborateurs sur le terrain ». Également, Laissa Mouen a mis en évidence les aspects de la tendance de régionalisation. Notamment les clusters construits autour de similitudes linguistiques, géo-culturelles ou autour de centres régionaux orientés expertise. Cependant, l’experte en innovation regrette que les prérogatives de sa fonction restent le plus souvent l’adage de directions centralisées. « Sur les questions d’innovation, parfois ce ne sont pas les directions opérationnelles basées en Afrique qui en sont en charge, mais on doit souvent se référer à des directions d’innovation, qui ne sont pas forcément régionalisées. Ce qui rend délicat le travail sur l’innovation, en absence de CIO locaux.

François-Xavier Rey, DRH adjoint et directeur de la transformation d’Orange MEA, a évoqué le programme Kilimandjaro, qui s’inscrit dans la stratégie de l’opérateur en vue de repenser son organisation et son fonctionnement dans la région. « Nous avons lancé le programme Kilimandjaro qui s’attaque à deux principaux axes, l’efficience opérationnelle et l’ancrage en Afrique ». Cette ambition s’est traduite principalement par l’implication de compétences africaines dans le top management du groupe que ce soit au niveau du siège ou des directions de filiales. Cette stratégie a également débouché sur la création d’une holding capitalistique de plein exercice, dotée d’un conseil d’administration qui bénéficie d’une autonomie de gestion. Par ailleurs, François-Xavier Rey a mis en évidence la stratégie du groupe pour localiser son ancrage au sein d’un siège africain du groupe, notamment à Casablanca. Même son de cloche du côté du Suez en Afrique. En concluant son intervention, Paul Bourdillon a précisé que de manière générale, « l’intérêt des clients, c’est ce qui dicte finalement les processus de prise de décision et les modèles organisationnels pour chaque contexte ».

Vers une africanisation des rôles clés

Pendant plusieurs décennies, les postes à haute responsabilité ont été exclusivement réservés aux expatriés au sein des multinationales. Ces dernières années, on observe que de nouveaux profils intéressent de plus en plus ces multinationales : ils sont identifiés comme étant capables d’occuper ces postes longtemps restés chasse gardée des expatriés.

Dans ce sens, Alpha Barry, Directeur général d’Atos Afrique, s’est réjoui lors de son intervention de la concrétisation d’une réalité organisationnelle, reposant essentiellement sur des compétences africaines. « Au Maroc, à Dakar ou à Abidjan. Atos repose essentiellement sur des compétences locales, et ce au niveau des postes de Top management ou équipes opérationnelles. C’est un travail sur la durée qui prend des années pour le développement des ressources humaines africaines. » A ce titre, le directeur franco-senegalais a évoqué l’importance des programmes de formation en interne, qui constituent un réel levier dans ce chantier de montée en compétences et d’africanisation des ressources humaines.

Pour sa part, Paul Bourdillon, Directeur Général Afrique Proche-Orient – Suez, s’est arrêté sur la tendance de SUEZ à favoriser les compétences locales plutôt que de reposer sur les expatriés. « Nous sommes une société de service à forte dimension locale, il est donc important d’adopter des approches locales dans le développement de notre capital humain ».

Montée en puissance des Repats et des compétences locales

Les profils africains s’invitent donc sur le terrain. A ce titre, l’étude s’est arrêtée particulièrement sur le profil de « Repats », ces africains binationaux de retour aux pays d’origines, qui sont particulièrement plébiscités par les multinationales. Au même titre que les profils locaux, qui ont suivi leurs études à l’étranger. Cette tendance RH s’explique par le besoin d’une africanisation, qui repose sur des profils apportant des soft skills que les expatriés peuvent difficilement développer. En effet, grâce aux liens naturels dont ils disposent avec le continent, les compétences locales disposent de la sensibilité leur permettant de mieux appréhender l’environnement et les caractéristiques socio-culturelles locales, peut-on lire dans l’étude de BearingPoint.

Confirmant cette tendance, Daouda Coulibaly, Président de HEC Alumni Côte d’Ivoire, a indiqué lors de son intervention que seulement un quart des lauréats HEC à Abidjan sont des expatriés. « Nous comptons au niveau de notre base de données a Alumni HEC Abidjan, 160 lauréats, dont les trois quarts sont Ivoiriens, ou d’autres nationalités africaines ». Et d’ajouter : « À leur retour en Afrique, les lauréats ne se dirigent pas forcément dans le pays d’origine, mais c’est en fonction, entre autres, des packages RH et la nature des postes proposés qu’ils définissent leurs destinations.  

Le renforcement des structures locales constitue in fine un prérequis pour les différentes multinationales, en vue d’une africanisation qui consolide leur ancrage dans les marchés du continent. Néanmoins, cette équation implique de nouveaux paradigmes organisationnels, culturels et techniques. Qui favorisent le développement et la fidélisation du capital humain, tout en permettant la régionalisation et l’émergence des hubs régionaux.

Dossier ATDA 2020

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