TNT : professionnaliser la production des contenus pour un autre récit narratif de l’Afrique

Depuis l’accord de Genève, en 2006, la dynamique d’implantation de la TNT en Afrique a été soutenue, avec différentes intensités d’un pays à l’autre. Le but a été d’améliorer et d’optimiser la connectivité, à travers les régions du continent, tout en favorisant l’accès à l’audiovisuel, de sorte qu’émerge une industrie locale. Cette industrie a été impliquée dans la sensibilisation et l’information des publics, et dans le rayonnement du continent à l’international. Cependant, au-delà de cet enjeu infrastructurel, il existe une problématique de fond, laquelle concerne la production de contenus destinés aux publics africains.

Par Zakaria Gallouch

On ne peut parler de l’expérience africaine, en matière audiovisuelle, sans s’arrêter sur l’exemple du Nigeria. Grâce à Nollywood, l’industrie cinématographique nigériane se démarque du lot africain et ses productions attestent de l’impact de cette industrie sur les populations. Et en l’occurrence sur les jeunes, qui disposent d’un espace d’opportunités assurant plus d’un million d’emplois.

Néanmoins, le divertissement prime sur l’information dans le paysage médiatique africain. Dans un ménage, le poste de télévision constitue – au-delà des offres fictionnelles – un puissant vecteur de désenclavement intellectuel et informationnel. Comment cet accès peut encore davantage améliorer la vie des Africains ? C’est la question qui doit orienter la réflexion des exécutifs. Et qui donne tout son sens à la problématique de professionnalisation de la production des contenus.

Formation et régulation

Contacté lors de la réalisation de ce dossier, Mamadou Baal, expert sénégalais des médias, nous a livré sa vision des contenus africains. Il considère que bon nombre d’Etats en Afrique sont à la traîne s’agissant de la professionnalisation de la production de contenus et plus généralement sur le sujet de la TNT. ‘’Dès 2006, nous avons tous su que l’Afrique devait déployer son écosystème audiovisuel pour s’adapter aux évolutions technologiques et aux aspirations continentales, au plan du développement durable. Toutefois, ce n’est qu’à partir de 2010 que les premiers pays, à l’instar du Sénégal, se sont lancés dans cette entreprise, à l’approche de la deadline de 2015 ’’. L’expert insiste sur l’importance d’une institutionnalisation pour faciliter et optimiser la conduite des stratégies audiovisuelles, et pour développer l’image du continent et contribuer à son développement socioéconomique. L’encouragement d’une production locale responsable est à ce titre requis. Une production qui promeut – outre l’emploi – des visions de mondes éveillées, des visions africanistes et créatives.

La professionnalisation des contenus se situe au croisement de divers partis pris, notamment la régulation, l’éducation et la culture.

En matière d’état des lieux, le premier constat est un déficit alarmant en matière de formation spécialisée dans l’audiovisuel. Selon Mamadou Baal, la formation aux médias en Afrique s’est principalement focalisée sur l’exercice journalistique, négligeant alors la formation de professionnels de l’audiovisuel qualifiés, disposant des expertises de production : gestion, son, image, écriture, documentaire… Cette mission a été reléguée au monde occidental, dont les universités ont accueilli un grand nombre d’étudiants africains, contraints de quitter l’Afrique pour se spécialiser dans ce secteur.

Moderniser les modèles de gouvernance

En matière de gouvernance, jusqu’à ce jour, plusieurs pays d’Afrique continuent d’adopter un modèle de gestion centralisé, qui peine à fonctionner efficacement. Ce modèle, hérité de l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), repose sur une mécanique excessivement lourde. Elle traite toute la chaîne de valeurs, de la production à l’archivage, en passant par la diffusion. Ce système entrave la focalisation sur les cahiers des charges et l’amélioration des productions. Et laisse le champ libre à un amateurisme médiatique résultant, entre autre, du manque de moyens au niveau de la production et de l’absence de contrôle de la nature et de la qualité du contenu.

La restructuration de cette chaîne de valeurs devrait intégrer le soutien et l’accompagnement à la production par une charte empreinte de la vision des Etats, en termes d’image et de valeurs portées par la télévision. Les répercussions sur la qualité du contenu diffusé aux téléspectateurs seraient alors considérables. L’archivage, la mutualisation du transport et l’édition constituent également une priorité sur laquelle les Etats doivent réfléchir, dans le cadre de ce chantier de restructuration. Pour Mamadou Baal, le besoin d’un organisme national d’archivage revêt un caractère d’urgence, que seules les capacités de l’Etat peuvent appréhender. ‘’Si l’État ne prend pas en charge l’archivage, comme le fait l’INA en France, l’Afrique perdra, dans l’espace d’une ou de deux générations, tous les sons et les images produits actuellement’’, insiste Mamadou Baal. Un investissement aussi onéreux ne peut être engagé par les chaînes de télévision, bien qu’il soit nécessaire pour conserver les matières audiovisuelles produites en Afrique. D’où la nécessité de créer des organismes nationaux d’archivage.

L’héritage africain : un terreau peu exploité

Que ce soit dans l’industrie musicale, la mode, le sport…. Le continent africain est une star malgré lui. L’Afrique repose sur une histoire civilisationnelle et culturelle aux particularités illimitées. Le continent détient un héritage qui s’impose de toute évidence sur la scène internationale. L’Afrique apparait comme un terreau fertile où foisonnent des valeurs, des identités, des histoires, des mythes, des philosophies, des arts et des sagesses… qui enrichissent les différentes expressions artistiques sur la scène internationale. L’Afrique inspire, instruit et divertit par les formes les plus originales et les plus épurées, malgré le retard en matière de production audiovisuelle locale. De toute évidence, ces atouts sont importants pour la création audiovisuelle de qualité et pour la promotion de l’image d’un continent en mouvement. L’internationalisation des productions locales, aussi bien au niveau des formes que des fonds, permettra de s’imposer au milieu d’une concurrence internationale de plus en plus forte avec l’accélération digitale. Cette vision est aujourd’hui l’apanage de productions étrangères, qui s’intéressent à la profondeur de l’Afrique et qui mobilisent des compétences africaines multidisciplinaires. Elles sont techniques et socioculturelles et allient les capacités cinématographiques à la recherche anthropologique et civilisationnelle, pour puiser dans l’héritage africain.

Mamadou Baal perçoit ainsi le documentaire comme un vrai levier pour exploiter ce terreau culturel et pour développer un contenu audiovisuel produit localement. Tout ceci contribuant, in fine, à produire un récit qui reconnaîtrait à l’Afrique son génie ancestral.

Lire l’intégralité de l’article dans Cio Mag N°68 de Janvier-Février-Mars 2021

CIO Mag N°68 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2021

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