Saloua Karkri, Présidente Afrique d’Inetum (anciennement GFI), est connue et reconnue, tant au Maroc qu’en Afrique. A l’actif de cette entrepreneuse hors-pair, des succès à foison, à l’APEBI, la CGEM, l’AFEM, l’ASMEX. Portrait de la dirigeante.
Aurore Bonny
« Compter en tant que femme, dans un monde où se sont les hommes qui décident », telle a toujours été l’ambition de Saloua Karkri Belkeziz, Présidente Afrique d’Inetum. Elle est l’image même de la femme qui fait de la réussite sa « voie d’émancipation et de liberté ». Une réussite arrachée de haute lutte, pour celle qui a grandi avec une multitude de tuteurs, dès la petite-enfance, après le décès de son père, professeur de géographie.
Réussir, c’est ce qu’elle a fait et continue de faire, à travers la présidence d’entreprises prestigieuses et d’importantes communautés, en Afrique et dans son pays, le Maroc. Saloua Karkri Belkeziz a été reconnue « femme d’affaires de l’année », au Maroc, en 2004. Elle détient par ailleurs les décorations du Wissam Al Alaoui de l’Ordre de Commandeur, décernées par le Roi du Maroc et celles de l’Ordre du mérite, par la République Française.
En dépit de sa renommée, dans la sphère des TIC en Afrique, « à aucun moment » cette originaire d’une petite ville au pied du Rif, dans le nord marocain, n’a eu l’ambition d’être une informaticienne reconnue. Ses « rêves », comme elle le dit, étaient plutôt de partir faire des études à l’étranger, de réussir, de compter dans un monde dominé par les hommes. Pourtant, elle n’a pas été élevée par les plus éminentes savantes en informatique ou par les plus éminents ingénieurs de son pays. C’est sa mère, sans profession et analphabète, qui a fermement suivi sa scolarisation. « Elle nous faisait apprendre par cœur et nous demandait de réciter et de reprendre, chaque fois qu’elle sentait une quelconque hésitation. J’ai eu une scolarité sans problèmes », rapporte-t-elle.
Séparée de sa famille, l’année de son baccalauréat, pour s’installer chez son oncle, elle n’en a pas perdu sa détermination. Et a obtenu son bac. Puis, elle a choisi d’étudier l’informatique à Paris, à l’Institut de Technologie de Villetaneuse. En parallèle, elle exerce un emploi salarié, pour financer ses études, jusqu’à l’obtention d’un diplôme d’Etude Approfondi (DEA). Saloua Karkri Belkeziz saisit ensuite une opportunité d’emploi chez Bull Maroc, à Casablanca. Elle vit alors ce retour au Maroc comme « une fatalité exorable ». « Il ne pouvait en être autrement », constate-t-elle a posteriori.
En effet, au cours des années qui ont précédé ses premières réussites, elle a quitté Bull pour monter Professional systems, une petite entreprise de service du numérique dédiée à l’accompagnement des PME et PMI. Et malgré de très faibles moyens financiers, sa filiale a détenu un fort potentiel. C’est ce qui aurait séduit les grandes entreprises à la recherche d’un développement externe. GFI (Inetum depuis le 1er Octobre) a pour sa part jeté son dévolu sur sa société, Professional System, et l’a acquise. C’est ainsi qu’elle devenue Présidente de GFI Afrique.
Le début de la transition
Cette alliance, qu’elle « ne regrette » pas, lui a ouvert la voie de la croissance et l’a libérée du stress du recouvrement et de la recherche de financements. « Inetum ne doit pas davantage avoir regretté l’acquisition de Professional Systems. Nous avons eu un beau parcours. 2004 a été une année charnière. Nous avons anticipé l’avenir, l’explosion du marché marocain, l’étalement au marché africain et l’ouverture sur l’offshoring », se souvient l’entrepreneure.
Cette même année, Saloua Karkri a vécu la libération des femmes de l’autorité d’un mari ou d’un frère, à travers le « Moudouwana », l’appellation du nouveau Code de la famille marocaine. Mais, cette liberté et l’émancipation qui en découlent, elle les avait conquises bien avant, en créant, quelques années plus tôt, l’Association des femmes chefs d’Entreprises. L’AFEM a permis à des femmes, à la tête d’entreprises importantes, de fournir un avis pertinent sur les problèmes économiques et sociaux du Maroc. Six ans durant, elle a dirigé cette association. Puis, elle a pris les commandes, jusqu’en janvier, de la Fédération marocaine des Technologies de l’Information, des Télécommunications et de l’Offshoring, autrement dit l’APEBI, après avoir exercé deux mandats.
