Cybercriminalité au Bénin : péril sur le potentiel humain

De jeunes béninois utilisent malicieusement les technologies de l’information et de la communication pour arnaquer, avec l’aide des forces occultes, des internautes. Sujet préoccupant d’autant plus qu’ils sont déscolarisés, pour la plupart, et sortent majoritairement du système éducatif sans qualification.

(CIO Mag) – Il est 9h ce 3 mai 2019. Vêtu d’un jeans « destroy » et d’un tee-shirt griffé, Bertin sort de son appartement trois pièces bien cossu à Cotonou. Il démarre sa moto flambant neuve acquise à 700 mille francs Cfa. Direction : un cybercafé de la ville où la présence humaine rime avec un tollé incessant. Que fait-il dans un cybercafé ? « Je veux poster quelques annonces sur des sites avec mes adresses e-mail », répond Bertin. Agé de 23 ans, il se présente sur la Toile comme un vendeur de voitures et d’appartements. Et pourtant !

Ce matin, des jeunes, l’air insouciant, le français approximatif et l’insulte facile ont pris d’assaut tous les ordinateurs disposés dans le cybercafé. Comme Bertin, ils sont venus pour la plupart poster des annonces pour appâter de potentielles victimes. Surnommés gaymen à Cotonou, les arnaqueurs se connectent depuis leurs ordinateurs ou smartphones sur des sites d’e-commerce ou sur Facebook avec de faux identifiants, pour mettre de fausses annonces en ligne. « Lorsque les clients sont intéressés par mon annonce, je leur envoie un formulaire à remplir. Ainsi, je connais leurs revenus mensuels et je sais combien leur soutirer », confie Bertin, qui a troqué l’école contre la cybercriminalité.

Lire aussi” UIT : le Bénin dans le top 10 en matière de cybersécurité

Pour faciliter la procédure, certains cybercriminels sollicitent des forces occultes, soi-disant pour hypnotiser ou abêtir leurs victimes afin de parvenir à leur fin. Leurs cibles se recrutent majoritairement parmi les francophones, parfois les anglophones ou lusophones, quitte-à utiliser les sites de traduction en ligne pour échanger avec leurs interlocuteurs.

De la défiance des TIC

Depuis son avènement, l’actuel régime a lancé une traque contre les cybercriminels. Une action conjointement menée par le procureur de la République et la Direction générale de la police a permis d’interpeller en mars 2018, 456 cybercriminels dans les différentes régions du pays, la plupart ayant été jugés, purgent leurs peines. En effet, l’Office central de répression de la cybercriminalité (OCRC) enregistre chaque année, des centaines de plaintes.

« Lorsque nous avons les informations, nous faisons les investigations et si les faits sont avérés, nous faisons des descentes pour les interpeller. Nous agissons également sur plainte », informait Nicaise Dangnibo de l’OCRC. Généralement, la police fait des descentes sporadiques et ciblées dans les cybercafés et autres lieux suspects. Mais sur dénonciation des populations, elle peut aussi procéder à des arrestations en flagrant délit.

« Les nouvelles technologies de l’information et de la communication bousculent littéralement les principes du droit, notamment en droit pénal », dira le juriste Emmanuel Houénou. L’arsenal juridique dont dispose le Bénin pour freiner l’infraction est le code pénal et la loi sur la corruption votée en 2011. Elle prévoit en son chapitre 15, des sanctions contre des infractions cybernétiques et informatiques et pas spécifiquement sur la cybercriminalité.

« Compte tenu du caractère universel de cette infraction, [il serait bien que] la solution vienne d’une législation commune à plusieurs Etats (dont les citoyens s’adonnent à l’arnaque, Ndlr) », renchérit le juriste.

« Si on laisse ce comportement se développer au sein de la jeunesse, d’ici 15 à 20 ans, on va manquer de compétences avérées. »

Péril sur le potentiel humain

Telle que pratiquée aujourd’hui, la cybercriminalité finira par « exclure les apprenants de leur système d’éducation, avertit le sociologue Calixte Houèdé. Cela va créer des cas sociaux parce qu’ils vont sortir de l’école sans aucune qualification. Ils seront plus vulnérables à l’exclusion de la société parce qu’ils n’ont pas les potentialités pour répondre à un certain nombre de compétences en matière d’emploi. Si on laisse ce comportement se développer au sein de la jeunesse, d’ici 15 à 20 ans, on va manquer de compétences avérées. »

Conçu à la base pour faciliter la vie à ses utilisateurs, Internet met aujourd’hui en péril le potentiel humain. Le sociologue dénonce la défaillance du système éducatif béninois et du système de socialisation et d’encadrement des enfants. Quand « les parents n’arrivent pas à contrôler les fréquentations de leurs enfants et leur train de vie, ceux-ci échappent au contrôle social et l’autorité des parents est remise en cause », assure-t-il. Calixte Houèdé préconise que des programmes informatiques soient élaborés pour contrôler les cybercafés qui s’installent anarchiquement dans les villes au Bénin.

Michaël Tchokpodo, Bénin

 

Pin It on Pinterest