« Avant d’être élue présidente, en 2016, j’ai occupé différents postes, pendant vingt ans, dans un contexte économique terne, caractérisé par un ralentissement de la croissance, du fait de la sécheresse persistante et de la fracture digitale ». A cette époque, rapporte-t-elle « le budget de l’Etat consacré au secteur des nouvelles technologies n’excédait pas 0,8% ». Les informaticiens formés dans son pays fuyaient vers l’Europe et les pays voisins étaient des concurrents dans l’Offshoring. « L’APEBI, qui avait troqué son statut d’association pour un statut de fédération, au sein de la CGEM, traversait une crise financière et ses membres s’en désintéressaient ». Pourtant, le secteur des nouvelles technologies constituait un levier de croissance et la stratégie Maroc Digital 2020 s’était fixée des objectifs de développement ambitieux.
C’est dans ce contexte d’urgence que la femme d’affaire a lancé un programme intitulé : « Fédérer pour développer ». Il fallait en effet « remettre sur pied la fédération, pour accompagner cette stratégie ». Son but était de rassembler tous les acteurs du digital, les opérateurs télécoms, les éditeurs de logiciels, les entreprises de systèmes numériques, les start-up et les acteurs du offshoring.
Rester entière et dévouée. « Nous avons obtenu une centaine d’adhésions supplémentaires, avons recouvré les cotisations, ainsi que les arriérés. Et nous avons amélioré les finances de la fédération. Il fallait, dans le même temps, constituer une équipe et redonner de la visibilité à la fédération en suscitant l’intérêt des médias », explique-t-elle. Cette bataille a permis à l’APEBI de retrouver rapidement « sa place d’interlocuteur privilégié des instances publiques marocaines ». Et à se positionner au centre de l’écosystème des nouvelles technologies de l’information. C’est dans cette mouvance que l’AITEX, un salon panafricain annuel du digital, désormais incontournable, a vu le jour.
L’APEBI, en partenariat avec CIO mag, a également lancé le Forum Africain. Ce forum, consacré à l’inclusion financière à travers le paiement mobile, a tenu trois éditions, de 2017 à 2019. Infatigable, Saloua Kakri, a assuré son fauteuil jusqu’à la création de l’Alliance pour le Développement du Digital en Afrique, avec plusieurs partenaires de divers pays africains.
La Présidente d’Inetum Afrique poursuit son ascension vers la réussite. Cette figure marocaine incontournable est aujourd’hui Vice-présidente chargée de la commission africaine, au sein de l’Association marocaine des entreprises exportatrices (ASMEX). Et même si l’âge de la retraite se précise, sa santé de fer lui permet de poursuivre sur le chemin qu’elle a tracé, en fournissant son expertise à Inetum et à son pays, le Maroc. « Il y a toujours tant à prouver en affaires », assure celle qui compte rester « entière » et pleinement engagée au service de « l’intérêt général ».
Inetum confirme son ancrage en Afrique
Depuis 2003, Inetum s’est déployé en Afrique, à partir du Maroc et a investi sur le continent pour être à proximité de ses clients. Le fournisseur de services numériques est implanté en Angola, en Côte d’ivoire, au Maroc, en Tunisie et au Cameroun. « Cette dernière acquisition porte notre projet de développement en Afrique centrale. Nous avons trois offres focus : Intégration progiciel, Ingénierie services et Conseil en digital flow. Et six spécialités sectorielles : Telecom, Secteur Public, Pétrole Energie, Distribution, Agro-alimentaire, Banque Assurance », précise Saloua Karkri Belkeziz.
Avec plus de 1 000 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros, Inetum accompagne cette croissance en privilégiant la proximité avec ses clients. Le fournisseur de services numériques dispose d’équipes en Afrique. Elles consolident les expériences de projets de plus de 250 clients – grands groupes, ETI ou organismes publics – dans 22 pays du Maghreb et dans la zone subsaharienne.
Article paru dans CIO Mag N°67 Novembre-Décembre 2020 disponible en version PDF